Charles Millon: « La politique étrangère d’Emmanuel Macron est illisible »

Mondafrique. Comment expliquez vous l’échec de l’intervention française au Mali ?

Charles Millon. Pour comprendre la situation actuelle, il faut revenir à la double erreur historique qui a été commise par tous les gouvernements maliens. La première est d’avoir toujours refusé de prendre réellement en compte les problèmes des minorités, qu’il s’agisse des peuls ou des touaregs.

Amadou Toumani Touré, dit ATT, le président malien entre 2002 et 2012 que j’ai bien connu et toujours apprécié avait l’obsession d’un État unitaire. Sur ce sujet, il était têtu comme une mule. . Pas question pour le pouvoir à Bamako d’envisager la moindre autonomie régionale, alors que le Nord Mali couvre une surface égale aux deux tiers du pays.

La seconde erreur aura été la cécité de la classe politique malienne à prendre en compte la terrible conjonction entre les djihadistes et les trafiquants qui transportaient la drogue à travers le Mali depuis la Guinée Bissau jusqu’au Niger ou au Burkina. Il y a eu une sorte d’alliance objective entre les mouvements irrédentistes et les groupes armés. Hélas, le pouvoir malien a toujours fermé les yeux sur ces multiples trafics qui ont financé le terrorisme

Mondafrique. La France a-t-elle commis des erreurs graves d’appréciation durant ces neuf années de présence au Mali?

Charles Millon. La première erreur dramatique aura été la guerre que Nicolas Sarkozy a mené en Libye. Lors de la chute de Khadafi, les touaregs qui avaient été enrôlés dans l’armée libyenne ont rejoint, lourdement armés, leur pays d’origine. Ils ont constitué, surtout dans le Nord du Mali, le noyau dur des groupes djihadistes.

Autre dommage collatéral, la fin brutale du régime libyen a permis Vladimir Poutine de remettre les pieds en Afrique.   La Russie possède aujourd’hui des champs de pétrole importants en Libye !

Ce n’est pas la seule erreur française. Si notre armée a eu raison d’intervenir pour éteindre l’incendie djihadiste, elle aurait du agir en pompier et très vite préparer sa sortie. En restant sur place, les soldats français qui avaient été accueillis en 2013 comme des libérateurs, ont été perçus neuf ans plus tard comme une armée d’occupation. Nos militaires ont été des boucs émissaires commodes pour des armées locales qui décampaient face aux groupes armés tandis que nos soldats étaient tués. C’est un peu comme ce qui s’est passé en Afghanistan pour les Américains. . .

Certains patrons de l’armée française réfléchissent d’ailleurs à de nouveaux modes d’intervention via des forces de réaction rapides et aéroportées qui ne s’enliseraient pas sur place. Les bases militaires, on l’a vu, deviennent des cibles pour les terroristes..

Mondafrique. On entend souvent qu’en Libye comme au Mali la France a privilégié la seule logique militaire. Est ce qu’il aurait fallu intervenir plus vigoureusement dans la vie politique malienne et imposer une gouvernance plus conforme à nos propres valeurs?

Charles Millon. Le temps de l’immixtion dans la politique intérieure des États africains est dépassé. En revanche il aurait fallu lancer, dans la foulée de l’opération militaire, des projets de développement confiés, dans le cadre d’une aide liée, à des entreprises françaises. Les populations locales doivent réaliser que les hôpitaux et les lycées construits au Mali et au Sahel sont financés par la France. C’est ainsi que l’influence française auprès de nos amis africains renaîtra dans des jours meilleurs.

Mondafrique. Le président ivoirien Ouattara a déclaré jeudi matin sur RFI et France 24 qu’il demandait « à ses frères maliens de faire un effort, de rentrer dans les rangs ». Est ce que vous lui donnez raison ?

Charles Millon Il faudrait rappeler à Monsieur Ouattara qui remet en cause la légitimité de la junte militaire à Bamako qu’il bénéficie d’un troisième mandat illégitime et non constitutionnel. Qu’il nettoie devant sa porte avant de donner des conseils aux autres.

Mondafrique. Que pensez vous de la politique étrangère d’Emmanuel Macron et de Jean Yves Le Drian, son ministre des Affaires Etrangères ?

Charles Millon. Le Drian est surtout médiocre et il n’a pas l’air de s’intéresser aux Africains et à l’Afrique. Sans doute n’est-il pas facile de travailler avec un Emmanuel Macron qui veut toujours prendre la lumière.

Ce que je reproche au Président français au Mali comme au Liban ou en Ukraine, c’est de faire une politique de coups, sans suivi, ni constance. Cette fâcheuse habitude est totalement contre productive. La diplomatie se joue dans la durée et dans des liens de confiance avec nos interlocuteurs étrangers. C’est long, très long.

La politique d’Emmanuel Macron et de Jean Yves Le Drian est finalement illisible. Comment en même temps, selon l’expression consacrée du président français, dénoncer les coups d’état en Guinée ou au Mali et apporter un soutien total au fils du président Déby qui prend le pouvoir par la force après le décès brutal de son père ?

Emmanuel Macon a des réactions d’adolescent. Ce n’est pas ainsi qu’on doit construire la politique étrangère d’un pays comme la France.

By Nicolas Beau -17 février 2022

MONDAFRIQUE




Boko Haram

Aboubakar Shekau, le chef de Boko Haram, déclarait le 24 août dernier, après la prise de la ville de Gwoza, où vivent 200 000 habitants : « Nous sommes dans le califat islamique. Nous n’avons rien à faire avec le Nigeria. »

Le 13juillet, il avait déjà apporté son soutien à El-Baghdadi, le calife autoproclamé de l’État islamique.

Daech semble faire des émules africains, chez Al Qaida au Maghreb islamique (Aqmi) comme chez Boko Haram, notamment dans l’utilisation des moyens de médiatisation.

Cependant, ces groupes terroristes,et particulièrement Boko Haram, ont-ils les moyens financiers et l’emprise territoriale suffisants pour atteindre à la dangerosité de leur modèle qui sévit à la frontière de l’Irak et de la Syrie ?

Fondée en 2002 dans le nord du Nigeria musulman par Mohamed Yusuf – qui a été éliminée n 2009 par la police – la secte Boko Haram s’est taillé depuis un fief dans l’État de Borno, grand comme la Suisse, à l’extrémité septentrionale du pays.

Il y contrôlerait actuellement 20 000 km2.

Ce qui s’y passe reste mystérieux : on évoque des fuites de la population dans la brousse, des tueries, des pillages et de recrutements forcés de garçons pour faire la guerre et de filles pour les marier.

Les femmes et les filles enlevées par le groupe islamiste Boko Haram, contraintes de se marier et de se convertir et sont victimes d’abus physiques et psychologiques, de travail forcé et de viol en captivité, selon un rapport d’Human Rights Watch publié le 27 octobre 2014.

Le groupe a enlevé plus de 500femmes et filles depuis 2009 et a intensifié les enlèvements depuis mai 2013,période à laquelle le Nigeria a imposé un état d’urgence dans les zones où Boko Haram est particulièrement actif.

On évoque aussi l’utilisation de femmes kamikazes.

Une guerre civile qui aurait déjà fait 5000 morts et 750 000 déplacés.

Ces dernières semaines, la secte a revendiqué deux attentats à Maiduguri et un à Kano, qui ont fait plus de 200 morts.

AKano, c’est la mosquée, dont le recteur avait appelé à prendre les armes contre le Nigeria, qui a été attaquée.

Le 1er décembre, ses combattants avaient lancé une vaste offensive sur le Damaturu, dans l’État de Yobé, tuant plus de 150 personnes, dont 44 membres des forces de sécurité.

En avril dernier, le rapt de 200 lycéennes à Chibok avait ému la communauté internationale.

Elles n’ont pourtant toujours pas été libérées.

De plus, la guerre s’étend : ces derniers temps, le groupe extrémiste tente de plus en plus de déstabiliser aussi l’extrême nord du Cameroun voisin.

Ainsi le 28 décembre, au moins trente personnes ont perdu la vie dans l’attaque par le groupe islamiste extrémiste Boko Haram d’un village dans le nord du Cameroun.

Paul Biya, le président camerounais, a mis du temps à sortir de son apathie.

Il a fallu que la femme de son vice-président se fasse enlever il y a quelques mois dans le nord pour qu’il commence à réagir.

L’armée camerounaise affirmait ainsi fin décembre que sa force aérienne avait bombardé un camp d’entraînement de Boko Haram situé dans la région frontalière et que 53 membres de l’organisation y auraient perdu la vie.

Le Cameroun a récemment envoyé de nombreux soldats et des unités spéciales à la frontière avec le Nigeria afin de stopper l’avancée de la secte islamiste.

Mais le véritable problème vient du Nigeria lui-même, pays divisé ethniquement et religieusement, mais surtout géographiquement.

Le sud riche en pétrole et majoritairement chrétien se soucie peu du sort des régions du nord.

Le président chrétien Goodluck Jonathan semble, lui, plus préoccupé par sa réélection en 2015 que par les événements du nord.

Sa décision de se représenter a tendu la situation un peu plus dans le pays.

Logiquement, selon une règle non-écrite,c’est un musulman qui devrait succéder au chrétien.

La faiblesse de la réponse des armées gouvernementales au péril Boko Haram tiendrait selon les observateurs à trois causes : la corruption à tous les niveaux, qui fait qu’avec un budget gigantesque, et jamais vu dans ce pays, de 5 milliards de dollars affectés à la sécurité, les soldats de base restent mal payés et sous-équipés.

Une cour martiale a ainsi condamné à mort 54 soldats accusés de mutinerie pour avoir refusé de participer à une opération contre Boko Haram.

On peut aussi subodorer le machiavélisme du président que cela arrangerait que les États du nord ne puissent pas voter.

Mais encore pire une insoumission de fait de l’armée, dont les officiers sont corrompus, et qui attendrait de remplacer le président par un homme plus proche d’elle.

Boko Haram ne peut que profiter de ce manque de combativité pour monter en puissance.
D’autant que la chute des cours du pétrole ajoute un peu plus de désordre encore.

Le détournement de brut est déjà estimé à 25 millions de dollars par jour, dans un pays dont 80% du PIB sont constitués par la rente pétrolière.

Le désengagement des États-Unis comme partenaire commercial, remplacés par la Chine, l’Inde ou le Brésil, est de mauvais augure.

Désormais, après la décision de l’OPEP de ne pas diminuer sa production, et un baril de pétrole qui pourrait atteindre les 50 dollars seulement, ce sont les pays consommateurs et non plus les producteurs qui dictent leurs décisions.

Le Nigeria est ainsi dans la main des BRICS qui recourent à son pétrole.

Pays le plus peuplé d’Afrique, géant démographique, le Nigeria a besoin plus que jamais de stabilité et de croissance pour nourrir sa population.

Or,la présence de Boko Haram ne se limite pas à une rébellion régionale qui concernerait uniquement le Nigeria, elle s’inscrit dans un mouvement de déstabilisation géopolitique beaucoup plus large.

Outre le mimétisme déjà évoqué vis-à-vis de Daech, Boko Haram est fortement soupçonné de constituer un débouché pour les armes venues de Libye, qui depuis la chute de Kadhafi ont servi à tous les mouvements terroristes ou autonomistes du Sahel.

Ces armes passeraient par le Tchad, comme celles de la Séléka qui avait livré la Centrafrique à la guerre civile.

L’ironie étant que N’Djamena, l’un des centres de commandement de l’opération Barkhane qui, sous leadership français, tente de contenir le terrorisme dans la zone saharo-sahélienne, se trouve à 40 kilomètres à peine du territoire contrôlé par la secte islamiste.

On peut craindre que Boko Haram  ne poursuive un triple objectif dans les mois à venir :

  1. Étendre son emprise sur le Nord Cameroun que l’armée camerounaise ne peut sécuriser ;
  2. Menacer la capitale tchadienne ;
  3. Tenter d’assurer la jonction avec les djihadistes libyens

Cette redoutable hypothèse expliquerait la toute récente décision du gouvernement tchadien d’intervenir dans le nord du Cameroun.

Cependant, outre le fait que Barkhane peine déjà à couvrir le gigantesque territoire qui lui a été assigné, le gouvernement nigérian n’a fait appel à aucune aide internationale pour régler le problème Boko Haram.

Mais début décembre, la secte s’est aussi attaquée à une cimenterie du groupe français Lafarge, au Nigeria.

Et le Cameroun a payé cher pour délivrer certains otages faits par le groupe rebelle, lui donnant un peu plus de moyens de s’armer.

La communauté internationale doit-elle accepter que se constitue au centre de l’Afrique, dans une zone déjà fragilisée, un nouveau chancre où s’applique la charia, mais où ont lieu aussi toutes sortes de trafics ?

Il serait temps de prendre le taureau par les cornes, avant que toute la région ne s’embrase.

Charles Millon