Géopolitique et Arabie Saoudite

Le royaume des Séoud est revenu depuis deux ans au cœur des grandes manœuvres géopolitiques mondiales.

En réalité, l’Arabie saoudite est en conflit, sur tous les plans.

Tout d’abord sur le plan économique, elle mène une « sorte de guerre du pétrole » elle a engagé une partie de bras de fer non seulement avec les Etats-Unis, mais aussi avec le Canada, l’Iran et la Russie.

Elle a délibérément laissé grand ouvert le robinet du pétrole et du gaz pour étouffer toute concurrence, notamment celle venue des gaz et pétrole de schiste en Amérique.

Elle y a en partie réussi.

Alors que la demande baisse, à cause notamment de la chute de la production chinoise, l’Arabie saoudite surproduit.
Peu lui chaut, elle a encore les reins solides, et même si la chute des cours représente pour elle-même une baisse conséquente de ses revenus, menaçant à moyen terme son système social qui repose entièrement sur les ressources d’hydrocarbures, elle dispose pour le moment de liquidités suffisantes pour se maintenir.

Mais les conséquences de cet « anti-choc pétrolier » se font ressentir dans le monde entier.

Certains producteurs significatifs comme le Nigéria ou le Vénézuela souffrent.
Et ils disposent de très peu de moyens d’influence sur le géant arabe.

Conflit militaire, ensuite, particulièrement celui qu’elle mène avec quelques alliés sunnites, de façon tout à fait illégale d’ailleurs, sans que personne ne s’en émeuve, au Yémen contre les Houthis, dont le seul tort est d’être soutenus par l’Iran.

D’ailleurs dans ce conflit sunnites/chiites, l’Arabie saoudite avait participé il y a quelques années à la répression menée à Bahrein dans le plus grand silence médiatique, Bahrein où la famille sunnite régnante doit composer avec un peuple majoritairement chiite.

Enfin, c’est une nouvelle politique d’influence que développe l’Arabie saoudite.

Elle s’est traduit récemment par son refus de financer l’armement des forces libanaises, et ce pour protester contre l’intervention du Hezbollah aux côtés du régime de Bachar El Assad en Syrie.

Elle s’est concrétisée au travers d’investissements massifs – à hauteur de plusieurs milliards de dollars – chez le voisin égyptien, dont le président, le maréchal Sissi, est remercié pour avoir chassé les Frères musulmans du pouvoir.

Frères musulmans qui, tout comme l’Etat islamique, contestent la suprématie du pouvoir wahhabite saoudien sur les lieux saints.

En fait, l’Arabie Saoudite est aujourd’hui en conflit feutré ou déclaré avec à peu près tout le monde, sauf bien entendu avec les pays qu’elle a vassalisés, ou avec les Occidentaux à qui elle vend du pétrole, et chez qui elle place les dividendes de ses rentes financières colossales.

En conflit bien entendu avec tout ce qui est chiite, ou suspect d’hétérodoxie pour ces sunnites ultraconservateurs : Iran, Yémen, Syrie alaouite, Hezbollah libanais, forces irakiennes chiites…

En conflit avec les Frères musulmans, qu’elle a aidé à écarter du pouvoir en Tunisie et en Egypte.

En conflit contre les salafistes-djihadistes de l’Etat islamique, en Irak-Syrie comme en Libye.

En rivalité constante avec les émirats du Golfe, le Qatar en tête.

Seule alliance nouvelle, et particulièrement inquiétante sur le plan géopolitique, celle que l’Arabie saoudite a nouée avec la Turquie de M. Erdogan.

Une alliance née de la situation syrienne, où chacun des deux grands pays compte avancer ses pions, la Turquie pour bénéficier d’une profondeur stratégique, et prête à annexer de facto une partie du territoire, mais surtout pour empêcher la constitution d’un véritable Etat kurde ; l’Arabie saoudite pour contrer l’influence grandissante de l’Iran qui organise, aux côtés des Russes, la reconquête du pays par les forces du régime, ralliant alaouites, kurdes, chrétiens et Hezbollah libanais.

Cette alliance de circonstance peut néanmoins achopper sur quelques points : la Turquie soutient les Frères musulmans, et ne considère toujours pas le Maréchal Sissi comme un interlocuteur valable en Egypte.

Par ailleurs, une alliance anti-chiite risquerait de l’emmener trop loin, alors qu’elle a besoin de garder des rapports apaisés avec son voisin iranien, qui partage des centaines de kilomètres de frontière avec elle.

Quoiqu’il en soit, face à la situation syrienne, Turquie et Arabie saoudite collaborent sur le terrain, envisageant même d’envoyer des troupes au sol.

L’incohérence des chancelleries occidentales ne fait qu’ajouter au chaos qui menace tout le Proche-Orient.

La France notamment, dont le président François Hollande a décoré discrètement un prince saoudien récemment, ne dit rien devant l’ingérence grandissante du royaume dans la région, et en particulier sur la « guerre sale » du Yémen qui aurait fait déjà plus de 6000 morts.

Ceci s’explique en partie par ses liens commerciaux avec les pétromonarchies du Golfe.

Ainsi donc, ces tensions qui embrasent le Proche-Orient et dans tout le monde arabe, risquent de provoquer plus qu’une guerre régionale, un conflit international où se trouvent impliquer déjà la Russie, Les Etats Unis, la France et la Grande Bretagne.

Entre Arabie saoudite, Iran et Turquie, bien malin qui saura dire aujourd’hui qui prendra le leadership de la région.

Mais l’on est en tout cas forcé de constater que le royaume protecteur de Médine et de La Mecque s’est aventuré depuis quelques années dans une politique extrêmement agressive.

Pour l’instant l’Arabie saoudite a été peu touchée par le terrorisme.

Pourtant tiendra-t-elle longtemps économiquement avec des cours du pétrole si bas ?

Sa population est-elle prête à accepter la diminution de ses allocations et subventions ?

Les rigoureuses lois wahhabites, notamment vis-à-vis des femmes, des homosexuels ou des « blasphémateurs » satisferont-elles longtemps encore ce peuple ?

Ces questions se posent. Enfin, à se faire haïr ainsi par la moitié de la planète, le royaume saoudien s’est aventuré sur une mauvaise pente.

D’autant qu’il partage avec les USA certaine responsabilité dans la création et le développement de mouvements salafistes ou djihadistes.

Un retournement de situation, pourrait faire que des terroristes frappent un jour sur son sol.

Enfin, la politique générale de l’Arabie saoudite se caractérise par son repli sur soi.

Elle ne prend ainsi que très peu part à l’accueil des réfugiés de Syrie et d’Irak, leur préférant les travailleurs migrants du sud-est asiatique.

Aujourd’hui la politique menée par l’Arabie Saoudite est source d’instabilité permanente et provoque un climat de tension préoccupant pour la Région toute entière.

Charles Millon
Ancien Ministre de la Défense
Président de l’Avant Garde




A quand un nouveau Yalta ? par Charles Millon

La Libye est devenue le nouveau refuge de Daech, sa base de repli éventuel. C’est une réalité qui crève les yeux, mais que nous faisons semblant de ne pas voir.

Comme pour l’Irak-Syrie, sans doute découvrirons-nous demain, ébahis, qu’il y a fait son nid, creusé son sillon, s’y est fermement installé et que l’en déloger coûtera une guerre de plus – dont, semble-t-il, l’on parle déjà dans les états-majors occidentaux – une guerre dans un pays en proie à tous les chaos, toutes les anarchies, tel enfin que l’ont laissé MM. Sarkozy et Cameron, après leur intervention calamiteuse et opportuniste.

Mais, au-delà même du cas libyen, il faut intégrer le fait que, Daech ou tout autre nom dont elle se pare, cette idéologie est un cancer qui continuera de se déplacer et d’enfanter les guerres dans le monde.

Déjà, outre la Libye, Sinaï, Nigéria, Sahel, Afghanistan, et même Europe sont le terrain de jeu de cette guerre qui ne fera pas de prisonniers.

La radicalité, comme l’on dit, de notre ennemi est telle, sa haine à notre endroit – à l’endroit d’ailleurs de tout ce qui n’est pas lui – est telle qu’on voit mal comment négocier et trouver un accord de paix avec lui.

D’ailleurs, le voudrait-il, qui accepterait que nous vivions côte-à-côte avec un Etat, ou des Etats, qui pratiquent cette forme de charia, asservissant les femmes et généralement tous les non-musulmans, détruisant globalement tout ce qui nous paraît constituer l’humanité ?

La question, outre le fait de politique intérieure qui veut qu’on lutte au sein de nos nations européennes elles-mêmes, tient en ceci finalement : l’occident peut-il intervenir partout ?

Précisons : l’occident et ses alliés, puisqu’il faut intégrer dans cette lutte maintenant planétaire la Russie, l’Iran et certains pays de la péninsule arabique – les pays africains, eux, quoi qu’ils en aient la volonté, étant dans l’impossibilité financière et technique de combattre efficacement cette forme de guerre terroriste.

Nul doute qu’une grande conférence sous l’égide des Nations-Unies aurait dû avoir lieu il y a longtemps déjà : une sorte de Yalta qui consiste non à se partager le monde pour le dominer, mais à répartir les zones d’interventions entre les différentes forces, de façon à les stabiliser et les libérer.

Ce serait un projet à dix ans au moins, voire vingt.

Mais un projet nécessaire, requis par le nouvel ennemi protéiforme qui défie l’humanité entière.

Une nouvelle coopération mondiale tendue vers un but précis, comme cela existe, tout différemment, sur le plan écologique.

La zone à couvrir est gigantesque, et en sus, elle se trouve comme au milieu du monde. Du Pakistan à la Centrafrique, en passant par l’Irak-Syrie, l’Egypte, la Libye, le Mali, la Somalie et le Nigéria, c’est un arc immense qui recouvre grosso modo les pays à majorité musulmane .

Si l’on tente de le découper en pièces de puzzle, ce serait à la France dans la logique de ses interventions au Mali et en Centrafrique (dont les motifs furent différents cependant) de poursuivre sur sa lancée en sécurisant tout l’ouest africain, le Nigéria au premier chef.

Mais la zone est évidemment bien trop vaste, et l’on n’est plus au temps des empires coloniaux.

On peut regretter deux choses dans cette région : l’indifférence de l’ancien colonisateur anglais vis-à-vis du Nigéria, et la mollesse du soutien européen à la politique militaire de la France qui a pourtant stabilisé des lieux stratégiques et coupé court à une expansion rapide du djihad dans le Sahara-Sahel.

La France dispose là-bas d’un allié unique : le Tchad, seule armée opérationnelle dans cette partie du continent.

Les autres nations stables, comme le Burkina, le Bénin ou le Sénégal sont malheureusement ou mal armée ou trop fragiles intérieurement.

On pourrait néanmoins imaginer à moyen terme la création d’une force de réaction rapide africaine autonome, capable de cautériser les plaies nouvelles à temps.

L’Europe surtout, si elle a un sens, devrait prêter main forte à la France, au moins d’un point de vue financier et matériel.

En Libye, la situation est plus confuse que jamais, avec deux gouvernements recouvrant à peu près d’un côté la Tripolitaine, de l’autre la Cyrénaïque, et que l’on a jusqu’ici échoué à se fondre en un troisième.

Entre généraux fantoches et islamistes purs et durs, les opérations secrètes occidentales, françaises, américaines et anglaises, semblent pour le moment destinées uniquement à contenir le raz de marée de Daech.

La situation est telle, et les forces modérées ou tribales ayant été marginalisées, que ‘lon se retrouve selon l’analyse de Bernard Lugan, le grand africaniste, à s’allier avec les frères musulmans et Al Qaeda contre l’Etat islamique.

Charybde ou Sylla, telle semble l’alternative.

D’autant que les voisins de la Libye sont tout, sauf fiables : la Tunisie demeure sous la menace de ses propres islamistes, à peine écartés du pouvoir, et qui ne désespèrent pas d’y revenir bientôt.

En Egypte, malgré la grande figure du maréchal Sissi, soutenu par les Etats-Unis et le voisin saoudien,  la population sunnite reste sensible aux sirènes des Frères musulmans.

Ne parlons pas du Soudan, au sud, plus fauteur de troubles qu’autre chose.

Quant à l’Algérie, elle attend frémissante le changement de pouvoir intérieur avant que d’intervenir éventuellement.

Mais la grande guerre qui a embrasé la moitié du monde musulman a aussi des répercussions, dont l’on parle moins dans les chancelleries occidentales de crainte de froisser nos alliés, jusque dans la péninsule arabique.

En effet, le conflit atroce du Yémen se poursuit, terrain de substitution pour la guerre larvée que se mènent l’Iran et l’arabie saoudite, emportant derrière eux respectivement le monde chiite et le monde sunnite tout entier.

De même, la révolte continue de gronder à Bahrein, pays majoritairement chiite dirigé par une monarchie sunnite.

Enfin, le soutien indirect des pétromonarchies à l’Etat islamique, relayées en cela aujourd’hui par la Turquie qui s’en cache de moins en moins, réclame une explication avec les régimes sunnites.

L’occident ne peut pas continuer indéfiniment sa politique qui consiste à éteindre là le feu qu’il a allumé ici.

Il faut malheureusement remarquer qu’aujourd’hui, seule la Russie, quoiqu’on puisse reprocher à son régime intérieur, a une politique cohérente sur ce plan-là.

Dans une grande conférence internationale qui se chargerait de mettre au point un plan pour régler ces conflits, sur une décennie au moins, l’Europe aurait une mission particulière.

Qui serait moins d’intervenir au coup par coup que d’établir un contrat pour former les armées de pays amis.

Il s’agit de coordonner les pays entre eux, sur cet arc entier qui va de l’Afrique noire à l’Irak.

Car nous sommes face à une guerre idéologique-type. Pour filer le parallèle avec le communisme, il est remarquable qu’elle s’étende partout en même temps, comme au temps de la guerre froide.

Face à cela, s’il veut seulement survivre, l’occident doit développer une vraie stratégie et une vraie tactique. Qui requerra toutes ses forces.

Charles Millon

Ancien ministre de la défense

Président de l’Avant-Garde




Charles Millon : qui est vraiment Daech ?

FIGAROVOX/TRIBUNE – Au lendemain des attentats de Paris, l’ancien ministre de la Défense Charles Millon pose les enjeux de la lutte contre l’Etat islamique. Quelle est son étendue ? Quels sont ses alliés ? Des questions auxquelles il faudra répondre pour le combattre.

 

Charles Millon a été ministre de la Défense du gouvernement Alain Juppé, de 1995 à 1997.


Il existe aujourd’hui un consensus général et véritable autour de la nécessité pour la communauté internationale d’intervenir en Irak et en Syrie afin de mettre Daech hors d’état de nuire. Il n’était que temps.

Cependant, on ne peut que remarquer que les gouvernants des grandes nations du monde, parties prenantes des coalitions – Etats-Unis, France, Russie, Royaume-Uni – s’interrogent plus sur les modalités, sur la dimension à donner à ces interventions, sur les alliances à nouer ou à respecter, que sur l’objectif même de l’opération et sur la nature de l’ennemi.

Or, de nombreuses questions, dont les réponses devraient être des préalables se posent: s’agit-il d’une reconquête du territoire pris par Daech? Quelle négociation avec tous les groupes qui interviennent en Syrie et en Irak pour envisager à terme l’instauration d’une paix civile? Quelle est la dimension de la coalition? Va-t-elle se constituer sous l’égide de l’ONU? Y aura-t-il un pays coordonnateur de cette coalition? Qui la financera? Qui en assurera le commandement tactique? Est-il envisagé une conférence internationale pour définir les dimensions politique, économique et militaire de cette intervention? Et si oui, quel en sera le pays organisateur? Toutes ces questions sont pour l’heure en suspens, dans ce qui paraît une guerre artisanale, échafaudée au jour le jour, sans pensée stratégique.

Mais, avant même d’envisager cette phase, une autre interrogation, beaucoup plus profonde, se présente: celle de la définition de notre ennemi. Car l’objectif n’est au fond pas territorial, mais idéologique. A-t-on réellement mesuré ce qu’est Daech: un groupe religieux qui porterait des ambitions territoriales (à ce jour près de 300.000Km2 contrôlés en Irak et en Syrie), ou un groupe religieux qui porterait internationalement une idéologie totalitaire? A-t-on de surcroît analysé vraiment les liens que ce groupe a tissé avec d’autres idéologies ou d’autres familles de pensées proches? A ce sujet, il ne serait pas inintéressant de relire les textes de sociologues qui soulignaient dans les années 90 une certaine proximité idéologique entre l’islamisme révolutionnaire et le marxisme ; non plus que de se repencher sur les liens troublants qu’ont entretenus un certain nombre d’islamistes avec l’Allemagne nazie (cf. Jihad et haine des juifs. Mathieu Küntzel Editions du Toucan Septembre 2015).

Dans un cadre plus contemporain, on ne peut oublier les racines sunnites de Daech, qui expliquent l’inertie de l’Arabie saoudite autant que celle du Qatar, et leur répugnance à mener une action au sol contre l’Etat terroriste. Pis, l’Arabie saoudite, le Qatar et un certain nombre d’autres pays du Golfe persique ont constitué parallèlement une coalition contre les Houthistes chiites du Yémen, alors qu’ils sont totalement absents du combat contre Daech. Comment envisager la poursuite des relations commerciales sereines avec l’Arabie saoudite, le Qatar ou les EAU, tant que ne seront pas éclaircis les rapports qu’ils entretiennent directement ou indirectement avec Daech?

On ne peut non plus oublier l’attitude ambiguë de la Turquie sunnite qui privilégie les bombardements des Kurdes aux bombardements des positions de Daech.

Il faut ensuite penser plus largement, à l’échelle du monde, ces relations que Daech a nouées, non seulement avec les Frères musulmans, mais aussi avec les mouvements de Libye, du Nigéria, ou de Somalie.

Il ne s’agit pas d’être alarmiste. De toute façon, la guerre est déjà là. Mais la considérer seulement dans un cadre régional, la Syrie, et militaire, les bombardements, on prend le risque de s’aveugler sans voir s’organiser une nouvelle internationale porteuse d’une idéologie totalitaire qui ne craint pas à Palmyre ou ailleurs de faire sienne la formule des révolutionnaires Français «du passé faisons table rase».




Le devoir d’ingérence

Depuis la chute de l’Union soviétique, la situation internationale aura rarement été aussi troublée, en tant de points différents et pour des raisons si diverses.

De l’Afghanistan à la Centrafrique, la moitié du monde brûle.

Les pays sans Etat se multiplient : Somalie, Libye, Irak, Syrie, Liban, Centrafrique ou Mali, et cette situation qui ne semble pas passagère mais dure favorise tous les extrémismes, tous les irrédentismes.

Les Shebabs somaliens qui se livrent à la piraterie depuis deux décennies, l’Etat islamique qui s’étend au Proche-Orient, l’Etat islamique encore qui prend pied aux côtés d’Al Qaeda en Libye et trafique du pétrole : les tensions tribales en Centrafrique sur fond de guerre des diamants.

Cette situation favorise aussi tous les trafics, le Sahel et le Sahara n’étant plus qu’un vaste champ de passage pour la drogue et les migrants traités comme des bêtes.

Tout ceci favorise encore l’extension de l’islamisme radical et c’est sur terreau que Daech se développe.

Face à cet immense défi, que doit faire la communauté internationale ?

Non pas tenter de revenir à l’état antérieur, avec des Etats construits à l’occidentale, centralisés et tout-puissants mais aller vers le respect des identités tribales, géographiques.

L’exemple des trois régions de Libye, la Tripolitaine, la Cyrénaïque et le Fezzan que tout oppose et que seule la lourde main de Kadhafi faisait tenir ensemble est parlant.

La solution serait de donner un mandat international à une entité, pays, ensemble de pays ou groupement régional, pour rétablir l’ordre et faire cesser la guerre civile.

Mais à qui donner ce mandat ?

Les volontaires ne se précipitent pas aujourd’hui. D’autant qu’au niveau international, ce type d’ingérence n’est pas réellement défini.

Le devoir d’ingérence, qui désigne l’obligation morale faite à chacun d’intervenir, même en violant la souveraineté d’un Etat lorsque celui-ci se rend coupable de violations répétées des droits fondamentaux, n’est hélas pas un concept juridiquement défini au niveau international.

Et ceci alors que la mondialisation, notamment des communications, met sous le nez de tous en permanence ce qui se passe à l’autre bout du globe.

Si Grotius avait déjà évoqué en 1625, de façon abstraite, un « droit accordé à la société humaine » pour intervenir dans le cas où un tyran « ferait subir à ses sujets un traitement que nul n’est autorisé à faire », c’est au XIXè siècle que l’idée commence réellement à prendre forme concrète à travers ce que l’on appelait « l’intervention d’humanité ».

Après la Seconde Guerre mondiale, c’est le conflit atroce du Biafra qui, à partir de 1967, réveille les consciences et l’idée, engendrant notamment la création de nombreuses ONG comme Médecins sans frontières.

C’est le philosophe français Jean-François Revel qui parlera le premier de « devoir d’ingérence » en 1979 à propos des dictatures africaines de Bokassa et Amin Dada. Reprise dans le monde entier, variant de « devoir » à « droit » d’ingérence, l’expression connaîtra une belle fortune. Cependant, rien encore aujourd’hui n’en vient définir les contours juridiquement.

Il se heurte à plusieurs arguments : d’abord, le vieil ordre westphalien, défini en 1648, qui stipule que nul ne peut s’ingérer dans les affaires d’un Etat souverain. Ensuite, de nombreux juristes soutiennent que les conventions internationales, comme les Conventions de Genève et la Convention contre le Génocide, disposent déjà d’un droit contraignant.

Le Chapitre VII de la Charte des nations Unies permettrait lui aussi d’intervenir dans les affaires intérieures d’un État en cas de « menace contre la paix », et les interventions récentes de la communauté internationale (Golfe, Irak, Rwanda, Somalie, Bosnie, etc.) auraient d’ailleurs été menées pour la plupart en référence à ces outils traditionnels de la justice internationale.

Benoît XVI lors de son discours aux Nations unies, le 18 avril 2008, déclarait ceci :

« Tout État a le devoir primordial de protéger sa population contre les violations graves et répétées des droits de l’homme, de même que des conséquences de crises humanitaires liées à des causes naturelles ou provoquées par l’action de l’homme. S’il arrive que les États ne soient pas en mesure d’assurer une telle protection, il revient à la communauté internationale d’intervenir avec les moyens juridiques prévus par la Charte des Nations unies et par d’autres instruments internationaux. L’action de la communauté internationale et de ses institutions, dans la mesure où elle est respectueuse des principes qui fondent l’ordre international, ne devrait jamais être interprétée comme une coercition injustifiée ou comme une limitation de la souveraineté. À l’inverse, c’est l’indifférence ou la non-intervention qui causent de réels dommages. »

L’occident en général, qui est aujourd’hui quoi qu’on en ait, le seul bloc capable et doué de la volonté d’intervenir dans le monde entier pour faire respecter les droits de l’homme et nonobstant les non-dits impérialistes qui peuvent sous-tendre ses actions, est depuis quelques années tétanisé, se refusant à de réelles interventions, pour plusieurs raisons, parfois contradictoires d’ailleurs.

La guerre d’Irak, qui l’avait lui-même divisé, la France et l’Allemagne notamment déniant toute légitimité à l’assaut sous égide américaine, a causé trop de morts dans les rangs de la coalition, traumatisant les opinions publiques.

De plus, cette opération, comme celle d’Afghanistan, n’a pas eu les effets escomptés, laissant des populations et des gouvernements faibles à la merci de groupes tribaux, politiques ou religieux plus puissants, dans une situation de quasi guerre civile.

A ceci, il faut ajouter le fiasco de la Somalie en 1992 et surtout la calamiteuse intervention sous pavillon français en Libye en 2011 qui a précipité le pays dans le chaos.

D’où l’on pourrait déduire ceci : s’il y a devoir d’ingérence, il entraîne avec lui d’autres devoirs que la simple intervention militaire destinée à faire tomber le dictateur, comme l’établissement d’un gouvernement fort, stable et digne de ce nom, la reconstruction du pays, enfin son insertion dans le jeu de la communauté internationale.

Seulement, quel pays seul aujourd’hui sera capable de se plier, ne serait-ce qu’économiquement, à tel exercice ? En général, les opinions auxquelles veulent plaire les gouvernements démocratiquement élus d’occident se satisfont de la première partie du plan et une fois que l’ennemi désigné a été éradiqué, souhaitent qu’au plus vite leurs enfants rentrent à la maison.

La solution serait que passant outre aux vieilles lunes westphaliennes, sur le plan des droits de l’homme comme sur celui de l’économie et de l’écologie, ainsi que l’Eglise catholique notamment l’a rappelé ces dernières années, la communauté internationale puisse se saisir de dossiers qui ne concernent pas seulement un Etat reclus derrière ses murs mais une bonne partie du monde.

Ainsi, la situation de la Libye, avec ses flots de migrants et de passeurs mafieux, n’est plus un problème de souveraineté locale, mais un problème général. Reconstruire un pays, en prenant en compte ses particularités et sans arrière-pensée impérialiste, réclamerait en sus d’une intervention militaire, la mise en place d’une administration neutre, internationale, pendant au moins une décennie.

Mais il faut pour cela du courage politique et de l’imagination.

Charles Millon

Publié par Charles Millon · 13 octobre 2015, 18:44




Yémen, terrain de jeu des grandes puissances régionales

Islamistes contre islamistes ? Décidément, l’inventivité islamiste en matière de guerre dans les Proche et Moyen Orient et jusqu’en Afrique est sans limite.

On croyait que l’Etat islamique constituait le seuil ultime de barbarie et de dégradation des structures étatiques et traditionnelles, mais voilà qu’il est en train, non seulement de se métastaser, en Libye, au Sinaï égyptien, au Nigéria, mais plus, qu’il se fait concurrencer par de sympathiques mouvements comme celui des Chebabs somaliens qui ont frappé le Kenya en plein cœur, ou, plus inquiétant encore par les rebelles houthistes au Yémen.

L’offensive houthiste, milices de confession zaïdite, une variante du chiisme, a commencé réellement depuis l’automne dernier.

Après la démission forcée du président yéménite Hadi le 22 janvier 2015, sous la pression des rebelles, et la dissolution conséquente du parlement en février, il aura fallu attendre le 25 mars pour que le grand voisin, l’Arabie saoudite, forme une coalition dont elle a pris la tête, bombardant depuis ses avions selon la formule américaine, sans envoyer de troupes au sol.

L’ingérence de Riyad est saluée par toute la communauté internationale, et le jeune fils du nouveau roi, nouveau ministre de la Défense, acclamé comme un héros dans son pays. Seulement, la réalité est plus complexe.

Car il y a une autre puissance régionale, l’Iran.

Quand le pays des mollahs critique l’intervention saoudienne au Yémen, on l’accuse aussitôt, lui, d’aider en sous-main les rebelles. Ce qui est d’évidence vrai.

Mais vérité en-deçà du Golfe persique, erreur au-delà ?

Que l’on sache, l’Arabie saoudite et ses alliés américains n’ont pas reçu, eux non plus, mandat de la communauté internationale pour intervenir en « Arabie heureuse ».

Ali Khamenei, le guide suprême iranien, a beau jeu ainsi de dénoncer « l’agression saoudienne », l’accusant de « génocide » contre un « peuple innocent ».

Le président Rohani a, lui, assuré que l’Arabie saoudite répétait les mêmes erreurs qu’au Liban, en Irak et en Syrie, attisant les rivalités entre chiites et sunnites.

Savoir qui a commencé, de l’Iran qui subventionne le Hezbollah libanais depuis quarante ans, ou des alliés sunnites des Etats-Unis, c’est une autre affaire.

Reste que la situation géopolitique locale évolue aussi favorablement, par un autre côté : la signature de l’accord de Lausanne le 2 avril entre l’Iran et le groupe des 5+1 sur la question de l’enrichissement d’uranium, même s’il ne résout pas tout et ne constitue qu’un premier pas vers un véritable accord, qui n’aura pas lieu avant l’été, tant le dossier est techniquement complexe, est de bon augure.

L’Iran est-il encore « le grand perturbateur » que l’on décrit communément ?

Rien n’est jamais certain dans les réactions de la puissance perse aux mains des mollahs, passés maîtres dans l’art de la dissimulation et du coup de billard à plusieurs bandes.

Néanmoins, sans céder à la candeur, on peut constater que son retour dans le jeu géopolitique et dans la communauté internationale s’impose, ne serait-ce que pour contrebalancer le poids pénible de l’Arabie saoudite et de ses alliés-rivaux émiratis ou égyptiens.

Le Yémen est ainsi le grand révélateur, le terrain de jeu idéal si l’on peut dire, de la « guerre de Trente ans » à la mode musulmane qui se déroule dans cette partie du monde, où chaque grand puissance avance ses pions dans les pays voisins réputés faibles.

Sinon Oman, seul pays musulman au monde à n’être ni sunnite ni chiite, et coincé entre les puissances rivales, qui reste neutre, tout le monde est embarqué dans la querelle des chiites et des sunnites.

Le chiisme bénéficie de cet avantage d’être une confession plus organisée, disposant d’un clergé, et presque entièrement incarné en un pays, l’Iran, qui n’ayant pas de rival interne, peut tirer souverainement les ficelles, avec le Hezbollah au Liban, défiant un jour Israël, l’autre jour intervenant en Syrie pour soutenir Bachar el-Assad.

Avec les houthistes, c’est un nouveau bras armé, pas loin du cœur du monde sunnite, dans la péninsule arabique elle-même, qu’il met en branle.

Mais d’un autre côté, l’Iran est épuisé économiquement par les sanctions américaines et européennes et, sous la houlette d’un Ali Khamenei vieillissant et sous la pression de sa jeunesse désireuse d’entrer dans la mondialisation, il lui faut bien négocier, notamment sur la question nucléaire, avec la communauté internationale, pour redevenir respectable.

Il engrange quelques succès dans l’Irak dévasté, en stoppant momentanément l’expansion de l’Etat islamique.

Mais le pouvoir d’attraction de celui-ci auprès des candidats au djihad du monde entier laisse sa puissance intacte, d’autant qu’il fait des émules, particulièrement dans le chaos libyen et qu’il a su ringardiser Al Qaeda, qui est en train de lui faire allégeance.

De l’autre côté, l’Arabie saoudite a su tirer parti de la très mauvaise réputation que son voisin et rival qatari a fini par se tailler dans le monde occidental, accusé de soutenir le terrorisme et notamment les Frères musulmans, pour reprendre le leadership régional, notamment en soutenant et en finançant le régime du Maréchal Sissi contre les Frères en Egypte.

Ayant renoué de bonnes relations avec les puissances européennes, notamment la France, la dynastie des Saoud, guidée par son nouveau roi, est ainsi à la manœuvre pour l’achat d’avions Rafale par l’Egypte, dont elle a garanti le paiement.

Le président égyptien Sissi espère que sa participation aux bombardements contre les houthistes yéménites lui vaudra en retour une aide substantielle de Riyad contre l’autre chancre qui menace la stabilité arabe, à l’ouest, cette Libye tombée dans le chaos depuis l’intervention occidentale, où l’Etat islamique, parmi d’autres factions cruelles, met en scène l’égorgement de Coptes égyptiens ou de migrants éthiopiens, accusés d’être chrétiens.

Le maréchal Sissi, en fin tacticien, s’est attiré les bonnes grâces de la communauté internationale en affichant immédiatement son soutien à sa forte minorité chrétienne copte, ce qu’aucun dirigeant Egyptien n’avait jamais fait auparavant.

Ainsi, le jeu est plus ouvert que jamais, et l’Occident va devoir enfin décider de la stratégie à adopter dans la région, qui ne peut être de soutien unilatéral à l’un des deux camps, sous peine de voir le conflit dégénérer en une guerre de cent ans.

Dans ce monde rongé par la tentation de l’extrémisme islamique, vu par les populations déshéritées comme la dernière chance, la dernière protection, on ne peut décemment se défaire des quelques puissances régionales stables.

Il faut, par une politique habile, les amener à la table des négociations, et leur faire comprendre qu’à entériner et continuer ce jeu pervers de soutien à des rébellions ou à des djihadismes dans les pays voisins, c’est leur existence même qu’elles mettent en péril.

Jusqu’ici, l’engrenage d’alliances non-dites et de subventions cachées n’a servi personne : depuis la guerre du Liban dont on célèbre ces temps-ci le funeste quarantième anniversaire jusqu’au chaos yéménite, en passant par l’Irak, la Syrie, l’Egypte, la Libye, enfin tous ces faux printemps arabes, ce sont seulement la mort et la désolation qui ont été semées dans la régions, sans que l’on voit la moindre promesse d’espoir poindre à l’horizon.

Mais pour parvenir à rétablir certaine stabilité, tous les concours seront nécessaires : autant la Russie, que l’occident est bêtement allé défier en Ukraine, que l’Europe et les Etats-Unis, doivent abandonner leur vision à court-terme et leurs coups fourrés pour élaborer un Yalta dans le Golfe persique et généralement dans le monde arabo-musulman.

Sans quoi, c’est leur propre destruction, en sus de celle de ce monde, qu’ils préparent, comme en témoigne l’immense tragédie des migrants de Méditerranée utilisés par la Libye contre l’Europe.

charles-millon




Tunisie :les élections législatives qui viennent, le 26 octobre prochain, seront déterminantes pour le pays.

Malgré sa constitution modérée adoptée en janvier dernier, pèse encore sur la Tunisie l’épée de Damoclès de l’islamisme.

Les élections législatives qui viennent, le 26 octobre prochain, seront déterminantes pour le pays.

En effet, Ennahda, le parti lié aux Frères musulmans, qui avait hérité du pouvoir après la chute de Ben Ali, avant d’en concéder une partie à un « gouvernement de technos » il y a quelques mois, est en embuscade.

Rached Ghannouchi, son président, est en tournée promotionnelle actuellement en occident, notamment aux Etats-Unis, où il vante un islam modéré.

Familier du double discours depuis de longues années, celui qui il y a un an demandait aux salafistes « encore un peu de patience » avant de s’ébattre en liberté dans le pays, est prêt aujourd’hui à envisager une alliance avec les anciens partisans de Ben Ali.

C’est dire si la possibilité que le pouvoir lui échappe l’effraie.

Contre ces partis qu’il qualifie d’extrême-gauche, comme celui de Beji Caïd Essebsi, Nida Tounes, le mouvement islamiste ne recule devant rien.

Son bilan économique reste désespérément creux ?

Il feint de laisser entrer au gouvernement des experts issus de la société civile, tel Mehdi Jomaa, l’actuel Premier ministre, dont il est en réalité très proche.

La guerre contre le terrorisme ? En paroles, il la pratique et se propose comme médiateur avec la Libye ou le Yémen.

Dans les faits, il demeure proche du Hamas, de l’Arabie saoudite ou du Qatar, suivant les jours.

Or, à l’heure où le terrorisme islamique prend des proportions effrayantes, où la Libye est en proie à l’anarchie, que rien n’a été réglé dans le Sahel, pas même au Mali où se reforment les anciens groupes séparatistes ; alors que l’avenir de l’Algérie est imprévisible, puisque les jours de son président sont manifestement comptés, la France et plus généralement l’Europe ont besoin d’un allié sûr dans la région, pour que les dernières digues ne sautent pas.

Une Tunisie chaotique ou même islamiste est un luxe que la France ne peut se payer.

La Tunisie, malgré les impérities de la dictature de Ben Ali, fut sans doute le pays le plus avancé de la région en matière de libération des femmes et d’éducation des peuples, héritage de l’ère Bourguiba.

Son économie elle-même semblait presque prospère, bien que l’intérieur du pays, ferment de la révolution ait été oublié au profit des côtes touristiques.

Aujourd’hui, l’exode rural crée un nouveau lumpenprolétariat urbain à qui l’on ne promet aucun avenir, l’Etat incapable de protéger ses frontières en a fait une passoire pour migrants subsahariens à destination de l’Europe et de ses marches mêmes un terrain de jeu pour groupes terroristes.

Les beaux discours de M. Ghannouchi et de ses alliés ne parviennent plus à masquer l’échec patent de la politique des Frères, même au point de vue social : habiles pour choyer les pauvres quand ils ne sont pas au pouvoir et se créer une clientèle, ils se révèlent incapables de mener une politique véritable à la tête d’un Etat.

L’Egypte de Morsi en a administré une bonne preuve.

Ni la France ni l’Europe ne peuvent ni ne doivent intervenir dans le processus d’élections démocratiques en cours.

Il est cependant de leur devoir autant que de leur intérêt d’avertir les populations tunisiennes du désastre qu’elles se préparent si elles votent une fois encore pour le parti islamiste.

Du Proche-Orient à l’Afrique sahélienne, ce monde est une poudrière. Et la Tunisie est au milieu.

Charles Millon




Comment répondre réellement au défi de Daech ?

Certainement, la politique est l’art du possible.

Mais le possible, comme son nom l’indique, exige quelques limites.

La coalition qui agit actuellement en Irak et en Syrie contre l’EI a cru bon de nouer une alliance avec le Qatar et l’Arabie saoudite.

Le but avoué est sain : montrer qu’il ne s’agit pas d’une guerre de l’occident contre un monde arabo-musulman conçu comme un seul bloc monolithique.

Et il est vrai que les premières victimes de Daech sont les populations locales, qu’elles soient chrétiennes, yazidis ou de minorités musulmanes.

La longue apathie de la communauté internationale devant les crimes et massacres commis en Irak et en Syrie a été stupéfiante.

L’ONU, par exemple, qui avait dépêché une commission depuis 2011 pour enquêter sur les faits de guerre dans le conflit syrien, a attendu le 15 août pour adopter une position commune sur le sort fait aux minorités par l’Etat islamique, notamment les Yazidis et les chrétiens.

Les Américains sont intervenus en bombardant les positions ennemies pour soutenir des Kurdes débordés, de leur propre chef. Saine et nécessaire intervention, certes.

Mais un examen de conscience international serait nécessaire pour savoir qui finance et porte les idées de l’EI.

Il faut dénoncer le double jeu, celui des pétromonarchies du Golfe, mais pas seulement.

Les Américains notamment sont responsables : pour garantir leurs fournitures en pétrole, ils ont longtemps fait preuve d’une coupable mansuétude.

La France aussi est responsable, elle qui a vendu des armes sans se soucier de leur destination finale et qui pour obtenir des gros contrats avec le Qatar, sur le Rafale par exemple, a fermé les yeux sur les agissements louches de l’émirat.

En réalité, cette étrange situation ne concerne pas que l’Irak malheureusement, mais une grande part du monde arabe, jusqu’à la Libye, et même une partie de l’Afrique noire, avec les Shebabs de Somalie, et Boko Haram au Nigéria.

Il importe de dire haut et fort, enfin, que ces mouvements terroristes ne sont pas nés ex nihilo, ni ne se financent tout seuls.

Mais il faut que la coalition soit aussi enracinée : d’abord, il faut qu’elle ne soit pas simplement militaire. Mais aussi économique, politique et idéologique puisqu’elle fait face à un nouveau totalitarisme qui vise ces quatre desseins-là.

Pour remédier à cette situation, l’ONU et les instances internationales en général seraient avisées de se souvenir du précédent de l’apartheid d’Afrique du Sud : nombre de pays arabes actuels traitent leurs minorités exactement comme le faisait le régime d’apartheid.

A l’époque, l’ONU avait voté des déclarations et résolutions qui qualifiant le régime d’apartheid de « crime contre l’humanité » – comme l’adoption en 1973 de la Convention internationale pour l’élimination et la répression du crime d’apartheid – permirent d’isoler le pays sur la scène internationale pour provoquer son écroulement final.

Cette technique du boycott a fait ses preuves : on se demande ce que le monde attend pour l’appliquer aux trop nombreux régimes qui financent aujourd’hui le djihadisme.

Le « califat » est une barbarie. Mais l’Arabie saoudite, le Qatar, le Soudan, la Somalie, le Yémen, eux non plus ne tolèrent pas l’existence des chrétiens ni des autres minorités religieuses.

Au Maroc et en Algérie encore, quoique constitutionnellement il existe un droit des minorités, dans les faits, il est impossible d’y vivre en tant que chrétien.

Nous ne pouvons pas nous habituer à cette situation, ou alors nous ne sommes plus l’occident et nos valeurs n’ont aucun sens, et ne veulent rien dire.

Il y a un principe des minorités qu’il faut faire appliquer sans faiblir.

Il est d’ailleurs étonnant que le seul nom que l’on arrive à donner à ce territoire de terreur soit « l’Etat islamique ».

Comme il y avait une « Union des Républiques socialistes soviétiques » dont aucun terme n’indiquait la localisation géographique, cette dénomination témoigne de l’actualité de la pensée totalitaire.

Ces islamistes, qui ne reculent devant rien pour établir leur pouvoir, ni décapitation, ni assassinat des populations civiles, ni mutilation, s’inscrivent ainsi dans la suite de cette longue idée de territoire nettoyé de ses éléments « impurs » qui court dans le monde depuis au moins deux siècles.

En face, nous autres occidentaux, continuons de croire que notre civilisation est immortelle.

Que nous ayons défait deux grands totalitarismes au cours du siècle dernier semble nous interdire de nous interroger sur les menaces extrêmement pressantes à quoi nous devons faire face aujourd’hui.

Sur une menace précisément, celle du djihadisme mondialisé.

Les événements actuels, dont l’Etat islamique est la figure la plus identifiable et la plus cruelle, n’ont pas que des ressorts politiques, ou économiques, contrairement à ce que l’on essaie de nous faire accroire souvent.

Le nouvel ennemi, que nous n’avons pas recherché mais qui nous a désignés comme tel, est pétri de fanatisme et d’idéologie : il combat pour des convictions certainement déformées ; pour une foi, sans doute dénaturée puisqu’on nous le dit, mais pour une foi tout de même.

Ce qui ne laisse de nous interroger sur notre capacité à y répondre.

Car l’engagement religieux de ces islamistes leur promet le paradis, par quoi ils n’ont pas peur devant  la mort.

Oh, l’on dira que nos armes supérieures nous protègent de leur vindicte.

On a vu cependant plusieurs fois dans l’histoire les faibles vaincre les forts, seulement parce qu’une croyance, religieuse ou politique, les animait.

En réalité, nous sommes entrés dans une guerre de religion, et le monde politique occidental parce qu’il n’est plus religieux n’arrive pas à comprendre ce qui se passe.

Avec l’Etat islamique, ou Daech, comme on voudra l’appeler, nous fait face un bloc géographique presque cohérent qui nous désigne comme ennemi et qui possède des relais idéologiques chez nous, des populations  sympathisantes de l’intérieur.

La France, par exemple, avec près de 1.000 départs recensés depuis 2012, constitue aujourd’hui le premier contingent de djihadistes occidentaux opérant en Syrie et en Irak.

L’Etat islamique, mais aussi toutes les cellules d’Al-Qaida, comme Khorasan, ou celle qui a enlevé l’otage français en Algérie, est travaillé par le millénarisme et l’universalisme de son combat.

Il n’y aura pas de trêve pour nous. Les têtes de l’hydre sont nombreuses et comme dans le mythe ont tendance à repousser plus nombreuses quand on les tranche.

Non seulement des populations, en Syrie et en Irak, souffrent déjà du joug barbare que leur imposent ces combattants venus du monde entier, et dont la drogue, semble-t-il, comme le captagon, redouble la ferveur meurtrière, mais c’est encore ici même, à l’intérieur des pays occidentaux que par le truchement de Français de fraîche date de culture musulmane, ou de convertis, que se profile le risque d’attentats ou d’attaques violentes.

Il ne s’agit pas de céder à la paranoïa ou à une quelconque loi des suspects, et il faut se garder de la tentation de faire de l’antiterrorisme une politique de contrôle général des populations.

Mais il faut dans le même temps comprendre que la guerre est déclarée et qu’elle ne sera sans doute pas moins longue que la guerre froide contre le bloc communiste.

Se pose donc aussi le problème de la défense que l’on met en œuvre face à des phénomènes comme l’EI, la Libye, ou Boko Haram.

Notre système de défense est actuellement inadapté. Il faut imaginer autre chose pour contrer ces phénomènes de guerre asymétrique.

La dissuasion nucléaire et les armements lourds ne sont pas d’un grand secours dans ces circonstances.

Ce sont principalement les forces spéciales et les moyens de surveillance qui doivent être développés.




Iran

L’élection d’Hassan Rohani le 14 juin 2013, a soulevé de grandes espérances dans le monde entier.

Considéré comme un modéré, c’est‐à‐dire un centriste, à mi‐chemin des conservateurs à la botte des ayatollahs et des réformateurs comme l’ancien président Khatami, il serait l’homme idoine pour une reprise du dialogue avec un occident faisant bloc derrière Israël.

Pour avoir été en charge des négociations à propos du programme nucléaire au début des années 2000, il connaît très bien le sujet et semble vouloir jouer l’apaisement avec le groupe 5+1 (Chine, Russie, Etats‐Unis, Grande‐Bretagne, France et Allemagne).

Son élection au premier tour lui confère aussi une très grande légitimité auprès du peuple et même auprès des ayatollahs et devrait lui laisser les coudées franches, au moins un certain temps, pour normaliser les relations de l’Etat perse avec le reste de la planète.

L’isolement diplomatique de l’Iran depuis dix ans s’est doublé en effet d’un isolement économique, à la suite de sanctions financières notamment, décidées par l’UE et les Etats‐Unis.

Il en est résulté ces dernières années une inflation galopante (+30% annuels), une chute de la monnaie nationale, le rial, et une explosion du chômage.

Malgré cela, l’influence régionale du pays n’a pas diminué, bien au contraire.

La chute de Saddam Hussein en Irak a réveillé la communauté chiite du pays, dont une partie des cadres a été formée en Iran il y a longtemps.

Plus que jamais, Bachar el Assad, qui tient toujours et regagne du terrain, a besoin de cet allié, et le Hezbollah qui s’impose lui aussi en Syrie comme la formation politico‐ religieuse la plus redoutable de la région fait la preuve de l’habileté diplomatique iranienne qui en a fait son bras armé.

Du Liban à Téhéran, c’est un axe, encore instable, qui s’est formé à la faveur des guerres incohérentes des occidentaux et d’Israël de la dernière décennie.

Dans ce monde proche de l’implosion qu’est le Proche‐Orient, l’Iran et l’alliance chiite (étendue en l’occurrence aux Alaouites) est peut‐être la dernière sûreté qui demeure.

Mais le fait est que l’occident, et la France en particulier, ont parié ces derniers temps, notamment sous la présidence de Nicolas Sarkozy, sur une alliance avec les pétromonarchies sunnites, à qui étrangement personne ne fait grief de leur irrespect des droits de l’homme.

On connaît la situation en Arabie Saoudite, notamment celle faite aux femmes, aux étrangers et aux minorités religieuses, totalement ignorées et méprisées.

On sait aussi qu’à Bahrein quand se sont déclenchées les révolutions arabes, le peuple majoritairement chiite a été écrasé dans le sang par un émir sunnite sans que nulle part dans le monde on s’en émeuve.

Le Qatar, dont l’on sait les intérêts immenses en Europe, et surtout en France, a joué sa partie avec habileté contre les pouvoirs égyptiens et libyens qui empêchaient son hégémonie locale.

On sait notamment qu’il a armé volontairement des combattants salafistes en Libye, qui répandent maintenant la terreur dans leur propre pays et dans tout le Sahel.

Il serait peut‐être temps pour les diplomates européens de comprendre qu’ils ont semé dans cette alliance plus d’ivraie que de bon grain, et que les pétromonarchies sont des facteurs de discorde dans le monde musulman, arabe et africain.

Ainsi, on peut se demander si la bonne piste pour la France ne serait pas de traiter aujourd’hui avec l’Iran et d’entamer avec son nouveau président une négociation de fond ?

De tenter de trouver une voie modérée, refusant l’islamisme guerrier et le djihadisme.

Les négociations butent toujours sur la question du nucléaire, qui paraît pourtant de plus en plus « hystérisée » par les Etats‐Unis et Israël.

Le nouveau président Rohani a d’ailleurs ressorti du placard un accord qui avait été signé avec le président français Jacques Chirac en 2005 et qui prévoyait un droit pour l’Iran à pratiquer l’enrichissement d’uranium dans des buts civils en échange d’un engagement du pays devant l’AIEA à s’assurer qu’il ‘y aurait pas de but militaire.

C’est l’administration Bush qui, faisant pression sur le Royaume‐Uni, avait empêché que cet accord s’appliquât.

Même d’un point de vue strictement économique, la France aurait intérêt à rétablir des relations sereines avec la République islamique.

Alors qu’elle était encore le quatrième partenaire commercial de l’Iran dans les années 2000, elle n’est plus qu’en 15ème position depuis la mise en place de sanctions.

C’est surtout depuis que les exportations françaises vers Iran se sont effondrées, chutant de 2 milliards d’euros à 800 millions, c’est‐à‐dire une baisse de 70%.

Le quinquennat de Nicolas Sarkozy a été le coup de grâce porté à des relations florissantes.

Pour cette raison que d’autres nations, comme les Etats‐Unis qui sont pourtant le porte‐étendard de la mise à l’écart diplomatique du pays des ayatollahs n’ont pas le moins du monde renoncer à y exercer leurs intérêts économiques.

Malgré la loi d’Amato de 1996 qui s’attaquait au commerce des hydrocarbures, les Américains ont toujours poursuivi sans barguigner leurs échanges avec ceux qui les nomment les Grand Satan.

Selon un spécialiste, cité par Le Monde, « il vendent des ordinateurs Appel, des iPhones et du coca‐Cola, mais c’est difficile à chiffrer puisque ça se fait sous le manteau ».

L’ambassadeur d’Iran en France confirme, lui, que les exportations américaines ont bondi de 50% ces deux dernières années pendant que les européennes baissaient de moitié.

Les grandes sociétés françaises, comme Danone, Carrefour ou Renault, qui continuent de travailler là‐bas sont obligées de le faire à travers des franchises, des sociétés écrans ou par des montages complexes via le Liban ou la Russie.

C’est encore Peugeot, qui récemment allié au géant américain General Motors a été obligé de se retirer d’Iran pour ne pas froisser son nouvel ami américain.

L’Iran est un vieux pays d’un vieux continent, comme la France et les autres nations européennes.

Le chiisme qui y règne, quoi qu’on puisse lui reprocher, est relativement moins sévères vis‐à‐vis des minorités ou des femmes que le sunnisme wahabite de l’Arabie saoudite.

Le chiisme a de plus cet avantage notable pour des occidentaux cartésiens d’être fondé sur un clergé clairement identifié qui empêche les interprétations extravagantes de la charia, ou de l’islam en général.

En un mot, cela fait de l’Iran un pays stable, certes autocratique mais non tyrannique, avec qui il est possible de négocier sereinement et dont l’alliance permettrait, dans une vision de realpolitik, à la France et à l’Europe de relativiser l’influence grandissante des États du Golfe et d’aider à rétablir un ordre minimal dans un Proche‐Orient assis sur une poudrière.

Alors que la Turquie elle‐même semble au bord du chaos, la présence d’un allié sûr, stable et fort, s’impose.

L’Iran a étonné le monde ces derniers mois.

Ainsi, ce que nous avions appelé de nos vœux, c’est‐à‐dire une réintroduction en douceur du pays des Mollahs dans le concert des nations, est en voie de se réaliser.

Selon les termes de l’accord conclu les 23 et 24 novembre 2013 à Genève entre l’Iran et les six puissances chargées du dossier nucléaire, le pays ne pourra plus enrichir d’uranium au‐delà de 3,5% ou 5%, et son stock enrichi à 20% sera également neutralisé.

Cet accord, quoiqu’il ne coure que sur six mois et que son application, des deux côtés, mérite d’être contrôlée, constitue pourtant un premier pas significatif dans le règlement d’une crise qui a pris un essor notable il y a dix ans, mais qui date dans le fond d’il y a trente‐cinq ans, lors de l’accession de l’ayatollah Khomeiny au pouvoir.

Aux termes de l’accord de Genève, l’Iran va pour sa part pouvoir récupérer au cours des six prochains mois plus d’un milliard et demi de dollars issus de la vente d’or et de métaux précieux, bloqués à l’étranger par l’embargo financier.

Puis au fur et à mesure de la réalisation de ses engagements, Téhéran peut espérer retirer plus de 4 milliards de dollars de ses exportations pétrolières.

Un ballon d’oxygène bienvenu dans la situation actuelle de l’économie iranienne, ainsi que des perspectives encourageantes pour l’avenir, si d’autres allégements de sanctions interviennent par la suite.

Voilà qui pourrait enrayer la fuite des capitaux et même relancer les investissements.

Car ces deux dernières années l’Iran a perdu des dizaines de milliards de dollars du fait des sanctions internationales.

Du côté occidental, et même du reste du monde, nul doute qu’on y gagne aussi sur le plan économique.

L’Iran n’est pas la Somalie, c’est même la première puissance régionale du Proche‐Orient et la fermeture de son marché nuisait aux entreprises européennes et américaines, pendant que la Russie et la Chine, moins regardantes, et surtout alliées dans le fond à Téhéran, ne se gênaient pas pour y investir et, du côté de Pékin, pour y acheter du pétrole.

Cet accord révèle en outre plusieurs bouleversements majeurs.

D’abord, à l’intérieur même du pouvoir iranien.

Même si Hassan Rohani a été élu parce qu’il était modéré, surtout après Ahmadinejad, et pour sortir l’Iran de l’impasse dans laquelle il s’était enfermé, il est certain qu’il n’aurait pu conclure cet accord sans l’aval du Guide suprême.

On a donc pris conscience au plus haut niveau du gouvernement que le monde a changé et que le jusqu’au‐boutisme est devenu impossible.

Le rials, la monnaie iranienne, menaçait en effet de s’effondrer complètement.

Mais cet accord et cette ouverture au reste du monde impliquent aussi que les Gardiens de la Révolution ont accepté que leur part, prégnante, dans les revenus de la manne pétrolière diminue.

Il y a donc une redistribution des cartes, encore timide, entre les pouvoir civil et religieux dans le pays.

Ensuite, l’attitude bienveillante du président américain Barak Obama laisse présager un renversement général des alliances dans le monde.

Ou en tout cas, une position nouvelle des États‐Unis sur l’échiquier mondial.

Les négociations secrètes de l’été dernier, entre américains et iraniens, révélées récemment, ne sont que pour étonner les naïfs, et notamment la diplomatie européenne qui n’a absolument pas pris la mesure de ce qui était en train de se jouer.

La position de la France particulièrement, belliqueuse à la fois sur le dossier syrien et sur le dossier iranien, menaçant même de faire échouer l’accord, est retardataire.

Faut il y voir la conséquence de l’alliance, conclue sous Nicolas Sarkozy et poursuivie sous François Hollande de l’Hexagone avec les pays de la péninsule, notamment le Qatar et l’Arabie saoudite ?

Alors que les États‐Unis ont manifestement décidé depuis un certain temps de se désengager, diplomatiquement et militairement du Proche‐Orient et du monde arabe au profit de la sphère asiatique, l’Europe continue de croire que le grand jeu se déroule toujours sur ce terrain‐là, ne menant d’ailleurs même pas sa propre politique étrangère, mais s’identifiant à ce qu’elle croit être encore la politique américaine.

Alors que les États‐Unis, proches d’atteindre l’autonomie énergétique grâce à leur exploitation des gaz et pétroles de schiste, sur leur propre territoire, ont de moins en moins besoin de leur vieil allié l’Arabie

saoudite.

Par là même, leur attitude ambiguë vis‐à‐vis des mouvements islamistes financés plus ou moins par les pétromonarchies se dissipe.

En témoigne leur recul sur la question syrienne.

Et dans un monde proche‐oriental totalement déstabilisé par les guerres d’Irak et de Syrie, ils ont besoin d’un acteur stable et fort.

C’est l’Iran qui semble prédestiné à jouer ce rôle, nonobstant les hauts cris israéliens.

Plus, les États‐Unis ont besoin de répondre à l’influence grandissante de la Russie, et de la Chine, dans la région.

L’administration américaine a sans nul doute pris conscience que le réel jouait contre elle, et que soutenir indéfiniment la ligne wahhabite ne lui rapporterait rien, quand Vladimir Poutine de son côté triomphe comme le défenseur des peuples opprimés.

Enfin, dans un Irak géré désormais par des chiites, rétablir la stabilité passe aussi par sa capacité à s’entendre avec le grand voisin de la même obédience, l’Iran.

Ce qui explique que le Premier Ministre irakien chiite Nouri al Maliki ait visité Téhéran dès l’accord conclu.

Victoire donc de la diplomatie, mais surtout de la realpolitik, et l’Europe, toujours arc‐boutée sur de grands principes loin du réel, a intérêt à en prendre de la graine, et rapidement, si elle veut continuer de jouer un rôle dans la région.

Pour l’instant, seul le Royaume‐Uni, pragmatique, en a pris la mesure en envoyant un diplomate dans la capitale de Mollahs.

Par ailleurs, loin d’entretenir la guerre meurtrière sunnites‐chiites, cet accord semble aider pour le moment à une certaine normalisation de leurs relations.

Ainsi, le ministre des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif – le grand gagnant politiquement, avec Hassan Rohani de la situation ‐ a effectué début décembre une tournée dans les pays du golfe – hors l’Arabie Saoudite.

Dans cet accord se trouve peut‐être simplement la clef de la résolution de nombre de conflits actuels, et de la diminution du terrorisme.

Si les clauses en sont respectées dans les mois qui viennent, et si les démocrates américains parviennent à résister aux pressions belliqueuses des faucons républicains et d’Israël, Barack Obama aura peut‐être réussi le triple tour de force de briser une vieille inimitié, de mettre un coup d’arrêt à l’influence grandissante de ses rivaux

que sont la Russie et la Chine dans la région et d’ouvrir un marché nouveau à ses entreprises.

De son côté, l’Iran devient enfin ce qu’il est, la principale puissance régionale, capable d’aider à la résolution du conflit syrien, de mettre fin aux guérillas terroristes sunnites, et de renouer des relations économiques conformes

à sa grandeur.

Les grands perdants risquent d’être les autres pays de l’OPEP et la Russie, que le retour du pétrole perse va violemment toucher économiquement, en poussant les cours à la baisse ; et l’Europe qui a donné l’impression d’être à la traîne du mouvement général de l’histoire actuelle.

Il est temps pour elle de réagir.

Charles Millon




Centrafrique – l’intervention française

Le rétablissement de la paix civile sera long sans doute en République centrafricaine.

L’Etat est réduit à sa plus simple expression, les caisses du trésor sont vides ‐ et l’on murmure que le précédent président François Bozizé, en fuite, n’est pas étranger à cette pénurie – le peuple enfin et surtout est maintenant

profondément divisé.

C’est certainement la question la plus préoccupante.

La Centrafrique ne s’était pas jusque là illustrée, contrairement à nombre d’autres pays du continent, par des émeutes ethniques, et les différentes composantes de sa société vivaient plutôt en bonne intelligence.

Mais le déferlement de la Séléka, bande inorganisée de rapaces à quoi se sont mélangés des éléments islamistes venus du nord ou de pays avoisinants, a mis au jour pour la première fois un antagonisme possible entre la majorité chrétienne et la minorité musulmane septentrionale.

Alors que l’armée et la police gouvernementales ont été réduites à leur plus simple expression, les exactions continues, pendant des mois, ont conduit les populations de la capitale à s’organiser en milices d’autodéfense.

C’est à cette situation, extrêmement tendue et couvant des massacres comme la nuée l’orage, que la France doit faire face, depuis qu’elle a renforcé ses troupes sur place, avec l’opération Sangaris.

La situation sécuritaire à Bangui est devenue plus tendue et préoccupante encore depuis l’attaque de la capitale le 5 décembre 2013 par des hommes armés anti‐Séléka, comprenant des anti‐balaka et des ex‐faca, parmi lesquels des hommes de l’ancienne garde présidentielle.

Ces attaques visaient sans doute à causer le maximum de pertes dans les rangs de l’ex‐Séléka et à entrainer un soulèvement populaire contre les autorités au pouvoir.

Mais la riposte des ex‐Séléka et surtout leurs représailles contre la population ont été très violentes et féroces.

Le conflit glisse ainsi insidieusement vers une guerre civile, interreligieuse ou inter communautaire : les ex‐Séléka et populations musulmanes d’un côté et les anti‐Séléka et populations chrétiennes de l’autre.

Par crainte des représailles de l’ex‐Séléka, de nombreuses populations des quartiers de Bangui ont quitté leur domicile pour trouver refuge près de l’aéroport protégé par les Français et dans les églises, tandis que des populations musulmanes se réfugiaient, elles, dans des mosquées.

Cette situation s’est aussi répercutée dans d’autres localités de province, notamment à Bossangoa et Bouar. Depuis le 5 décembre, les troupes françaises ont été renforcées, pour être portées à 1600 hommes.

Elles  sont présentes surtout à Bangui et à Bossangoa, mais aussi à Bouar et à Bossembélé dans le nord‐ouest, région très meurtrie par les exactions de l’ancienne rébellion.

Mais c’est surtout depuis le 9 décembre que les soldats français patrouillent en nombre dans Bangui, en véhicules sur les grandes artères et à pied dans les quartiers périphériques, désarmant tous les groupes armés qui ne sont pas cantonnés.

En coordination avec les troupes françaises, la force africaine Micopax, soit 2500 hommes qui devraient être renforcés par 850 burundais et 650 congolais, patrouille dans la ville et protège les nombreux sites de populations déplacées dans Bangui.

Le bilan provisoire de cette semaine de violences est estimé à plus de 500 morts dans la seule ville de Bangui, sans compter la ville de Bossangoa et la région environnante qui connait des affrontements similaires.

Un soldat du contingent tchadien a été grièvement blessé le 11 décembre. De nombreux blessés sont enregistrés.
La situation humanitaire déjà catastrophique ne cesse de s’aggraver.

Des tensions persistent encore avec des éléments de l’ex‐rébellion Séléka ; des tireurs isolés parfois en tenue civile tirent sur des patrouilles Micopax ou Sangaris.

Au‐delà des affrontements entre communautés, d’innombrables difficultés s’opposent à une résolution simple du conflit : notamment un manque de cohésion au sein de la Micopax dû au comportement de certains éléments du contingent tchadien ; mais aussi la présence de tireurs isolés de l’ancienne Séléka, parfois déguisés en civil, qui tirent sur les patrouilles Micopax ou françaises.

Devant l’horreur des massacres, notamment d’enfants, la France a fait son devoir en intervenant, avec l’accord de la communauté internationale, même si celui‐ci est venu bien tard.

Mais afin de sauvegarder la crédibilité des Forces Micopax et Sangaris, il importe aujourd’hui que le principe d’impartialité soit strictement respecté.

Tous les groupes armés sans exception (ex‐Séléka ou anti‐Séléka) doivent être désarmés, tout en veillant à empêcher les populations de s’adonner à des actes de vengeance les unes contre les autres.

De même, le contingent tchadien doit être rappelé à l’ordre et mis en garde contre tout agissement contraire aux règles d’engagement de la Micopax.

Dans tous les cas, l’emploi de ce contingent dans les opérations de sécurisation mérite une attention toute particulière afin d’éviter de discréditer la Micopax et la Misca – la nouvelle force africaine qui doit lui succéder.

Enfin, le transfert d’autorité de la Micopax à la Misca prévu pour le 19 décembre 2013 devra absolument être effectif, la période transitoire actuelle rendant particulièrement vulnérables les populations.

L’Europe de son côté, ne s’est pas précipitée pour donner un coup de main, et encore une fois la France est partie seule, comme au Mali.

Le 17 décembre, Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères, a enfin annoncé qu’il avait bon espoir que certains pays européens envoient des troupes au sol.

L’Europe finance déjà la Misca, mais elle aurait aussi intérêt à prendre sa part dans l’effort militaire français. Elle y a intérêt notamment  pour éviter des futurs Lampedusa.

La stabilisation de l’Afrique serait profitable pour le monde entier.

D’autant plus qu’à travers le cas précis de la Centrafrique, de nombreux problèmes actuels du continent s’expriment.

Il y a d’abord le problème, sur lequel on ne peut continuer de jeter un voile pudique, de la progression systématique de l’islamisme depuis 10 ans dans toute la région.

Et il s’agit d’un islam conquérant soutenu par l’Arabie saoudite, le Qatar, tous les pays sunnites en général, à l’œuvre au Mali, au Nigéria, au Soudan et même au Tchad.

En face, des populations chrétiennes ou animistes qui attendent un secours du reste du monde. Il y a encore l’éternel problème des frontières : le seul mot Centrafrique ne signifie‐t‐il que nous ne sommes pas face à un véritable pays ?

La question des identités est de plus en plus prégnante dans un continent dont les habitants ne se reconnaissent réellement que dans leurs tribus ou leurs ethnies.

Il faut se demander quand la communauté internationale osera enfin prendre le taureau par les cornes, et aider l’Afrique à inventer un autre type de démocratie, taillé sur sa mesure à elle.

Enfin, la Centrafrique a été manifestement victime de pillage de ses ressources depuis des années par des prédateurs étrangers, Etats ou grands groupes internationaux, dans les domaines du diamant, du pétrole ou de l’uranium.

Ses élites corrompues, dont François Bozizé comme Michel Djotodia sont de parfaits exemples, doivent être enfin remplacées par des gouvernants véritables, soucieux du bien commun.

On susurre aujourd’hui le nom de Martin Ziguélé, ancien Premier ministre d’Ange‐Félix Patassé, comme possible candidat lors des élections qui devraient être organisées rapidement.

Il jouit d’une réputation d’humaniste au fait des questions nationales et internationales qui plaide en sa faveur.

Il n’est que temps que la Centrafrique se découvre de vraies élites pour la gouverner, quelque forme qu’elle  prenne dans les années qui viennent.

Charles Millon




Religions et géopolitique méditerranéenne

L’implantation et la croissance de l’islam en Europe occidentale, généralement le fait de lourds mouvements de population, sont aujourd’hui très connues et documentées.

L’immigration massive qui a lieu depuis une quarantaine d’années contribue à changer le visage religieux des grandes métropoles européennes et de leurs banlieues, imposant des défis de taille aux autorités des nations concernées, à propos notamment de l’expression publique de la nouvelle religion.

On ignore cependant que les équilibres immémoriaux sont bouleversés des deux côtés de la Méditerranée : les pays culturellement musulmans, ceux du Maghreb ou de la péninsule arabique, sont confrontés eux aussi à un nouveau paramètre, le développement du christianisme derrière leurs frontières, qu’il soit le fait de populations autochtones converties ou d’une fraîche immigration de masse.

Les chiffres parlent pourtant d’eux‐mêmes : en Arabie saoudite, terre sacrée de l’islam et par là particulièrement répressive au point de vue de la liberté religieuse, où aucun autre culte public que musulman n’est autorisé, on compte pourtant 1,5 million de chrétiens, majoritairement catholiques, soit 4% de la population.

Ce sont principalement des travailleurs immigrés, qui gardent le statut d’étrangers, mais dont la présence, renforcée par celle des expatriés occidentaux, se fait de plus en plus embarrassante pour la dynastie régnante.

Celle‐ci envoie depuis une dizaine d’années des signes contradictoires : ainsi le roi d’Arabie a rencontré le Pape Benoît XVI au Vatican en 2007, à la suite de quoi l’on évoquait la construction d’une église à Riyad.

Mais début 2012, le grand mufti d’Arabie saoudite a réclamé le destruction de toutes les églises de la région, rappelant que la tradition islamique interdisait qu’on tolère quelque culte que ce soit à proximité des lieux saints que sont Médine et La Mecque, villes dans lesquelles les chrétiens n’ont d’ailleurs pas le droit d’entrer.

Reste que la population chrétienne est bien présente, fournissant une main‐d’œuvre bon marché dont le pays aurait du mal à se passer.

L’Église orthodoxe russe a obtenu elle le droit de bâtir sur le territoire de son ambassade une église qui arbore croix et autres signes chrétiens ostensibles.

Les chiffres des micro‐États du Golfe sont à l’avenant : à Bahreïn on compte 5% de chrétiens, aux Emirats arabes unis près de 10%, au Koweit 8%, à Oman 2,5 et au Qatar 5%, pour la plupart des expatriés et surtout des travailleurs immigrés venus des Philippines ou d’Inde participer aux pharaoniques projets qu’ont initiés les pétromonarchies ces dernières décennies.

Même si les modalités d’acquisition de la nationalité de ces Etats sont très restrictives, ces travailleurs étant donc destinés à demeurer des étrangers, les communautés chrétiennes qu’ils fondent  constituent  tout de même un potentiel danger  social  pour les dirigeants.

L’Égypte, on  le sait, compte  depuis  toujours une grosse minorité copte, antérieure à l’islamisation du pays, estimée aujourd’hui à 11% de la population et dont la chute de Moubarak a rendu la situation plus précaire encore. La poussée islamique que le président Morsi tente de maîtriser et d’utiliser à son profit risque de poser de manière plus brûlante encore la question du statut des non‐musulmans dans le pays.

Si la Libye compte, elle, une infime minorité chrétienne, la situation est plus complexe dans les pays du Maghreb, surtout en Algérie et au Maroc.

Même si les chiffres varient grandement – pour l’Algérie, ils vont ainsi selon les sources de 50 000 à 200 000 conversions au christianisme – il est impossible de nier qu’il se passe quelque chose dans ces pays, une ouverture à d’autres confessions, que l’on tenait pour inimaginable depuis mille ans.

Les conversions au christianisme sont, autant qu’on puisse en juger, d’abord le fait de la communauté amazighe (kabyle, ou berbère) qui a, depuis l’invasion arabe, conservé des traits culturels distinctifs, notamment l’usage d’une langue propre et à qui l’islam, en tant que transmis par le Coran, demeure linguistiquement étranger.

La Kabylie est en outre la seule région d’Algérie où du temps de la colonisation française une tentative d’évangélisation ait eu lieu, sous la houlette du Cardinal Lavigerie.

Reste que le réveil de la communauté berbère, en Algérie et au Maroc singulièrement, s’est  opéré synchroniquement avec la vague  de conversion au christianisme depuis vingt ans.

Les légendes les plus abracadabrantes courent sur les méthodes prosélytes des églises évangéliques, comme le fait qu’elles distribueraient visas et dollars contre une adhésion, mais elles n’ont jamais été prouvées.

Le gouvernement algérien, même si le satisfait à l’évidence le colportage de ces ragot, est pourtant forcé de reconnaître depuis peu l’évolution des chiffres : quand il faisait état de 0,06% de chrétiens en 2002, il en admet aujourd’hui 0,7%. La CIA avance, elle, 1% de chrétiens et de Juifs dans tout le pays.

Quoique tous ces chiffre soient apprendre avec précaution, l’augmentation demeure Quoique tous ces chiffres soient à prendre avec précaution, l’augmentation demeure significative et si un petit pour cent de population ne risque pas en soi de bouleverser l’identité ’un pays ni son équilibre, les signes sont là que les Algériens sont nombreux à aspirer aujourd’hui à autre chose qu’à la religion de leurs pères, surtout quand elle a tendance à se durcir comme dans l’époque actuelle.

La présence dans les postes de télévision de pas moins de dix chaines chrétiennes, émettant bien entendu de l’étranger, semble d’après les rares témoignages recueillis auprès des nouveaux convertis contribuer à cette ouverture au reste du monde.

Cependant, face à ce mouvement indéniable, les persécutions des autorités vont bon train depuis une dizaine d’années.

Si la constitution algérienne, héritée de sa fondation socialiste « moderne », reconnaît la liberté du culte, les entorses sont légion. Depuis 2005, l’enseignement de la charia est devenu obligatoire pour tous les élèves du secondaire ; parallèlement, le contrôle des prêches s’est étendu et la distribution de certains ouvrages religieux est interdite.

Toutes dispositions qui invoquées sous l’habituel argument de la lutte contre le terrorisme sont prises pour lutter contre les églises chrétiennes.

La loi de 2006, la plus sévère, qui réprime le prosélytisme et oblige de réclamer une approbation des autorités avant de prêcher, a conduit à de nombreuses fermetures de lieu de cultes, ainsi qu’à l’expulsion de dizaines de pasteurs protestants.

Au Maroc, au‐delà des chiffres ubuesques officiels – tout citoyen du pays, hors quelques milliers de Juifs, sont censés être musulmans ‐ on note aussi une très forte croissance des adhésions aux églises évangéliques, de l’ordre de 3% par an, ce qui porterait le nombre de chrétiens à plus de 100 000.

Il ne faut pas négliger aussi la venue de migrants subsahariens, qu’ils soient étudiants ou refoulés lors de leur tentative de passage vers l’Europe, qui gonfle les chiffres des disciples du Christ.

Ainsi, la géopolitique méditerranéenne actuelle doit‐elle prendre en compte ces deux facteurs inverses que sont la croissance de l’islam en Europe, des Balkans à la Scandinavie en passant par la France et le Royaume‐Uni, et la naissance d’un nouveau christianisme au sud du Bassin.

Si les législations européennes sont particulièrement tolérantes pour la liberté du culte, ce n’est pas encore le cas de tous les pays d’Afrique ou de la péninsule arabique, qui vont pourtant devoir répondre à la question dans les années qui viennent.

Charles Millon