Pour en finir avec la présidentielle spectacle

L’observateur attentif de la vie politique internationale, le Persan de notre temps, pourrait légitimement s’étonner d’une exception française qui n’est pas, selon nous, des plus glorieuses contrairement aux apparences : parmi toutes les grandes démocraties avancées de la terre, notre pays est le seul qui continue d’élire un président de la république au suffrage universel direct, cet héritage gaulliste lui conférant naturellement une somme de pouvoir écrasante.

Qu’on en juge : en Allemagne c’est la chancelière qui gouverne l’exécutif, au Royaume-Uni le premier ministre, de même en Italie, en Espagne, en Belgique, au Japon.

Aux États-Unis où le régime est présidentiel, le chef de l’État est élu selon un suffrage indirect.

Il n’y a guère que la Russie, la Turquie, la Chine et la majorité des États africains qui connaissent une constitution similaire à la nôtre, où l’exécutif est presque entièrement rassemblé dans les mains d’un homme ou d’une femme qui n’est pas responsable devant le Parlement tout au long de sa mandature.

Il serait temps, alors que la France est manifestement bloquée, de s’interroger sur les vertus et les vices de notre constitution née en 1958, au plus fort de la guerre d’Algérie.

Est-elle encore adaptée à notre temps ?

Notre régime ressemble à celui des démocraties émergentes.

Peut-on légitimement, et sans forfanterie, classer la France, plus de deux cents après la Révolution française, parmi les pays à la démocratie balbutiante ? Soyons sérieux.

Le Général de Gaulle, on le sait, a taillé un trop grand costume pour ceux qui lui succèderaient.

Quoi qu’on puisse lui reprocher par ailleurs, et nous n’avons jamais été de ses émules, lui-même avait un sens de la grandeur qui justifiait au milieu des événements historiques dont il fut un éminent protagoniste qu’il endossât ce rôle.

Mais quand Bonaparte abdiqua, nul ne songea à conserver le fonctionnement de l’Empire, car nul n’était à la hauteur. Il en est, mutatis mutandis, de même pour nous aujourd’hui.

Nous en sommes arrivés à cette situation ubuesque où un président sourd aux plaintes de son peuple, et aveugle devant la déchéance de son pays, continue impunément de vanter sa politique à la télévision.

Lui-même n’est responsable devant personne. Il change son premier ministre quand il le veut et s’il le veut.

Les parlementaires sont aux ordres et votent comme un seul homme selon ce que le chef de l’Etat réclame.

Nul n’est plus responsable de rien, et les Français, qui aiment, on le comprend, le rendez-vous quinquennal qu’on leur donne, mais qui l’aiment comme on aime une grande compétition sportive où les paris vont bon train, mais où la vraie vision politique s’efface derrière le spectacle de personnalités égotiques, sont dépossédés en réalité de toute influence sur le cours du pays.

A la fin, nous nous retrouvons lotis de candidats qui ont déjà passé leur tour, anciens premiers ministres, anciens présidents de la République qui, toute honte bue, briguent à nouveau les suffrages de leurs compatriotes, espérant jouir une fois encore des ors du pouvoir.

Quelle autre grande démocratie supporterait cela ?

Non, il nous faut revenir à un réel régime parlementaire, qui n’est pas un régime faible contrairement à ce que l’on veut nous faire croire, mais un régime de vraie démocratie participative, décentralisée, où le citoyen dispose encore de quelque pouvoir.

Charles Millon

Ancien ministre de la défense




Les cinq péchés de la réforme territoriale | Le rendez-vous manqué de François Hollande Institut Thomas More | Note d’actualité

Le 18 juin, le projet de réforme des collectivités territoriales sera présenté en Conseil des ministres.

Après plus de trente ans d’une décentralisation brouillonne et souvent réticente de la part de l’État, on ne peut que se réjouir des intentions affichées par l’exécutif depuis le 6 mai dernier. Au bout de deux ans, François Hollande tient-il enfin « la » réforme de son quinquennat ?

Réforme profonde et qui réclame du courage, tant les habitudes, les conservatismes, les frilosités sont nombreuses.

Économies budgétaires, simplification administrative, meilleure efficacité de l’action locale, meilleure répartition des compétences, plus grande proximité avec les citoyens, dynamisation et ouverture des territoires : tels sont les enjeux réels de la réforme des collectivités si l’on veut qu’elle soit porteuse devrais changements.

Hélas, tant dans la méthode que dans les objectifs affichés,on peut douter de l’efficacité du mouvement lancé par l’exécutif. Précipitation, dirigisme, manque de lisibilité de la réforme, manque de confiance dans les acteurs de terrain et absence de réforme de l’État préalable à la réforme des collectivités : passage en revue des cinq péchés de la réforme territoriale.

1 | La précipitation

Alors que les élections départementales (ex-cantonales) et régionales, dont le calendrier a été maintes fois changé, sont désormais fixées à l’automne 2015, l’exécutif s’engage dans une course de vitesse pour faire approuver sa réforme, qui prendra la forme de deux projets de loi (1), avant le mois d’octobre prochain.

En effet, la loi interdit toute réforme des collectivités territoriales au cours de l’année précédant des scrutins locaux (2).

Les élections départementales, initialement fixées en mars 2015, ont donc été déplacées à l’automne, en même temps que le scrutin régional. Pour respecter ces délais extrêmement courts, le chef de l’État a donc accéléré le rythme de la réforme annoncée par le Premier ministre lors de son discours d’investiture le 8 avril dernier.

Après la déroute du PS aux élections européennes du 25 mai, l’exécutif annonce que les projets de loi seront présentés en Conseil des ministres le 18 juin prochain.

Pourquoi un rythme si effréné ? Comment justifier qu’une réforme d’une telle ampleur soit annoncée, conçue et votée en quelques semaines ?

Touchant à l’équilibre institutionnel, aux pouvoirs locaux, aux services publics, à la vie des entreprises et des citoyens, pareil bouleversement exige du temps de conception, d’évaluation, de concertation et de préparation.

Rien de tout cela ! Pas d’évaluation non plus des réformes ou des tentatives de réformes antérieures (loi Deferre de 1982, loi Raffarin de 2004, Comité Balladur de 2009, échec du référendum alsacien de 2013, etc.) ou d’analyses comparatives avec des pays étrangers.

Dans la VRépublique, il est un moment où de tels changements peuvent et doivent être débattus devant tous les Français : c’est l’élection présidentielle.

Or ni la fusion des régions, ni la disparition des départements, ni la montée en puissance des intercommunalités n’étaient présentes dans les « 60 propositions »de François Hollande lors de la campagne de 2012 (3). La soudaineté de ce grand chambardement risque d’éveiller plus de rejet que d’adhésion dans une société française prompte à la défiance.

2 | Le dirigisme

C’est seul, ou à peu près, que le chef de l’État a redessiné la carte des régions de France. Il semble, en effet, qu’il n’ait que peu consulté les élus locaux, se bornant à une série d’entretiens avec les responsables des partis politiques et à quelques échanges avec les présidents des exécutifs régionaux – souvent ses proches (4). La recherche de l’adhésion des élus comme des citoyens ne paraît pas faire partie de son plan de bataille. L’option d’une suppression pure et simple des départements n’a pas été retenue car elle aurait nécessité une modification constitutionnelle qui, elle-même, aurait réclamé une majorité des trois cinquièmes du Parlement convoqué en Congrès ou la voie référendaire(article 89 de la Constitution) – cette dernière solution étant souhaitée par une majorité de Français (5).

Ce mélange de dirigisme, auquel invitent certes les institutions de la Ve République, et du refus de la prise de risque que constitue tout débat soumis au vote (du peuple ou de ses représentants), fait planer une lourde menace sur le projet :celui de perdre une opinion pourtant, en soi, favorable à 68% à la réduction des échelons locaux (6). Sur une réforme qui touche de si près la vie des personnes sur leurs territoires – à travers l’organisation des services publiques, l’école, l’accès aux services sociaux, etc. –, le « fait du prince » est un bien mauvais calcul.

3 | Le manque de lisibilité de la réforme proposée

Le diagnostic a bien été posé par Jean-Christophe Fromantin, député-maire de Neuilly-sur-Seine et président de l’association Territoires en Mouvement : « il manque une vision ambitieuse et une méthodologie rigoureuse qui tiennent compte de l’historique et des cultures de nos territoires, et qui pose le débat en termes de stratégie, de développement et de subsidiarité » (7). Ne revenons pas sur l’élaboration de la nouvelle carte des régions ; outre la méthode dont on vient de parler, la fluctuation du nombre de régions finalement retenu (d’abord 11, puis 12, puis 15, puis 17, puis à nouveau 12 et enfin 14…) en dit long sur le flou des objectifs et des intentions.

Dans sa tribune publiée dans la presse régionale le 3 juin dernier (8), le Président de la République fait certes un choix à peu près clair en fondant sa réforme sur les régions (14 « grandes régions ») et les communes (et les intercommunalités qui devront regrouper au moins 20 000 habitants, au lieu de 5 000, à partir du 1er janvier 2017). Mais il reste flou sur trois points majeurs.

D’abord, l’avenir des départements. Au lieu de les supprimer dès maintenant (ce qui aurait permis de faire l’économie de l’élection de l’an prochain), le président se contente d’indiquer que « l’objectif doit être une révision constitutionnelle prévoyant la suppression du conseil général en 2020 »… Manière de dire qu’il laisse ce délicat dossier à son successeur. Mais il y a plus : si le Conseil général doit disparaître, le département, lui, « en tant que cadre d’action publique restera une circonscription de référence essentielle pour l’État,autour des préfets et de l’administration déconcentrée avec les missions qui sont attendues de lui ».

Ensuite, la question des moyens. Chacun connaît l’état des finances des collectivités et les contraintes qui pèsent sur elles. C’est l’une des problématiques majeures pour les responsables d’exécutifs locaux actuellement. Les nouvelles grandes régions, renforcées de la plupart des missions actuellement dévolues aux départements pour l’instant, « disposeront de moyens financiers propres et dynamiques ». Le Président n’en dit pas plus dans sa tribune… Rien sur la réforme de la fiscalité locale, aucune avancée sur le transfert de moyens de l’État aux régions, rien non plus sur le tabou de l’autonomie fiscale. François Hollande demande aux collectivités de faire leur big-bang sans leur en donner les moyens.

Enfin, le bénéfice financier escompté. L’exécutif a communiqué sur un potentiel d’économies de 12 à 25 milliards d’euros – là encore la taille de la fourchette ne suggère pas un travail préalable très précis… Cette affirmation a été remise en cause par Alain Rousset, président de la région Aquitaine, président de l’Association des régions de France et réputé proche de François Hollande, qui se dit incapable de s’engager sur un montant précis (9). Certains observateurs pensent même que cette réforme, qui n’est pas accompagnée par une réforme préalable de l’État(voir infra) coûtera plus cher en fusion des services, en alignement des statuts et des conditions salariales, en coûts indirects, etc. (10)

4 | Le manque de confiance dans les acteurs de terrain

On l’a dit, les acteurs locaux ont été très peu associés au processus de décision. Enfermé dans sa bulle administrativo-politique, le sommet de l’État décide de l’avenir du terrain et croit lui apporter des solutions en se contentant de jouer sur le mécano institutionnel : le manque de confiance dans la capacité des acteurs locaux à décider le meilleur pour eux est flagrant dans ce projet de réforme.

Une vision authentiquement décentralisatrice aurait retenu une méthode inverse, inspirée par le principe de subsidiarité, en fixant des objectifs de performance mais en laissant aux acteurs le soin de s’organiser pour y parvenir. Un tel choix aurait permis aux régions et à leurs habitants de se sentir à la fois plus libres et plus responsables – ce qui leur auraient permis de s’approprier la réforme et ses contraintes. Il aurait aussi favorisé l’imagination,l’expérimentation et l’émulation entre collectivités petites ou grandes,rurales ou urbaines, de plaines ou de montagne, etc. Le tissu local est divers et vivant : c’est en le respectant qu’on lui fera donner le meilleur de lui-même.

Viendrait-il à l’idée des Américains de bouleverser la carte de leurs 50 États – dont quatre sont moins peuplés que le Limousin, région française la moins peuplée (11) – pour engager des réformes visant à une meilleure efficacité et une baisse des dépenses ? En Allemagne, en Espagne, en Suisse, on trouve des Länder, des régions autonomes, des cantons plus petits ou moins peuplés que les régions françaises. Leurs performances économiques ne sont pas moins bonnes, en soi, que celles des entités plus grandes.

L’argument de l’« optimum régional » et de la taille critique ne tient pas. C’est une bonne gouvernance et l’attachement du citoyen pour lui qui assure la performance d’un territoire.

Dit autrement, « ce qui fait la réussite d’un territoire, c’est l’investissement de ses acteurs, que ce soient les entreprises, les administrations ou les citoyens. Cela suppose qu’ils s’identifient à la région, qu’ils aient envie de mouiller leur maillot pour elle » (12)…

C’est ce qu’a bien compris David Cameron dans la mise en œuvre de la Big Society depuis 2010 : la confiance dans le citoyen et dans la spécificité de chaque territoire est le point central du Localism Act, lui-même au cœur du projet de Big Society (13).

5 | L’absence de réforme de l’État préalable à la réforme des collectivités

Le principal argument de l’exécutif en faveur de sa réforme est celui de la simplification et de l’allègement des coûts. Mais l’État est-il légitime à réclamer des collectivités qu’elles se réforment alors qu’il s’en montre incapable ? Et quelle efficacité aura cette réforme si l’État ne met pas lui-même fin à la fuite en avant des dépenses et des embauches de fonctionnaires ?

La crise du « modèle français » jacobin et centralisé est une crise de l’action publique et, pour tout dire, une crise de l’État (14).

Dans son refus obstiné d’engager sa mutation, il entraîne tout le pays, collectivités comprises, sur une pente dangereuse. Dans ce contexte, la réforme annoncée par l’exécutif peut être vue comme une manœuvre de diversion d’un État qui n’a pas le courage de se réformer ni de mettre en œuvre les changements qui permettraient une vraie respiration des territoires et de la société française.

Le premier consisterait à supprimer, enfin, au sein de la fonction publique de l’État des services et des postes qui auraient dû l’être au fur et à mesure du processus de décentralisation engagé depuis trente-cinq ans. De même, un puissant travail de simplification administrative pourrait être engagé.

Un autre axe majeur serait la réforme des finances et de la fiscalité locale. La réforme territoriale annoncée sert de paravent au refus de mettre en œuvre une telle réforme de la fiscalité locale : « en effet, aujourd’hui, suite aux décisions de recentralisation fiscale de 1999-2000, l’État a supprimé des taxes affectées aux collectivités territoriales sans leur affecter d’autres impôts,et remplacé leur produit par des reversements du budget national.

En conséquence, l’État est devenu le premier contribuable local, ne permettant pas aux citoyens de voir sur leur feuille d’impôt les vraies recettes des collectivités, comme l’avait justement noté le rapport Mauroy de 2000. Puisque le citoyen ne le sait pas, la décentralisation est devenue un slogan »(15).

Sans confiance et sans vision, la réforme voulue par François Hollande risque fort de ressembler aux précédentes. Tant que les responsables politiques n’auront pas fait leur révolution mentale, tant que l’État restera réticent à d’authentiques transferts de compétences et de moyens, tant que les élites ne laisseront pas les citoyens et les collectivités s’organiser au mieux de l’intérêt local, la décentralisation restera un vœu pieux.

(1) Le premier, dès juin, sur la carte régionale, le second portant sur les compétences des collectivités, après les élections sénatoriales.

(2) L’article 7 de la loi du 11 décembre 1990, modifiant le Code électoral, interdit toute modification des circonscriptions électorales dans l’année précédant une échéance renouvelant les assemblées concernées.

(3) La proposition 54 prévoyait seulement une loi sur le renforcement de la démocratie locale,l’abrogation du conseiller territorial, la garantie du niveau des dotations, la réforme de la fiscalité locale et une meilleure péréquation.

(4) Voir par exemple « Le jour où François Hollande a redessiné la France », Le Monde, 4 juin 2014 et « François Hollande a tranché seul », Le Progrès, 3 juin 2014.

(5) 58% des Français souhaitent être consultés par référendum sur la réforme territoriale, sondage Les Français et la réforme des collectivités locales, réalisé par l’Ifop pour Acteurs publics et Ernst& Young, 3 juin 2014.

(6) Sondage Le projet de loi de décentralisation  et la recomposition territoriale, réalisépar LH2 pour la presse régionale et France Bleu, 10 avril 2014.

(7) Jean-Christophe Fromantin, La refonte des territoires ne se fera pas en chiffonnant la carte, Territoires en mouvement, 16 avril 2014.

(8) François Hollande, Réformer les territoires pour réformer la France, 3 juin 2014.

(9) Europe 1, 3 juin 2014.

(10)Gérard-François Dumont, « La fusion des régions va coûter plus cher ! », Le Point.fr, 4 juin 2014.

(11) Alaska, Dakota-du-Nord,Rhode-Island et Wyoming.

(12) Gérard-François Dumont, op. cit.

(13) Pour les détails, voir Euxode Denis, La Big Society de David Cameron et ses enseignements pour la France, Institut de l’entreprise, 2014.

(14) Jean-Thomas Lesueur, « Fédéralisme : une chance pour les patries ? », Causeur, janvier 2014.

(15)Gérard-François Dumont, « Réforme territoriale : les conditions incontournables pour qu’elle soit réussie », Atlantico.fr,14 mai 2014.

« Institut Thomas More, Note d’actualité 23,juin 2014 »:
http://www.institut-thomas-more.org/fr/actualite/les-cinq-peches-de-la-reforme-territoriale-le-rendez-vous-manque-de-francois-hollande.html




Iran

L’élection d’Hassan Rohani le 14 juin 2013, a soulevé de grandes espérances dans le monde entier.

Considéré comme un modéré, c’est‐à‐dire un centriste, à mi‐chemin des conservateurs à la botte des ayatollahs et des réformateurs comme l’ancien président Khatami, il serait l’homme idoine pour une reprise du dialogue avec un occident faisant bloc derrière Israël.

Pour avoir été en charge des négociations à propos du programme nucléaire au début des années 2000, il connaît très bien le sujet et semble vouloir jouer l’apaisement avec le groupe 5+1 (Chine, Russie, Etats‐Unis, Grande‐Bretagne, France et Allemagne).

Son élection au premier tour lui confère aussi une très grande légitimité auprès du peuple et même auprès des ayatollahs et devrait lui laisser les coudées franches, au moins un certain temps, pour normaliser les relations de l’Etat perse avec le reste de la planète.

L’isolement diplomatique de l’Iran depuis dix ans s’est doublé en effet d’un isolement économique, à la suite de sanctions financières notamment, décidées par l’UE et les Etats‐Unis.

Il en est résulté ces dernières années une inflation galopante (+30% annuels), une chute de la monnaie nationale, le rial, et une explosion du chômage.

Malgré cela, l’influence régionale du pays n’a pas diminué, bien au contraire.

La chute de Saddam Hussein en Irak a réveillé la communauté chiite du pays, dont une partie des cadres a été formée en Iran il y a longtemps.

Plus que jamais, Bachar el Assad, qui tient toujours et regagne du terrain, a besoin de cet allié, et le Hezbollah qui s’impose lui aussi en Syrie comme la formation politico‐ religieuse la plus redoutable de la région fait la preuve de l’habileté diplomatique iranienne qui en a fait son bras armé.

Du Liban à Téhéran, c’est un axe, encore instable, qui s’est formé à la faveur des guerres incohérentes des occidentaux et d’Israël de la dernière décennie.

Dans ce monde proche de l’implosion qu’est le Proche‐Orient, l’Iran et l’alliance chiite (étendue en l’occurrence aux Alaouites) est peut‐être la dernière sûreté qui demeure.

Mais le fait est que l’occident, et la France en particulier, ont parié ces derniers temps, notamment sous la présidence de Nicolas Sarkozy, sur une alliance avec les pétromonarchies sunnites, à qui étrangement personne ne fait grief de leur irrespect des droits de l’homme.

On connaît la situation en Arabie Saoudite, notamment celle faite aux femmes, aux étrangers et aux minorités religieuses, totalement ignorées et méprisées.

On sait aussi qu’à Bahrein quand se sont déclenchées les révolutions arabes, le peuple majoritairement chiite a été écrasé dans le sang par un émir sunnite sans que nulle part dans le monde on s’en émeuve.

Le Qatar, dont l’on sait les intérêts immenses en Europe, et surtout en France, a joué sa partie avec habileté contre les pouvoirs égyptiens et libyens qui empêchaient son hégémonie locale.

On sait notamment qu’il a armé volontairement des combattants salafistes en Libye, qui répandent maintenant la terreur dans leur propre pays et dans tout le Sahel.

Il serait peut‐être temps pour les diplomates européens de comprendre qu’ils ont semé dans cette alliance plus d’ivraie que de bon grain, et que les pétromonarchies sont des facteurs de discorde dans le monde musulman, arabe et africain.

Ainsi, on peut se demander si la bonne piste pour la France ne serait pas de traiter aujourd’hui avec l’Iran et d’entamer avec son nouveau président une négociation de fond ?

De tenter de trouver une voie modérée, refusant l’islamisme guerrier et le djihadisme.

Les négociations butent toujours sur la question du nucléaire, qui paraît pourtant de plus en plus « hystérisée » par les Etats‐Unis et Israël.

Le nouveau président Rohani a d’ailleurs ressorti du placard un accord qui avait été signé avec le président français Jacques Chirac en 2005 et qui prévoyait un droit pour l’Iran à pratiquer l’enrichissement d’uranium dans des buts civils en échange d’un engagement du pays devant l’AIEA à s’assurer qu’il ‘y aurait pas de but militaire.

C’est l’administration Bush qui, faisant pression sur le Royaume‐Uni, avait empêché que cet accord s’appliquât.

Même d’un point de vue strictement économique, la France aurait intérêt à rétablir des relations sereines avec la République islamique.

Alors qu’elle était encore le quatrième partenaire commercial de l’Iran dans les années 2000, elle n’est plus qu’en 15ème position depuis la mise en place de sanctions.

C’est surtout depuis que les exportations françaises vers Iran se sont effondrées, chutant de 2 milliards d’euros à 800 millions, c’est‐à‐dire une baisse de 70%.

Le quinquennat de Nicolas Sarkozy a été le coup de grâce porté à des relations florissantes.

Pour cette raison que d’autres nations, comme les Etats‐Unis qui sont pourtant le porte‐étendard de la mise à l’écart diplomatique du pays des ayatollahs n’ont pas le moins du monde renoncer à y exercer leurs intérêts économiques.

Malgré la loi d’Amato de 1996 qui s’attaquait au commerce des hydrocarbures, les Américains ont toujours poursuivi sans barguigner leurs échanges avec ceux qui les nomment les Grand Satan.

Selon un spécialiste, cité par Le Monde, « il vendent des ordinateurs Appel, des iPhones et du coca‐Cola, mais c’est difficile à chiffrer puisque ça se fait sous le manteau ».

L’ambassadeur d’Iran en France confirme, lui, que les exportations américaines ont bondi de 50% ces deux dernières années pendant que les européennes baissaient de moitié.

Les grandes sociétés françaises, comme Danone, Carrefour ou Renault, qui continuent de travailler là‐bas sont obligées de le faire à travers des franchises, des sociétés écrans ou par des montages complexes via le Liban ou la Russie.

C’est encore Peugeot, qui récemment allié au géant américain General Motors a été obligé de se retirer d’Iran pour ne pas froisser son nouvel ami américain.

L’Iran est un vieux pays d’un vieux continent, comme la France et les autres nations européennes.

Le chiisme qui y règne, quoi qu’on puisse lui reprocher, est relativement moins sévères vis‐à‐vis des minorités ou des femmes que le sunnisme wahabite de l’Arabie saoudite.

Le chiisme a de plus cet avantage notable pour des occidentaux cartésiens d’être fondé sur un clergé clairement identifié qui empêche les interprétations extravagantes de la charia, ou de l’islam en général.

En un mot, cela fait de l’Iran un pays stable, certes autocratique mais non tyrannique, avec qui il est possible de négocier sereinement et dont l’alliance permettrait, dans une vision de realpolitik, à la France et à l’Europe de relativiser l’influence grandissante des États du Golfe et d’aider à rétablir un ordre minimal dans un Proche‐Orient assis sur une poudrière.

Alors que la Turquie elle‐même semble au bord du chaos, la présence d’un allié sûr, stable et fort, s’impose.

L’Iran a étonné le monde ces derniers mois.

Ainsi, ce que nous avions appelé de nos vœux, c’est‐à‐dire une réintroduction en douceur du pays des Mollahs dans le concert des nations, est en voie de se réaliser.

Selon les termes de l’accord conclu les 23 et 24 novembre 2013 à Genève entre l’Iran et les six puissances chargées du dossier nucléaire, le pays ne pourra plus enrichir d’uranium au‐delà de 3,5% ou 5%, et son stock enrichi à 20% sera également neutralisé.

Cet accord, quoiqu’il ne coure que sur six mois et que son application, des deux côtés, mérite d’être contrôlée, constitue pourtant un premier pas significatif dans le règlement d’une crise qui a pris un essor notable il y a dix ans, mais qui date dans le fond d’il y a trente‐cinq ans, lors de l’accession de l’ayatollah Khomeiny au pouvoir.

Aux termes de l’accord de Genève, l’Iran va pour sa part pouvoir récupérer au cours des six prochains mois plus d’un milliard et demi de dollars issus de la vente d’or et de métaux précieux, bloqués à l’étranger par l’embargo financier.

Puis au fur et à mesure de la réalisation de ses engagements, Téhéran peut espérer retirer plus de 4 milliards de dollars de ses exportations pétrolières.

Un ballon d’oxygène bienvenu dans la situation actuelle de l’économie iranienne, ainsi que des perspectives encourageantes pour l’avenir, si d’autres allégements de sanctions interviennent par la suite.

Voilà qui pourrait enrayer la fuite des capitaux et même relancer les investissements.

Car ces deux dernières années l’Iran a perdu des dizaines de milliards de dollars du fait des sanctions internationales.

Du côté occidental, et même du reste du monde, nul doute qu’on y gagne aussi sur le plan économique.

L’Iran n’est pas la Somalie, c’est même la première puissance régionale du Proche‐Orient et la fermeture de son marché nuisait aux entreprises européennes et américaines, pendant que la Russie et la Chine, moins regardantes, et surtout alliées dans le fond à Téhéran, ne se gênaient pas pour y investir et, du côté de Pékin, pour y acheter du pétrole.

Cet accord révèle en outre plusieurs bouleversements majeurs.

D’abord, à l’intérieur même du pouvoir iranien.

Même si Hassan Rohani a été élu parce qu’il était modéré, surtout après Ahmadinejad, et pour sortir l’Iran de l’impasse dans laquelle il s’était enfermé, il est certain qu’il n’aurait pu conclure cet accord sans l’aval du Guide suprême.

On a donc pris conscience au plus haut niveau du gouvernement que le monde a changé et que le jusqu’au‐boutisme est devenu impossible.

Le rials, la monnaie iranienne, menaçait en effet de s’effondrer complètement.

Mais cet accord et cette ouverture au reste du monde impliquent aussi que les Gardiens de la Révolution ont accepté que leur part, prégnante, dans les revenus de la manne pétrolière diminue.

Il y a donc une redistribution des cartes, encore timide, entre les pouvoir civil et religieux dans le pays.

Ensuite, l’attitude bienveillante du président américain Barak Obama laisse présager un renversement général des alliances dans le monde.

Ou en tout cas, une position nouvelle des États‐Unis sur l’échiquier mondial.

Les négociations secrètes de l’été dernier, entre américains et iraniens, révélées récemment, ne sont que pour étonner les naïfs, et notamment la diplomatie européenne qui n’a absolument pas pris la mesure de ce qui était en train de se jouer.

La position de la France particulièrement, belliqueuse à la fois sur le dossier syrien et sur le dossier iranien, menaçant même de faire échouer l’accord, est retardataire.

Faut il y voir la conséquence de l’alliance, conclue sous Nicolas Sarkozy et poursuivie sous François Hollande de l’Hexagone avec les pays de la péninsule, notamment le Qatar et l’Arabie saoudite ?

Alors que les États‐Unis ont manifestement décidé depuis un certain temps de se désengager, diplomatiquement et militairement du Proche‐Orient et du monde arabe au profit de la sphère asiatique, l’Europe continue de croire que le grand jeu se déroule toujours sur ce terrain‐là, ne menant d’ailleurs même pas sa propre politique étrangère, mais s’identifiant à ce qu’elle croit être encore la politique américaine.

Alors que les États‐Unis, proches d’atteindre l’autonomie énergétique grâce à leur exploitation des gaz et pétroles de schiste, sur leur propre territoire, ont de moins en moins besoin de leur vieil allié l’Arabie

saoudite.

Par là même, leur attitude ambiguë vis‐à‐vis des mouvements islamistes financés plus ou moins par les pétromonarchies se dissipe.

En témoigne leur recul sur la question syrienne.

Et dans un monde proche‐oriental totalement déstabilisé par les guerres d’Irak et de Syrie, ils ont besoin d’un acteur stable et fort.

C’est l’Iran qui semble prédestiné à jouer ce rôle, nonobstant les hauts cris israéliens.

Plus, les États‐Unis ont besoin de répondre à l’influence grandissante de la Russie, et de la Chine, dans la région.

L’administration américaine a sans nul doute pris conscience que le réel jouait contre elle, et que soutenir indéfiniment la ligne wahhabite ne lui rapporterait rien, quand Vladimir Poutine de son côté triomphe comme le défenseur des peuples opprimés.

Enfin, dans un Irak géré désormais par des chiites, rétablir la stabilité passe aussi par sa capacité à s’entendre avec le grand voisin de la même obédience, l’Iran.

Ce qui explique que le Premier Ministre irakien chiite Nouri al Maliki ait visité Téhéran dès l’accord conclu.

Victoire donc de la diplomatie, mais surtout de la realpolitik, et l’Europe, toujours arc‐boutée sur de grands principes loin du réel, a intérêt à en prendre de la graine, et rapidement, si elle veut continuer de jouer un rôle dans la région.

Pour l’instant, seul le Royaume‐Uni, pragmatique, en a pris la mesure en envoyant un diplomate dans la capitale de Mollahs.

Par ailleurs, loin d’entretenir la guerre meurtrière sunnites‐chiites, cet accord semble aider pour le moment à une certaine normalisation de leurs relations.

Ainsi, le ministre des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif – le grand gagnant politiquement, avec Hassan Rohani de la situation ‐ a effectué début décembre une tournée dans les pays du golfe – hors l’Arabie Saoudite.

Dans cet accord se trouve peut‐être simplement la clef de la résolution de nombre de conflits actuels, et de la diminution du terrorisme.

Si les clauses en sont respectées dans les mois qui viennent, et si les démocrates américains parviennent à résister aux pressions belliqueuses des faucons républicains et d’Israël, Barack Obama aura peut‐être réussi le triple tour de force de briser une vieille inimitié, de mettre un coup d’arrêt à l’influence grandissante de ses rivaux

que sont la Russie et la Chine dans la région et d’ouvrir un marché nouveau à ses entreprises.

De son côté, l’Iran devient enfin ce qu’il est, la principale puissance régionale, capable d’aider à la résolution du conflit syrien, de mettre fin aux guérillas terroristes sunnites, et de renouer des relations économiques conformes

à sa grandeur.

Les grands perdants risquent d’être les autres pays de l’OPEP et la Russie, que le retour du pétrole perse va violemment toucher économiquement, en poussant les cours à la baisse ; et l’Europe qui a donné l’impression d’être à la traîne du mouvement général de l’histoire actuelle.

Il est temps pour elle de réagir.

Charles Millon