Le Pape devant l’Europe et le monde

On aurait tort de recevoir les deux discours du Pape François le 25 novembre dernier, devant le Parlement européen et le Conseil de l’Europe, comme des allocutions anecdotiques et circonstancielles.

Tort aussi de penser qu’elle s’adressait exclusivement aux citoyens européens et à leurs représentant.

Le souverain Pontife y dessine une perspective géopolitique pour le monde entier,à charge pour les gouvernements et les institutions internationales de l’appliquer.

Certainement, le pape n’a toujours pas de divisions, selon le bon mot de Staline : cela n’empêche pas la diplomatie vaticane de demeurer l’une des plus influentes du monde, comme le premier pas vers une réconciliation entre Cuba et les Etats-Unis vient de le prouver.

C’est même sans doute cette absence de puissance matérielle, cette « politique de la faiblesse », qui constitue le cœur du succès de cette géopolitique catholique.

Les discours de François ont eu pour but, en effet, de rappeler aux instances européennes, mais aussi aux puissants du monde entier, la nécessité du recours à une vraie universalité pour parvenir à organiser autrement la planète.

Il s’agit selon lui de « maintenir vivante la réalité des démocraties est un défi de ce moment historique, en évitant que leur force réelle – force politique expressive des peuples – soit écartée face à la pression d’intérêts multinationaux non universels, qui les fragilisent et les transforment en systèmes uniformisés de pouvoir financier au service d’empires inconnus. »

Le pape conteste ainsi formellement la croyance, bien ancrée depuis plusieurs siècles dans l’esprit des occidentaux,et croyance que l’accélération de la mondialisation a décuplé ces dernières décennies, en une humanité que le seul « doux commerce » unirait et rendrait fraternelle.

C’est une critique adressée, certes, à l’union européenne actuelle qui s’est fondée sur une monnaie et un marché unique, au risque de détruire les économies nationales et locale, mais aussi aux grands ensembles prométhéens qui tentent de se constituer partout sur le globe, comme ce Traité transatlantique que négocient Europe et États-Unis : « On constate avec regret, affirme-t-il sans détours, une prévalence des questions techniques et économiques au centre du débat politique ». Ce qui induit selon lui une destruction générale des rapports humains.

Il ne faut pas considérer les paroles du Saint-Siège comme relavant seulement d’une question morale, que l’on pourrait admettre ou refuser de manière privée : elles ont aussi une portée générale, c’est-à-dire politique, et concernent à ce titre tout le monde.

Notamment quand il assure que l’on assiste à « une revendication toujours plus grande des droits individuels, qui cache une conception de la personne humaine détachée de tout contexte social et anthropologique, presque comme une « monade » (μονάς), toujours plus insensible aux autres « monades »présentes autour de soi », les implications sociales et politiques de cette situation, si elle est vraie, sont vertigineuses et dramatiques.

Dans le sens où l’on subit une dénaturation de la démocratie, non plus conçue comme ce régime capable de protéger les minorités, mais seulement comme une puissante machine à satisfaire les désirs uniformes des masses.

Ainsi, « si le droit de chacun n’est pas harmonieusement ordonné au bien plus grand, il finit par se concevoir comme sans limites et, par conséquent, devenir source de conflits et de violences » :ce que l’on constate notamment dans le développement planétaire de l’islamisme, dont l’État islamique constitue le cas d’école.

Liberté est donnée à une idéologie d’appliquer aveuglément ses conditions totalitaires, au détriment des minorités présentes.

« Quelle dignité existe vraiment, quand manque la possibilité d’exprimer librement sa pensée ou de professer sans contrainte sa foi religieuse ? », demande François.

Et la démocratie libérale déchue se trouve dans l’impossibilité de répondre à cet état de fait qui pourtant la nie complètement parce qu’elle a oublié qui elle était et d’où elle venait.

Le discours du Pape est éclairant, géopolitiquement, en tant qu’il arrive à lier harmonieusement vocation universelle de l’Europe et respect des identités.

« Je suis convaincu, dit-il, qu’une Europe capable de mettre à profit ses propres racines religieuses, sachant en recueillir la richesse et les potentialités, peut être plus facilement immunisée contre les nombreux extrémismes qui déferlent dans le monde d’aujourd’hui, et aussi contre le grand vide d’idées auquel nous assistons en Occident ».

Alors que le terrorisme islamique déferle partout, notamment en Europe, cet appel à une connaissance neuve de ce qui nous fonde exige une réponse.

Réponse non pas égoïste, d’un nationalisme qui se renfermerait derrière une identité pure fantasmée, mais réponse ouverte et constructive, généreuse, parce qu’« à côté d’une Union Européenne plus grande, il y a aussi un monde plus complexe, et en fort mouvement.

Un monde toujours plus interconnecté et globalisé, et donc de moins en moins « eurocentrique ».

La destinée de l’Europe, que l’on a tendance à oublier, est certainement de « prendre soin de la fragilité des peuples et des personnes », et de répondre « aux nombreuses injustices et persécutions qui frappent quotidiennement les minorités religieuses, en particulier chrétiennes, en divers endroits du monde ».

Mais voilà qui exige, au-delà des paroles, une intelligence de la situation géopolitique mondiale actuelle.

Par exemple, l’alignement complet de l’Europe sur la politique de puissance américaine répond-il à cette demande de complexité ?

Certainement non, comme les cas ukrainien, syrien et libyen l’ont montré.

L’acharnement unilatéral contre le régime de Bachar el Assad a durablement aveuglé nos gouvernants qui n’ont pas vu que derrière lui, et contre lui, il y avait pire ; la mise au pilori de Vladimir Poutine a réduit l’Union européenne au rang de valet pusillanime des intérêts américains en Ukraine ; l’attaque irréfléchie de Mouammar Kadhafi a in fine libéré des forces délétères dans toute l’Afrique que nous sommes maintenant incapables de contrôler.

Où l’on voit que l’oubli de la complexité du monde, et notamment des minorités qui le composent, comme les chrétiens d’Orient, la réaction épidermique et simplette sous l’aiguillon médiatique, sont des trahisons de l’esprit européen de mesure et de protection des faibles.

Les discours du Pape François, s’ils étaient écoutés et pris en compte, pourraient constituer l’amorce d’une reconstruction des rapports sociaux internes aux nations occidentales, où la subsidiarité, la question des limites seraient réellement prises en compte ; mais aussi d’une « nouvel ordre »du monde plus équilibré, et enfin réellement humaniste.

Publié par Charles Millon · 6 février 2015, 10:43




L’Europe devant les séparatismes et le fédéralisme

Une révolution silencieuse a lieu en Europe.

Obnubilés par les questions de relance économique et par le poids de la dette, gouvernements et commission européenne refusent de regarder en face le problème qui leur est posé, et d’affronter le défi qui leur est lancé.

Ce problème est celui des frontières.

Mais il revêt une double complexité, car il concerne à la fois les frontières extérieures et les frontières intérieures de l’Europe.

Le président français François Mitterrand avait ce mot mystérieux et clairvoyant quand on l’interrogeait sur les frontières de l’Europe : « L’Europe est partout là où il y a des monastères bénédictins ».

La crise ukrainienne corrobore ce jugement aux apparences hâtives.

La véritable scission intérieure du pays recoupe celle des religions, lesquelles sont productrices de culture : l’ouest ukrainien qui tend vers l’Europe est majoritairement catholique, et d’ascendance historique polonaise ; l’est est orthodoxe et naturellement inscrit dans le giron russe.

Ces frontières civilisationnelles ne sont certes pas intangibles ni gravées dans le marbre, mais une politique réaliste d’organisation du monde doit les prendre en compte.

De même que l’entrée de la Turquie en Europe – heureusement repoussée, quand l’on voit que le pays accueille aujourd’hui les leaders des Frères musulmans – posait surtout un problème de civilisation et de religion, la frontière orientale de l’Europe se heurte à l’imperium historique russe.

Le génie politique consisterait à traiter d’égal à égal, sans mépris et sans naïveté, avec Vladimir Poutine, pour redéfinir des zones d’influence justes, que modèreraient des Etats-tampons.

Mais, plus loin que ce problème, à y regarder de près, l’ouest européen ne sait plus lui-même qu’il est véritablement, Ecosse, Catalogne, Pays basque, Lombardie, Bavière, cette Europe actuelle fourmille de régions, de provinces qui réclament une autonomie supérieure, voire une indépendance complète.

Même si le résultat du référendum écossais a été négatif, le phénomène reste profond, et les dirigeants britanniques eux-mêmes l’ont admis.

L’Assemblée de Catalogne a, elle, décidé de lancer un référendum pour l’indépendance du territoire, contre l’avis de Madrid.

Et les réactions des autres capitales, autant bruxelloises que nationales, consistent plutôt en un silence gêné qu’en une affirmation de principes.

Car des principes en la matière, plus personne n’en possède vraiment : l’indépendance du Kosovo ou à un autre niveau, la séparation de la Tchéquie et de la Slovaquie ont montré que les frontières, souvent tracées au cours des XIXè et XXè siècles n’étaient pas intangibles.

Mais si en Europe de l’ouest, malgré l’absence de réponse claire, le processus garde des dimensions paisibles et démocratiques, ce qui se passe en Europe centrale et de l’est manifeste le trouble général du Vieux continent.

En Ukraine, face aux appétits de la Russie naturellement impériale, l’Union européenne a été incapable de réagir calmement et diplomatiquement.

Cachée derrière les Etats-Unis, elle a été obligée d’admettre les revendications des séparatistes pro-russes, perdant la partie face à Vladimir Poutine.

Il faut pourtant se poser la question de la fin du système westphalien, qui depuis trois siècles a confondu l’Etat et la nation.

Il faut aussi admettre que l’on n’a jamais réussi à remplacer les systèmes impériaux qui prévalaient dans ces régions-ci, et qui se sont effondrés en 1918 puis en 1991.

Comprendre ce qui se passe, c’est admettre que la dimension, la mission et le rôle d’une bonne part des Etats européens ne correspondent plus au monde moderne.

Ces Etats sont soit trop petits, soit trop grands.

Or, les citoyens ont aujourd’hui soif de retrouver une proximité politique. Car une région possède une histoire, des familles, des paysages évidents, avec lesquels on noue une familiarité immédiate.

Pourquoi l’avenir de l’Europe ne s’inscrirait-il dans ce cadre ?

Ce qui se manifeste à travers cette volonté d’indépendance ou d’autonomie accrue, c’est la réaction à l’hybris qui sévit ici depuis 1945.

Une hybris qui au nom de grands projets industriels, économiques ou d’aménagement du territoire, a sacrifié les peuples, leurs modes de vie, leurs racines et leurs attachements locaux.

Après la rapide période d’extension des Trente Glorieuses, principalement due au bas coût de l’énergie mondiale, l’Europe s’est réveillée avec la gueule de bois.

Et l’on redécouvre, mais un peu tard, l’adage de Schumacher, c’est-à-dire que « small is beautiful ».

On redécouvre aussi ce qu’affirmait il y a quarante ans le philosophe Ivan Illich, c’est-à-dire « qu’au-delà d’un niveau critique de consommation d’énergie par tête, dans toute société, le système politique et le contexte culturel doivent dépérir ».

Au lieu de commencer par se définir économiquement pour trouver une identité propre, l’Europe aurait tout intérêt à renverser les priorités et à procéder en sens inverse : c’est en laissant le pouvoir concret redescendre vers les communautés locales et les collectivités de base que non seulement elle réapprendra qui elle est, mais qu’en sus, elle redonnera à ses peuples les moyens de se développer économiquement et partant de recouvrer leur dignité.

Les cas de l’Allemagne et de la France prouvent que les collectivités les plus efficaces en nombre de matières sont respectivement les Länder et les Régions : les transports, la culture, l’éducation, partout où l’on a expérimenté leur gestion à ces niveaux territoriaux, les gains en ont été accru et la confiance avec les citoyens, qui se sentent ainsi maîtres de leurs destins, restaurée.

A l’heure où l’on parle tant de démocratie participative, il est temps de s’y risquer réellement, notamment avec ces référendums d’initiative populaire, que pratique déjà notre voisine suisse.

Il faut néanmoins relever que ce sont les régions riches qui évidemment réclament aujourd’hui la séparation ou l’indépendance : c’est pourquoi demeure naturellement le besoin d’une collectivité supérieure qui en contrepartie d’attributions particulières (Défense, environnement, ou certains transports) mette en place une politique de péréquation entre toutes les collectivités locales.

Paradoxalement une Europe puissante et capable d’intervenir dans l’ordre du monde, ne se fera pas sans un retour vers sa base.

Car, rappelons-le, la démocratie, si elle consiste dans un mode de gouvernement issu du plus grand nombre, n’existe pourtant pas si elle ne protège pas du même mouvement ses minorités. Dans ce sens, le temps des Etats centralisateurs et méprisant des identités locales, est passé.

Il est temps que nous grandissions en sagesse politique, c’est-à-dire que nous diminuions nos modes de contrôle, de surveillance et de standardisation.

Un nouveau mode d’organisation décentralisé, et plus si affinités, et sans doute la clef de l’avenir de l’Europe, le retour à son identité et à un fonctionnement économique plus juste et plus respectueux de l’homme.




Comment répondre réellement au défi de Daech ?

Certainement, la politique est l’art du possible.

Mais le possible, comme son nom l’indique, exige quelques limites.

La coalition qui agit actuellement en Irak et en Syrie contre l’EI a cru bon de nouer une alliance avec le Qatar et l’Arabie saoudite.

Le but avoué est sain : montrer qu’il ne s’agit pas d’une guerre de l’occident contre un monde arabo-musulman conçu comme un seul bloc monolithique.

Et il est vrai que les premières victimes de Daech sont les populations locales, qu’elles soient chrétiennes, yazidis ou de minorités musulmanes.

La longue apathie de la communauté internationale devant les crimes et massacres commis en Irak et en Syrie a été stupéfiante.

L’ONU, par exemple, qui avait dépêché une commission depuis 2011 pour enquêter sur les faits de guerre dans le conflit syrien, a attendu le 15 août pour adopter une position commune sur le sort fait aux minorités par l’Etat islamique, notamment les Yazidis et les chrétiens.

Les Américains sont intervenus en bombardant les positions ennemies pour soutenir des Kurdes débordés, de leur propre chef. Saine et nécessaire intervention, certes.

Mais un examen de conscience international serait nécessaire pour savoir qui finance et porte les idées de l’EI.

Il faut dénoncer le double jeu, celui des pétromonarchies du Golfe, mais pas seulement.

Les Américains notamment sont responsables : pour garantir leurs fournitures en pétrole, ils ont longtemps fait preuve d’une coupable mansuétude.

La France aussi est responsable, elle qui a vendu des armes sans se soucier de leur destination finale et qui pour obtenir des gros contrats avec le Qatar, sur le Rafale par exemple, a fermé les yeux sur les agissements louches de l’émirat.

En réalité, cette étrange situation ne concerne pas que l’Irak malheureusement, mais une grande part du monde arabe, jusqu’à la Libye, et même une partie de l’Afrique noire, avec les Shebabs de Somalie, et Boko Haram au Nigéria.

Il importe de dire haut et fort, enfin, que ces mouvements terroristes ne sont pas nés ex nihilo, ni ne se financent tout seuls.

Mais il faut que la coalition soit aussi enracinée : d’abord, il faut qu’elle ne soit pas simplement militaire. Mais aussi économique, politique et idéologique puisqu’elle fait face à un nouveau totalitarisme qui vise ces quatre desseins-là.

Pour remédier à cette situation, l’ONU et les instances internationales en général seraient avisées de se souvenir du précédent de l’apartheid d’Afrique du Sud : nombre de pays arabes actuels traitent leurs minorités exactement comme le faisait le régime d’apartheid.

A l’époque, l’ONU avait voté des déclarations et résolutions qui qualifiant le régime d’apartheid de « crime contre l’humanité » – comme l’adoption en 1973 de la Convention internationale pour l’élimination et la répression du crime d’apartheid – permirent d’isoler le pays sur la scène internationale pour provoquer son écroulement final.

Cette technique du boycott a fait ses preuves : on se demande ce que le monde attend pour l’appliquer aux trop nombreux régimes qui financent aujourd’hui le djihadisme.

Le « califat » est une barbarie. Mais l’Arabie saoudite, le Qatar, le Soudan, la Somalie, le Yémen, eux non plus ne tolèrent pas l’existence des chrétiens ni des autres minorités religieuses.

Au Maroc et en Algérie encore, quoique constitutionnellement il existe un droit des minorités, dans les faits, il est impossible d’y vivre en tant que chrétien.

Nous ne pouvons pas nous habituer à cette situation, ou alors nous ne sommes plus l’occident et nos valeurs n’ont aucun sens, et ne veulent rien dire.

Il y a un principe des minorités qu’il faut faire appliquer sans faiblir.

Il est d’ailleurs étonnant que le seul nom que l’on arrive à donner à ce territoire de terreur soit « l’Etat islamique ».

Comme il y avait une « Union des Républiques socialistes soviétiques » dont aucun terme n’indiquait la localisation géographique, cette dénomination témoigne de l’actualité de la pensée totalitaire.

Ces islamistes, qui ne reculent devant rien pour établir leur pouvoir, ni décapitation, ni assassinat des populations civiles, ni mutilation, s’inscrivent ainsi dans la suite de cette longue idée de territoire nettoyé de ses éléments « impurs » qui court dans le monde depuis au moins deux siècles.

En face, nous autres occidentaux, continuons de croire que notre civilisation est immortelle.

Que nous ayons défait deux grands totalitarismes au cours du siècle dernier semble nous interdire de nous interroger sur les menaces extrêmement pressantes à quoi nous devons faire face aujourd’hui.

Sur une menace précisément, celle du djihadisme mondialisé.

Les événements actuels, dont l’Etat islamique est la figure la plus identifiable et la plus cruelle, n’ont pas que des ressorts politiques, ou économiques, contrairement à ce que l’on essaie de nous faire accroire souvent.

Le nouvel ennemi, que nous n’avons pas recherché mais qui nous a désignés comme tel, est pétri de fanatisme et d’idéologie : il combat pour des convictions certainement déformées ; pour une foi, sans doute dénaturée puisqu’on nous le dit, mais pour une foi tout de même.

Ce qui ne laisse de nous interroger sur notre capacité à y répondre.

Car l’engagement religieux de ces islamistes leur promet le paradis, par quoi ils n’ont pas peur devant  la mort.

Oh, l’on dira que nos armes supérieures nous protègent de leur vindicte.

On a vu cependant plusieurs fois dans l’histoire les faibles vaincre les forts, seulement parce qu’une croyance, religieuse ou politique, les animait.

En réalité, nous sommes entrés dans une guerre de religion, et le monde politique occidental parce qu’il n’est plus religieux n’arrive pas à comprendre ce qui se passe.

Avec l’Etat islamique, ou Daech, comme on voudra l’appeler, nous fait face un bloc géographique presque cohérent qui nous désigne comme ennemi et qui possède des relais idéologiques chez nous, des populations  sympathisantes de l’intérieur.

La France, par exemple, avec près de 1.000 départs recensés depuis 2012, constitue aujourd’hui le premier contingent de djihadistes occidentaux opérant en Syrie et en Irak.

L’Etat islamique, mais aussi toutes les cellules d’Al-Qaida, comme Khorasan, ou celle qui a enlevé l’otage français en Algérie, est travaillé par le millénarisme et l’universalisme de son combat.

Il n’y aura pas de trêve pour nous. Les têtes de l’hydre sont nombreuses et comme dans le mythe ont tendance à repousser plus nombreuses quand on les tranche.

Non seulement des populations, en Syrie et en Irak, souffrent déjà du joug barbare que leur imposent ces combattants venus du monde entier, et dont la drogue, semble-t-il, comme le captagon, redouble la ferveur meurtrière, mais c’est encore ici même, à l’intérieur des pays occidentaux que par le truchement de Français de fraîche date de culture musulmane, ou de convertis, que se profile le risque d’attentats ou d’attaques violentes.

Il ne s’agit pas de céder à la paranoïa ou à une quelconque loi des suspects, et il faut se garder de la tentation de faire de l’antiterrorisme une politique de contrôle général des populations.

Mais il faut dans le même temps comprendre que la guerre est déclarée et qu’elle ne sera sans doute pas moins longue que la guerre froide contre le bloc communiste.

Se pose donc aussi le problème de la défense que l’on met en œuvre face à des phénomènes comme l’EI, la Libye, ou Boko Haram.

Notre système de défense est actuellement inadapté. Il faut imaginer autre chose pour contrer ces phénomènes de guerre asymétrique.

La dissuasion nucléaire et les armements lourds ne sont pas d’un grand secours dans ces circonstances.

Ce sont principalement les forces spéciales et les moyens de surveillance qui doivent être développés.




DAECH: nous sommes entrés dans une guerre de religion

Nous autres occidentaux, continuons de croire que notre civilisation est immortelle.

Ce n’est pas parce que nous avons défait deux grands totalitarismes au cours du siècle dernier que nous devons nous interdire de nous interroger sur les menaces extrêmement pressantes auxquelles nous devons faire face aujourd’hui.

Et sur l’une d’entre elle, plus que les autres, celle du djihadisme mondialisé : le totalitarisme vert.

Les événements actuels, dont l’Etat Islamique (EI) est la figure la plus identifiable et la plus cruelle, n’ont pas que des ressorts politiques ou économiques, contrairement à ce que l’on essaie de nous faire croire.

Le nouvel ennemi qui nous déclare la guerre, sans que nous ne l’ayons cherché, est pétri de fanatisme religieux: il combat pour des convictions déformées; au nom d’une foi sans doute dénaturée, mais au nom d’une foi tout de même.

Nous sommes entrés dans une guerre de religion, et le monde politique occidental parce qu’il a évacué la dimension religieuse est dans l’incapacité de comprendre ce qui se passe.

Avec l’Etat islamique, nous fait face un bloc géographique presque cohérent qui nous désigne comme ennemi et qui possède des relais idéologiques chez nous, des populations sympathisantes de l’intérieur.

La France, avec près de 1.000 départs recensés depuis 2012, constitue aujourd’hui le premier contingent de djihadistes occidentaux opérant en Syrie et en Irak.

L’Etat islamique, mais aussi toutes les cellules d’Al‐Qaida, comme Khorasan, ou celle qui a enlevé l’otage français en Algérie,sont travaillées par le millénarisme et l’universalisme de leur combat.

Il n’y aura pas de trêve pour nous car le Djihad leur promet le paradis, et de ce fait ils n’ont pas peur devant la mort.

Les têtes de l’hydre sont nombreuses et comme dans le mythe ont tendance à repousser plus nombreuses quand on les tranche.

Non seulement les populations, en Syrie et en Irak,souffrent déjà du joug barbare que leur imposent ces combattants venus du monde entier, et dont la drogue, semble‐t‐il, comme le captagon, redouble la ferveur meurtrière, mais c’est encore ici même, à l’intérieur des pays occidentaux que par le truchement de Français de culture musulmane, ou de convertis, que se profile le risque d’attentats ou d’attaques violentes.

Ce qui nous amène à nous interroger sur notre capacité à répondre à ce défi.

Beaucoup pensent que nos armes supérieures nous protègent de la vindicte : on a vu plusieurs fois dans l’histoire les faibles mus par leur seule foi religieuse ou politique, vaincre les forts.

Il ne s’agit pas de céder à la paranoïa.

Mais il faut comprendre que la guerre est déclarée avec le totalitarisme vert : elle ne sera sans doute pas moins longue que la guerre froide contre le totalitarisme rouge…

Charles Millon




Crise Ukrainienne

Nous sommes en 14, mais de quel siècle ?

Face à l’affaire ukrainienne, on peut s’interroger :s’agit-il du XXème ou du XXIème ?

En effet, en 1914 l’Europe s’embrasait par un subtil et pervers jeu d’alliance à la suite d’une sombre affaire balkanique et se déclarait à elle-même cette première guerre qui avant d’être mondiale fut une dramatique guerre civile, dont le résultat fut l’effondrement des grandes puissances européennes, la perte de leur influence et de leur rayonnement, et l’émergence de l’imperium illimité des Etats-Unis.

Aujourd’hui, c’est avec cette Russie dont l’histoire politique et culturelle, civile et religieuse témoigne de l’intégration dans la civilisation européenne que le Vieux continent menace de rompre des liens séculaires, par aveuglement ou par ineptie géopolitique.

Il est de la responsabilité des grands dirigeants du monde européen d’y réfléchir à deux fois avant que de s’aligner uniment sur les positions de l’ONU et des Etats-Unis. L’histoire ne pardonne pas deux fois la même erreur – si tant est d’ailleurs qu’elle nous ait pardonné la première.

Le premier devoir des Européens,s’ils veulent exister en tant que puissance, est le discernement.

Quel est aujourd’hui l’ennemi, celui qui menace intrinsèquement la stabilité,l’équilibre, l’harmonie et à terme l’existence de l’Europe, ce continent aux racines judéo-chrétiennes et à la double personnalité orientale et occidentale ?

Certainement pas les Russes ou Vladimir Poutine :aujourd’hui, l’ennemi de l’Europe, c’est évidemment d’abord l’islamisme radical dans son expression politique, démographique et surtout terroriste. Et sous un angle économique et civilisationnel, l’Inde ou la Chine dont la volonté d’expansion ne nous fera pas de quartier.

Les raisons de la crise ukrainienne touchent bien entendu aux difficultés de maturation d’une identité propre à un peuple, mais aussi à notre incapacité à nous mettre autour d’une table avec la puissance russe pour discuter diplomatiquement.

Le drame du vol de la Malaysia Airlines, même si l’on en ignore encore les responsables, démontre qu’à trop tarder à agir, on risque l’enlisement dans une sale guerre.

Les institutions européennes actuelles restent pendantes sur les questions de politique étrangère et de défense.

Chacun tire à hue et à dia, et manifestement, les intérêts immédiats de l’Allemagne ou de certains pays d’Europe centrale ne sont pas les mêmes que ceux de la France vis-à-vis de l’Ukraine et de la Russie.

Est-ce une raison pour ne pas initier une politique européenne et attendre que finisse le face-à-face Poutine-Obama ?

Non, l’Europe, du fait de sa proximité géographique et culturelle avec la Russie doit enfin devenir son premier interlocuteur dans ces « marches » que sont l’Ukraine ou la Biélorussie.

Le sentiment antirusse développé par certaines de nos élites, au motif que la grande nation ouralienne ne répondrait pas aux stricts critères démocratiques n’a pas sa place dans cette politique et dans ces négociations.

L’Europe doit participer activement à l’élaboration d’une fédération ukrainienne, solution qui s’impose évidemment.

Conférer de l’autonomie à la Crimée comme à d’autres territoires, notamment en suivant les lignes de partage des langues maternelles des populations est notre affaire, avec la Russie, bien plus que celle de l’administration de la Maison blanche.

L’Europe a beaucoup à partager avec son voisin russe, ne serait-ce qu’au point de vue de l’héritage culturel, religieux, littéraire et artistique qui nous est commun.

Nous avons du mal à nous comprendre avec la Russie de Vladimir Poutine : ce n’est certainement pas notre seule faute.

Poutine est-il un le si grand stratège que l’on dépeint ?

Au-delà de ses manifestations de force, hier en Géorgie, aujourd’hui en Ukraine, qu’elles soient à visage découvert ou masquées, il ne faut pas oublier que le dirigeant russe a besoin de mener une politique étrangère forte pour faire oublier à son peuple son échec interne.

Ainsi,l’économie russe actuelle ne se porte pas bien : Poutine a certes mis au pas les oligarques qui avaient prospéré sous Elstine, mais ça a été pour les remplacer par d’autres, aux ordres du Kremlin, mais qui perpétuent tout de même l’image d’une société à deux vitesses où une minuscule élite nargue un peuple toujours pauvre, désencastré de l’économie mondiale, à la démographie toujours faible et à l’espérance de vie pitoyable.

De même, le fantasme d’une Russie homogène culturellement et religieusement est à déconstruire : les banlieues de Moscou sont pleines de ressortissants des Républiques musulmanes d’Asie centrale et si Poutine joue le matador face au péril islamiste, arguant de la lointaine expérience russe avec les Tatars, il n’est pas interdit de croire que la Russie très chrétienne se réveille demain avec des apprentis-terroristes sur son sol, ou tout simplement avec des minorités revendicatives.

Et la très puissante manifestation du racisme en Russie, couplée à un mépris, pour le moins, vis-à-vis des personnes homosexuelles, ne plaide pas en faveur de l’harmonie sociale.

La Russie, enfin, reste extrêmement dépendante de son économie d’exportation de matières premières,principalement dans le domaine des hydrocarbures et des minerais. La richesse de ses sous-sols, incontestable, a tendance à écraser le reste des secteurs économiques et met le pays à la merci des variations de prix mondiales, comme la crise de 2007-2008 l’a prouvé.

Tous ces paramètres que nous venons d’énumérer doivent être pris en compte, ensemble, par les Européens s’ils veulent pouvoir penser une nouvelle relation, apaisée et ferme, avec le grand voisin aux 140 millions d’habitants.

Certainement, la Russie est un pays qui fait montre d’un fort nationalisme : mais est-il finalement plus puissant et plus agressif que celui des Etats-Unis, de la Chine ou de l’Inde ?

La question ne se situe pas précisément ici en fait, mais plutôt dans la capacité que nous avons à appréhender cette semi-étrangeté que constitue pour des Européens centraux et de l’ouest cet immense continent, et globalement tout le monde historiquement orthodoxe.

Héritier de Byzance, de la Grèce autant que des Khanats mongols, l’espace civilisationnel russe nous est comme un cousin lointain, plein de ressemblances qui parfois sont des pièges pour ce qu’elles recèlent de différences latentes.

Mais ce cousin nous est peut-être aussi proche finalement que le cousin américain : nous nous ressemblons, notamment dans le façonnement historique par le christianisme, mais nos christianismes eux-mêmes sont différents.

Nos espaces géographiques sont foncièrement antithétiques et partant le rapport des population à la géographie : comme les Américains, les Russes sont les conquérants de grands espaces sauvages et rudes, à la différence des Européens qui habitent un jardin parfaitement ordonné et domestiqué.

Nos mœurs sont différentes et pourtant elles se rejoignent dans une certaine idée de l’universel, de l’homme,des rapports familiaux, de la place donnée à la femme et, dans la théorie au moins, dans notre compréhension des droits de l’homme.

La Russie demeure un voisin sauvage mais qui s’est aussi constitué depuis deux siècles en empruntant des traits déterminants à la culture européenne.

Ainsi, deux urgences s’imposent à la politique étrangère européenne et à sa diplomatie : la première, calmer la tendance « paranoïaque » russe actuelle, persuadée que l’occident en général veut sa destruction ; la seconde, marquer fermement les limites de l’influence russe, notamment en Ukraine.

Ces deux préalables sont les conditions sine qua non pour que se réveille la politique étrangère européenne,c’est-à-dire qu’elle redevienne indépendante et forte, non pour asseoir une illusoire puissance, mais pour perpétuer la paix là où elle existe encore dans le monde.




La protection des chrétiens d’Orient

Assurer la protection des chrétiens d’Orient, garantir la liberté de culte, sont des obligations impératives pour toute démocratie attachée à la défense de la liberté personnelle et à la protection des minorités.

La France a traditionnellement, depuis François 1°, toujours protégé, aidé, soutenu les chrétiens d’Orient.

C’est le résultat d’une longue histoire. Aujourd’hui, il est du devoir de tous les responsables religieux, politiques, intellectuels etc… de se mobiliser pourque les chrétiens d’Orient puissent continuer à résider là où ils habitent déjà depuis des siècles.

Bien sûr, nous devons leur assurer l’accueil s’ils doivent fuir et la France doit être pour eux une terre d’asile et d’espérance.

Mais si l’accueil des réfugiés est une priorité, il ne doit pas être compris comme l’acceptation de l’épuration islamiste, de l’injonction des jihadistes : Partez ou convertissez-vous à l’islam !

Nous assistons à l’émergence et au début d’un nouveau totalitarisme : le totalitarisme vert.

Il provoque des crimes contre l’humanité comme le souligne le secrétaire général de l’ONU. Il instaure des régimes politiques oppressifs, il atteint aux plus élémentaires droits de l’homme, il viole la dignité de la personne.

Que les responsables politiques en prennent conscience et que les experts des instances internationales, qu’elles relèvent de l’ONU ou de l’Europe, prennent des décisions aussi énergiques que pour l’affaire ukrainienne.

Que les responsables politiques tirent des conclusions des événements récents en Irak et en Lybie : les interventions ont créé des situations pires que celles qu’on voulait modifier.

Dans ces deux pays, les droits les plus fondamentaux de la personne ont été bafoués.

Charles Millon




Europe : un enjeu de civilisation

Europe : un enjeu de civilisation

Par Charles Millon

    • Mis à jour le 17/04/2014 à 09:36
    • Publié le 16/04/2014 à 12:30
Paul DELORT / Le Figaro

FIGAROVOX/TRIBUNE : A l’approche des européennes, l’ancien ministre Charles Millon nous livre sa vision de l’Europe. Celle-ci, avant d’être un espace politique ou marchand, doit renouer avec ses fondements civilisationnels.


Charles Millon a été ministre de la Défense du gouvernement Alain Juppé, de 1995 à 1997.


La corruption des meilleurs engendre le pire, comme le savaient les Anciens. C’est peut-être ce qui menace le monde aujourd’hui si l’Europe ne se reprend pas. Je veux parler ici de la véritable Europe, non du monstre hybride de Bruxelles moitié techno moitié despote éclairé qui entend régler la vie de chaque citoyen dans chaque détail. Et qui dans le même temps est incapable d’assurer la protection de ses membres, de s’asseoir seule, comme une grande, à la table des négociations avec la Russie, ni même d’organiser la projection de troupes pour soutenir l’armée française en Centrafrique.

Cette impuissance a des causes profondes, qui sont nées de la trahison du projet européen originel. J’ai longtemps appartenu à cette famille politique proche de la démocratie-chrétienne, celle qui a posé les premiers fondements de l’Europe au lendemain de la guerre, espérant la vacciner à jamais contre le moloch national-socialiste et la retenir face aux sirènes communistes. C’est peu de dire que cette famille a disparu du paysage politique en France. Mais ses idées demeurent et elles sont révolutionnaires comme seule la tradition sait l’être.

Dans la grande bataille en cours qui verra l’Europe ou disparaître sous les traits d’un hypermarché sans identité, vassalisé encore plus par un Traité transatlantique que l’on négocie secrètement, ou recouvrer son identité, les grands partis dits de gouvernement ne seront d’aucun secours. Ils vont répétant leurs discours sur l’élargissement et l’intégration, gestionnaires du désastre.

Ailleurs, on va nous parler d’immigration, de surveillance des frontières ou de sortie de l’euro: de graves sujets qui touchent en effet profondément les populations d’Europe, et d’abord les plus pauvres. Mais ce sont des causes secondes et ceux qui les évoquent se gardent bien d’évoquer les causes premières: l’oubli des fondements propres de l’Europe. Le Front national nouvelle manière a non seulement conservé ses anciennes incohérences économiques mais y a ajouté l’oubli des racines spirituelles, intellectuelles, artistiques et religieuses de l’Europe.

La question n’est pas de nature économique: sur ce plan l’Europe est parvenue à organiser un grand marché unique même si cela s’est fait en ignorant trop souvent la vraie vie de l’homme, ses communautés immédiates de travail, de famille, d’ancrage local, de croyances, de culture, et d’amitié.

Nous ne sommes plus aujourd’hui confrontés à un problème de gouvernement, mais à un problème de l’existence humaine elle-même. C’est un vrai changement de civilisation qui est en cours.

Parce que compte tenu de la financiarisation de l’économie et de la compétition sans pitié entre les grands groupes, le travail est devenu progressivement la variable d’ajustement des restructurations d’entreprises.

Parce que dans un climat dominé par le matérialisme et le scientisme, la personne humaine devient l’objet d’expériences pour poursuivre la dernière des utopies: suppression de la différence homme/femme, volonté de créer des enfants de toutes pièces, eugénisme…

Parce que la personne humaine est devenue seconde ontologiquement par rapport à une nature qui a été déifiée.

Nous ne voulons pas de cette Europe de la consommation, de la technique, de cette Europe des robots dont parlait Bernanos.

A nous de trouver les moyens d’y résister. Européens, la civilisation est ce qui nous rassemble. Et pas n’importe laquelle: la civilisation européenne est la seule civilisation qui soit un jour effectivement devenue universelle. Car elle se fonde sur cette croyance que tous les hommes sont égaux en dignité quels que soient leurs origines, leurs races, leurs nations, leurs religions, leurs handicaps. Elle se réfère à une culture de vie et d’espérance. L’Europe est le creuset où se sont forgées deux valeurs fondamentales: la dignité de la personne et la liberté politique. Valeurs inventées par les Antiques et le christianisme et laïcisées par l’idéal révolutionnaire à travers toute l’Europe d’est en ouest. Ces valeurs, nous avons le devoir de les affirmer contre la folie du monde.




Religions et géopolitique méditerranéenne

L’implantation et la croissance de l’islam en Europe occidentale, généralement le fait de lourds mouvements de population, sont aujourd’hui très connues et documentées.

L’immigration massive qui a lieu depuis une quarantaine d’années contribue à changer le visage religieux des grandes métropoles européennes et de leurs banlieues, imposant des défis de taille aux autorités des nations concernées, à propos notamment de l’expression publique de la nouvelle religion.

On ignore cependant que les équilibres immémoriaux sont bouleversés des deux côtés de la Méditerranée : les pays culturellement musulmans, ceux du Maghreb ou de la péninsule arabique, sont confrontés eux aussi à un nouveau paramètre, le développement du christianisme derrière leurs frontières, qu’il soit le fait de populations autochtones converties ou d’une fraîche immigration de masse.

Les chiffres parlent pourtant d’eux‐mêmes : en Arabie saoudite, terre sacrée de l’islam et par là particulièrement répressive au point de vue de la liberté religieuse, où aucun autre culte public que musulman n’est autorisé, on compte pourtant 1,5 million de chrétiens, majoritairement catholiques, soit 4% de la population.

Ce sont principalement des travailleurs immigrés, qui gardent le statut d’étrangers, mais dont la présence, renforcée par celle des expatriés occidentaux, se fait de plus en plus embarrassante pour la dynastie régnante.

Celle‐ci envoie depuis une dizaine d’années des signes contradictoires : ainsi le roi d’Arabie a rencontré le Pape Benoît XVI au Vatican en 2007, à la suite de quoi l’on évoquait la construction d’une église à Riyad.

Mais début 2012, le grand mufti d’Arabie saoudite a réclamé le destruction de toutes les églises de la région, rappelant que la tradition islamique interdisait qu’on tolère quelque culte que ce soit à proximité des lieux saints que sont Médine et La Mecque, villes dans lesquelles les chrétiens n’ont d’ailleurs pas le droit d’entrer.

Reste que la population chrétienne est bien présente, fournissant une main‐d’œuvre bon marché dont le pays aurait du mal à se passer.

L’Église orthodoxe russe a obtenu elle le droit de bâtir sur le territoire de son ambassade une église qui arbore croix et autres signes chrétiens ostensibles.

Les chiffres des micro‐États du Golfe sont à l’avenant : à Bahreïn on compte 5% de chrétiens, aux Emirats arabes unis près de 10%, au Koweit 8%, à Oman 2,5 et au Qatar 5%, pour la plupart des expatriés et surtout des travailleurs immigrés venus des Philippines ou d’Inde participer aux pharaoniques projets qu’ont initiés les pétromonarchies ces dernières décennies.

Même si les modalités d’acquisition de la nationalité de ces Etats sont très restrictives, ces travailleurs étant donc destinés à demeurer des étrangers, les communautés chrétiennes qu’ils fondent  constituent  tout de même un potentiel danger  social  pour les dirigeants.

L’Égypte, on  le sait, compte  depuis  toujours une grosse minorité copte, antérieure à l’islamisation du pays, estimée aujourd’hui à 11% de la population et dont la chute de Moubarak a rendu la situation plus précaire encore. La poussée islamique que le président Morsi tente de maîtriser et d’utiliser à son profit risque de poser de manière plus brûlante encore la question du statut des non‐musulmans dans le pays.

Si la Libye compte, elle, une infime minorité chrétienne, la situation est plus complexe dans les pays du Maghreb, surtout en Algérie et au Maroc.

Même si les chiffres varient grandement – pour l’Algérie, ils vont ainsi selon les sources de 50 000 à 200 000 conversions au christianisme – il est impossible de nier qu’il se passe quelque chose dans ces pays, une ouverture à d’autres confessions, que l’on tenait pour inimaginable depuis mille ans.

Les conversions au christianisme sont, autant qu’on puisse en juger, d’abord le fait de la communauté amazighe (kabyle, ou berbère) qui a, depuis l’invasion arabe, conservé des traits culturels distinctifs, notamment l’usage d’une langue propre et à qui l’islam, en tant que transmis par le Coran, demeure linguistiquement étranger.

La Kabylie est en outre la seule région d’Algérie où du temps de la colonisation française une tentative d’évangélisation ait eu lieu, sous la houlette du Cardinal Lavigerie.

Reste que le réveil de la communauté berbère, en Algérie et au Maroc singulièrement, s’est  opéré synchroniquement avec la vague  de conversion au christianisme depuis vingt ans.

Les légendes les plus abracadabrantes courent sur les méthodes prosélytes des églises évangéliques, comme le fait qu’elles distribueraient visas et dollars contre une adhésion, mais elles n’ont jamais été prouvées.

Le gouvernement algérien, même si le satisfait à l’évidence le colportage de ces ragot, est pourtant forcé de reconnaître depuis peu l’évolution des chiffres : quand il faisait état de 0,06% de chrétiens en 2002, il en admet aujourd’hui 0,7%. La CIA avance, elle, 1% de chrétiens et de Juifs dans tout le pays.

Quoique tous ces chiffre soient apprendre avec précaution, l’augmentation demeure Quoique tous ces chiffres soient à prendre avec précaution, l’augmentation demeure significative et si un petit pour cent de population ne risque pas en soi de bouleverser l’identité ’un pays ni son équilibre, les signes sont là que les Algériens sont nombreux à aspirer aujourd’hui à autre chose qu’à la religion de leurs pères, surtout quand elle a tendance à se durcir comme dans l’époque actuelle.

La présence dans les postes de télévision de pas moins de dix chaines chrétiennes, émettant bien entendu de l’étranger, semble d’après les rares témoignages recueillis auprès des nouveaux convertis contribuer à cette ouverture au reste du monde.

Cependant, face à ce mouvement indéniable, les persécutions des autorités vont bon train depuis une dizaine d’années.

Si la constitution algérienne, héritée de sa fondation socialiste « moderne », reconnaît la liberté du culte, les entorses sont légion. Depuis 2005, l’enseignement de la charia est devenu obligatoire pour tous les élèves du secondaire ; parallèlement, le contrôle des prêches s’est étendu et la distribution de certains ouvrages religieux est interdite.

Toutes dispositions qui invoquées sous l’habituel argument de la lutte contre le terrorisme sont prises pour lutter contre les églises chrétiennes.

La loi de 2006, la plus sévère, qui réprime le prosélytisme et oblige de réclamer une approbation des autorités avant de prêcher, a conduit à de nombreuses fermetures de lieu de cultes, ainsi qu’à l’expulsion de dizaines de pasteurs protestants.

Au Maroc, au‐delà des chiffres ubuesques officiels – tout citoyen du pays, hors quelques milliers de Juifs, sont censés être musulmans ‐ on note aussi une très forte croissance des adhésions aux églises évangéliques, de l’ordre de 3% par an, ce qui porterait le nombre de chrétiens à plus de 100 000.

Il ne faut pas négliger aussi la venue de migrants subsahariens, qu’ils soient étudiants ou refoulés lors de leur tentative de passage vers l’Europe, qui gonfle les chiffres des disciples du Christ.

Ainsi, la géopolitique méditerranéenne actuelle doit‐elle prendre en compte ces deux facteurs inverses que sont la croissance de l’islam en Europe, des Balkans à la Scandinavie en passant par la France et le Royaume‐Uni, et la naissance d’un nouveau christianisme au sud du Bassin.

Si les législations européennes sont particulièrement tolérantes pour la liberté du culte, ce n’est pas encore le cas de tous les pays d’Afrique ou de la péninsule arabique, qui vont pourtant devoir répondre à la question dans les années qui viennent.

Charles Millon