Quelle agriculture pour la France ?

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Après la très vive tension de la rentrée, les cris de détresse poussés par les agriculteurs et les échauffourées aux quatre coins de l’hexagone, la chape du silence est retombée ; la crise agricole est repassée à l’arrière plan, même si l’on entend encore gronder la base.

Quelques aides d’urgences ont bien été débloquées, des paroles de soutien prodiguées et des fonctionnaires diligentés à Bruxelles ont fait mine de tancer er d’autres fonctionnaires, autrement plus puissants qu’eux. Les cabinets ministériels soufflent de voir rentrés dans les campagnes ceux qu’ils ont une tendance à prendre pour des énergumènes vociférants,  aux réactions imprévisibles. Pour eux l’agriculture c’est bien, vu du marché bio. Et puis depuis de longues années, tous les pouvoirs en place ont droit à une jacquerie, alors il suffit  pense-t-on en haut lieu, de faire le dos rond…Le fait est qu’entre réforme de la PAC, découplage des aides au produit, recouplage environnemental, dérégulation du marché mondial… l’agriculture française souffre.

La politique agricole commune a été le creuset, puis le ciment de la construction européenne : elle se délite aujourd’hui, et laisse apparaître une ligne de fracture qu’elle a aidé – consciemment ou pas – à se creuser.Il existe maintenant en Europe bel et bien deux types d’agriculture qui se font face et se confrontent, celle du Nord et celle du Sud.

Au Sud, la nôtre et celles de nos  voisins d’Italie, d’Espagne ou du Portugal: une agriculture  de terroirs, orientée en priorité vers la qualité et  valorisant les spécificités régionales.

Le paysan y « cultive » ses terres et y« élève » ses bêtes.

En mode conventionnel ou biologique, avec ou sans signes de qualité et de garantie d’origine, nos agriculteurs ont créé un modèle issu d’une vraie culture gastronomique, d’une histoire et de spécificités géographiques ou climatiques. Ils gardent la main dans la gouvernance des filières grâce à des cahiers des charges précis et des outils coopératifs.

Cette agriculture concerne toutes les productions,  tous les modes de mise en marché, du circuit court à l’export, elle fait vivre près d’un agriculteur français sur deux. Elle se doit d’être performante et compétitive et peine à maintenir la tête hors de l’eau tant elle est exposée aux distorsions de concurrence, aux charges administratives, règlementaires et normatives.

Au Nord, l’autre qui n’a plus d’agriculture que le nom, hors sol, hors nature : déracinée, au sens premier  du terme.

Elle prospère chez nos voisins Allemands ou Hollandais qui inondent les marchés avec une productivité frénétique. Une industrie exclusivement tournée vers des volumes de masse,  pilotée par des ingénieurs qui pousse le vice jusqu’à  baptiser  « minerai » leurs productions…

Des usines de milliers d’hectares qui ressemblent à de vastes entrepôts logistiques,  où les bêtes ne goûtent pas un brin d’herbe, ingurgitent des aliments douteux, et peinent à voir la lumière naturelle. Les règles et les conditions de compétition sont intenables pour nos agriculteurs et détestables pour le consommateur.

La demande croissante de qualité, d’authenticité et de traçabilité laisse encore un peu d’espoir à trois conditions :

Que Bruxelles accepte de rendre efficient ses soutiens financiers, en tenant compte des coûts de production et de la gestion des risques, au lieu de faire du saupoudrage,

Que Paris mette en place un plan conjoint de baisse des charges et de la fiscalité et fasse le pari de l’excellence, de l’innovation afin de restaurer notre vocation de leader agricole et agro-alimentaire.

Que l’on soit d’une extrême vigilance dans la négociation Traité transatlantique qui se prépare dans une totale opacité, car là où l’on peut encore espérer trouver un équilibre européen, il sera impossible de faire face à la déferlante de produits agricoles venant du continent américain.

Nos agriculteurs demandent des prix rémunérateurs et non des primes, ils ne demandent pas la charité mais l’équité.

Acteurs essentiels de l’économie et de la vitalité de nos territoires, leurs exploitations, petites, moyennes ou grandes, irriguent la France comme un immense système veineux au travers duquel coule notre identité.

La prolétarisation progressive de cette profession, si elle n’est pas stoppée, aura des conséquences irréversibles en terme d’aménagement du territoire et d’équilibre de la nation.

La crise agricole est emblématique des choix en face desquels nous nous trouvons aujourd’hui:

Voulons nous être enracinés ou déracinés ?

Voulons-nous être subsidiaires ou désincarnés ?

Voulons-nous être authentiques ou lyophilisés ?

Je connais ma réponse.

Charles Millon

http://lavant-garde.fr/quelle-agriculture-pour-la-france/