Les faits – Imaginez Baroin, NKM, Bertrand, Wauquiez, Le Maire… s’associer et appeler au retrait de Sarkozy, Juppé et Fillon! En 1989, six députés RPR (Philippe Séguin, Michel Noir, François Fillon, Alain Carignon, Michel Barnier, Etienne Pinte) et six UDF (Dominique Baudis, François Bayrou, Charles Millon, Philippe de Villiers, Bernard Bosson, François d’Aubert) ont cette audace. Ils s’opposent à ce que Valéry Giscard d’Estaing conduise, avec l’appui de Jacques Chirac, la liste RPR-UDF aux européennes de juin. Ils proposent de monter une liste de jeunes. Pendant trois semaines, la droite sera en feu et les rénovateurs capituleront…

L’aventure des rénovateurs reste-t-elle pour vous un bon souvenir ?
Cela fait partie des meilleurs de toute ma vie politique. Notre mouvement a correspondu à une attente incroyable de l’opinion. Nous sortions d’une concurrence sans merci entre Jacques Chirac et Raymond Barre lors de la présidentielle de 1988, donc entre le RPR et l’UDF. Nous avions touché les limites de cette compétition, qui ne tournait plus autour d’aucune idée, et n’était plus que des rivalités d’hommes. Nous étions effondrés de voir que nos grands leaders ne tiraient aucune conséquence de leurs défaites. Au fond cela s’approche étrangement de ce qui se passe à droite aujourd’hui. Ne faudrait-il pas en tirer la leçon et appliquer en France la règle en pratique dans les grandes démocraties (Grande Bretagne, Allemagne, Etats-Unies) : le retrait de la vie publique des gouvernants qui ont subi une défaite électorale nationale. A ce jour seul Lionel Jospin s’est imposé cette règle.
C’est vous qui avez allumé la mèche avec une interview dans Libération le 28 mars 1989, où vous appeliez la «nouvelle génération» à se lancer aux européennes… 
J’ai écrit ce que ressentait toute ma génération sans qu’elle n’ose le dire. Cela a provoqué un électrochoc. J’ai reçu des dizaines et des dizaines de coups de fil. On a alors constitué ce groupe des douze députés, moitié RPR, moitié UDF. Dans notre tête, cela préfigurait l’émergence d’une grande formation de toute la droite. Quelque part, nous posions les prémices de ce qu’aurait pu être l’UMP ! Mes liens personnels avec plusieurs d’entre eux et l’appel dans Libération m’ont mis tout naturellement au cœur des opérations. Avec Philippe Séguin, nous étions intimes. Nous passions même des vacances ensemble. En 1981, on avait déjà créé le Cercle, un groupe de députés UDF et RPR, pour mener la bataille parlementaire contre le nouveau pouvoir socialiste. Une initiative si réussie et si efficace que Chirac et Barre ont tout fait pour la torpiller.
Pourquoi cela n’a pas marché ? 
C’était une réaction générationnelle qui n’était pas fondée sur une même analyse. Les clivages idéologiques (bonapartistes vs orléanistes, souverainistes vs fédéralistes…) sont réapparus tout doucement. Nous avions plus réfléchi sur les structures, les méthodes que sur le fond. Les vieux démons de la politique ont resurgi. Il y avait une mini-concurrence entre nous, entre Philippe Séguin et Michel Noir surtout. Philippe Séguin a de plus négocié son retour au bercail en passant un accord avec Chirac. Quant à moi, j’ai fait l’erreur d’être trop timoré. Nombreux me poussait à être tête de liste. Je me suis effacé au profit notamment de Dominique Baudis, dont le métier de journaliste nous paraissait un gage de réussite de l’opération. Hélas s’il a crevé l’écran, il n’a pas tenu face à la machine des parties. Quel dommage ! Quelques jours après notre désistement qui marqua la fin de l’aventure des rénovateurs, j’accueillais, en tant que président de la Région Rhône-Alpes, François Mitterrand à Val d’Isère. Celui-ci m’a dit : «Vous avez fait une erreur. Vous faisiez une liste, vous créiez l’événement politique le plus important de ces 20 dernières années !» Il avait raison. Les sondages nous mettaient entre 18 et 20%. Notre erreur est de ne pas être allé au bout.
Qui, de Valéry Giscard d’Estaing ou de Jacques Chirac, a eu votre peau ?
C’est Chirac qui a été le plus féroce. Quelque part, Giscard comprenait ce que nous faisions. Je ne dis pas qu’il était pour, mais il était conscient qu’il fallait prendre en compte notre génération. C’est pour cela qu’il m’a poussé quelques mois plus tard à être candidat à la présidence du groupe UDF à l’Assemblée nationale face à Léotard. J’ai gagné. Giscard a aussi nommé François Bayrou secrétaire général de l’UDF. En fait, il regrettait de ne pas avoir vingt ans de moins ! Chirac lui a été sans pitié à l’encontre de tous ceux qui ont fait partie de l’aventure. Il estimait que notre succès pourrait empêcher sa candidature en 1995. Et pourtant, ironie de l’histoire, ce sont les rénovateurs qui lui ont permis de gagner en 1995 : Séguin et moi !
Dans cette aventure folle, qui a été le plus solide ?
François Bayrou s’est révélé très tenace. Il n’a pas accepté la trahison de Séguin.
Et qui a flanché ?
Séguin, je le répète. Et pourtant, c’est comme cela qu’il a été élu président de l’Assemblée nationale en 1993. En grande partie grâce aux rénovateurs, son capital sympathie dépassait le seul RPR.
Quel a été le rôle d’un autre ténor UDF de l’époque, François Léotard, resté en dehors ? 
Il était furieusement vexé que cela se fasse sans lui. Le renouveau, la modernité, c’était son fond de commerce. Mais ce n’était qu’un homme de médias. Il a par la suite tenté de lancer des rénovateurs concurrents. Un flop.
Dans quel état jugez-vous la droite aujourd’hui ? 
Calamiteux. Tant qu’elle n’aura pas ses références et ses idées claires, elle continuera à s’autodétruire dans des querelles de personnes, de fric. Elle a besoin d’une profonde refondation intellectuelle. Elle a aussi besoin de former des cadres. Elle n’en a plus. Elle se contente trop souvent d’adouber des individualités, de les mettre en place ; cela se termine régulièrement dans l’opportunisme et l’arrivisme. La seule période où elle ne l’a pas fait, c’est au lendemain de la deuxième guerre lorsque le MRP et le CNI ont vu arriver les militants de la JAC (Jeunesse Agricole Catholique) ayant une excellente formation civique et sociale. Enfin, dernière erreur, la droite estime que le pouvoir lui est dû, alors que la gauche pense qu’il est à conquérir.
Trouvez-vous dans la jeune génération des tempéraments comme les vôtres ?
Aujourd’hui, dans les partis, ils sont assez individualistes. C’est une grande différence avec nous qui chassions en bande ; c’est toujours ce que j’ai aimé dans la politique. Eux ne pensent qu’à la présidentielle, ça les rend fous. C’est pourquoi je suis opposé à l’élection du président au suffrage universel direct. C’est le talon d’Achille de la Ve République. Notre régime est une fausse monarchie : nous en avons les défauts sans les aspects positifs. Mais il y a de vrais signes d’espoir portés par ses nouveaux non-conformistes, ses «jeunes insoumis» qui ont créé des cercles de réflexion, des think tanks, des courants dans les partis. L’époque n’est plus à la rénovation, elle est à la refondation, tant sur le plan moral qu’institutionnel. Il est urgent qu’un groupe de jeunes leaders se lève pour dire à leurs aînés «ça suffit». Les Français en ont assez des hommes politiques qui, après s’être déconsidérés dans des affaires financières, après avoir accumulé échec sur échec dans la conduite des affaires du pays, essayent de revenir comme hommes providentiels. Le temps n’est-il pas venu d’organiser les formations politiques à partir des territoires plutôt que de continuer à le faire à partir de formations parisiennes vermoulues ?
La politique vous manque ?
Oui, bien sûr, elle me manquera toujours. C’est ma vie. Aujourd’hui j’en fais d’une autre façon et j’essaye de transmettre cette passion. Ainsi, une nouvelle équipe municipale vient de s’installer à Belley, la ville dont j’ai longtemps été maire. Pendant deux ans, je l’ai aidée.
Vous avez des regrets ? 
Oui. Comme tout le monde, je ne referai pas de la même manière ce que j’ai vécu. On fait tous des erreurs. Par exemple, j’ai trop cumulé. En 1986, j’ai également refusé d’être ministre dans le gouvernement Chirac parce Raymond Barre disait qu’il ne fallait pas cohabiter. J’aurais dû accepter. En 1998, pour la présidence du conseil régional de Rhône-Alpes, je n’ai pas été assez rusé. Il aurait suffi que je fasse élire le doyen des élus à la présidence et attendre que la tempête se calme. J’ai crû que la clarté et la droiture suffisait ; il fallait en plus la ruse pour ne pas tomber dans le piège tendu par la gauche et le politiquement correct.