Certainement, la politique est l’art du possible.
Mais le possible, comme son nom l’indique, exige quelques limites.
La coalition qui agit actuellement en Irak et en Syrie contre l’EI a cru bon de nouer une alliance avec le Qatar et l’Arabie saoudite.
Le but avoué est sain : montrer qu’il ne s’agit pas d’une guerre de l’occident contre un monde arabo-musulman conçu comme un seul bloc monolithique.
Et il est vrai que les premières victimes de Daech sont les populations locales, qu’elles soient chrétiennes, yazidis ou de minorités musulmanes.
La longue apathie de la communauté internationale devant les crimes et massacres commis en Irak et en Syrie a été stupéfiante.
L’ONU, par exemple, qui avait dépêché une commission depuis 2011 pour enquêter sur les faits de guerre dans le conflit syrien, a attendu le 15 août pour adopter une position commune sur le sort fait aux minorités par l’Etat islamique, notamment les Yazidis et les chrétiens.
Les Américains sont intervenus en bombardant les positions ennemies pour soutenir des Kurdes débordés, de leur propre chef. Saine et nécessaire intervention, certes.
Mais un examen de conscience international serait nécessaire pour savoir qui finance et porte les idées de l’EI.
Il faut dénoncer le double jeu, celui des pétromonarchies du Golfe, mais pas seulement.
Les Américains notamment sont responsables : pour garantir leurs fournitures en pétrole, ils ont longtemps fait preuve d’une coupable mansuétude.
La France aussi est responsable, elle qui a vendu des armes sans se soucier de leur destination finale et qui pour obtenir des gros contrats avec le Qatar, sur le Rafale par exemple, a fermé les yeux sur les agissements louches de l’émirat.
En réalité, cette étrange situation ne concerne pas que l’Irak malheureusement, mais une grande part du monde arabe, jusqu’à la Libye, et même une partie de l’Afrique noire, avec les Shebabs de Somalie, et Boko Haram au Nigéria.
Il importe de dire haut et fort, enfin, que ces mouvements terroristes ne sont pas nés ex nihilo, ni ne se financent tout seuls.
Mais il faut que la coalition soit aussi enracinée : d’abord, il faut qu’elle ne soit pas simplement militaire. Mais aussi économique, politique et idéologique puisqu’elle fait face à un nouveau totalitarisme qui vise ces quatre desseins-là.
Pour remédier à cette situation, l’ONU et les instances internationales en général seraient avisées de se souvenir du précédent de l’apartheid d’Afrique du Sud : nombre de pays arabes actuels traitent leurs minorités exactement comme le faisait le régime d’apartheid.
A l’époque, l’ONU avait voté des déclarations et résolutions qui qualifiant le régime d’apartheid de « crime contre l’humanité » – comme l’adoption en 1973 de la Convention internationale pour l’élimination et la répression du crime d’apartheid – permirent d’isoler le pays sur la scène internationale pour provoquer son écroulement final.
Cette technique du boycott a fait ses preuves : on se demande ce que le monde attend pour l’appliquer aux trop nombreux régimes qui financent aujourd’hui le djihadisme.
Le « califat » est une barbarie. Mais l’Arabie saoudite, le Qatar, le Soudan, la Somalie, le Yémen, eux non plus ne tolèrent pas l’existence des chrétiens ni des autres minorités religieuses.
Au Maroc et en Algérie encore, quoique constitutionnellement il existe un droit des minorités, dans les faits, il est impossible d’y vivre en tant que chrétien.
Nous ne pouvons pas nous habituer à cette situation, ou alors nous ne sommes plus l’occident et nos valeurs n’ont aucun sens, et ne veulent rien dire.
Il y a un principe des minorités qu’il faut faire appliquer sans faiblir.
Il est d’ailleurs étonnant que le seul nom que l’on arrive à donner à ce territoire de terreur soit « l’Etat islamique ».
Comme il y avait une « Union des Républiques socialistes soviétiques » dont aucun terme n’indiquait la localisation géographique, cette dénomination témoigne de l’actualité de la pensée totalitaire.
Ces islamistes, qui ne reculent devant rien pour établir leur pouvoir, ni décapitation, ni assassinat des populations civiles, ni mutilation, s’inscrivent ainsi dans la suite de cette longue idée de territoire nettoyé de ses éléments « impurs » qui court dans le monde depuis au moins deux siècles.
En face, nous autres occidentaux, continuons de croire que notre civilisation est immortelle.
Que nous ayons défait deux grands totalitarismes au cours du siècle dernier semble nous interdire de nous interroger sur les menaces extrêmement pressantes à quoi nous devons faire face aujourd’hui.
Sur une menace précisément, celle du djihadisme mondialisé.
Les événements actuels, dont l’Etat islamique est la figure la plus identifiable et la plus cruelle, n’ont pas que des ressorts politiques, ou économiques, contrairement à ce que l’on essaie de nous faire accroire souvent.
Le nouvel ennemi, que nous n’avons pas recherché mais qui nous a désignés comme tel, est pétri de fanatisme et d’idéologie : il combat pour des convictions certainement déformées ; pour une foi, sans doute dénaturée puisqu’on nous le dit, mais pour une foi tout de même.
Ce qui ne laisse de nous interroger sur notre capacité à y répondre.
Car l’engagement religieux de ces islamistes leur promet le paradis, par quoi ils n’ont pas peur devant la mort.
Oh, l’on dira que nos armes supérieures nous protègent de leur vindicte.
On a vu cependant plusieurs fois dans l’histoire les faibles vaincre les forts, seulement parce qu’une croyance, religieuse ou politique, les animait.
En réalité, nous sommes entrés dans une guerre de religion, et le monde politique occidental parce qu’il n’est plus religieux n’arrive pas à comprendre ce qui se passe.
Avec l’Etat islamique, ou Daech, comme on voudra l’appeler, nous fait face un bloc géographique presque cohérent qui nous désigne comme ennemi et qui possède des relais idéologiques chez nous, des populations sympathisantes de l’intérieur.
La France, par exemple, avec près de 1.000 départs recensés depuis 2012, constitue aujourd’hui le premier contingent de djihadistes occidentaux opérant en Syrie et en Irak.
L’Etat islamique, mais aussi toutes les cellules d’Al-Qaida, comme Khorasan, ou celle qui a enlevé l’otage français en Algérie, est travaillé par le millénarisme et l’universalisme de son combat.
Il n’y aura pas de trêve pour nous. Les têtes de l’hydre sont nombreuses et comme dans le mythe ont tendance à repousser plus nombreuses quand on les tranche.
Non seulement des populations, en Syrie et en Irak, souffrent déjà du joug barbare que leur imposent ces combattants venus du monde entier, et dont la drogue, semble-t-il, comme le captagon, redouble la ferveur meurtrière, mais c’est encore ici même, à l’intérieur des pays occidentaux que par le truchement de Français de fraîche date de culture musulmane, ou de convertis, que se profile le risque d’attentats ou d’attaques violentes.
Il ne s’agit pas de céder à la paranoïa ou à une quelconque loi des suspects, et il faut se garder de la tentation de faire de l’antiterrorisme une politique de contrôle général des populations.
Mais il faut dans le même temps comprendre que la guerre est déclarée et qu’elle ne sera sans doute pas moins longue que la guerre froide contre le bloc communiste.
Se pose donc aussi le problème de la défense que l’on met en œuvre face à des phénomènes comme l’EI, la Libye, ou Boko Haram.
Notre système de défense est actuellement inadapté. Il faut imaginer autre chose pour contrer ces phénomènes de guerre asymétrique.
La dissuasion nucléaire et les armements lourds ne sont pas d’un grand secours dans ces circonstances.
Ce sont principalement les forces spéciales et les moyens de surveillance qui doivent être développés.