Géopolitique et Arabie Saoudite

Le royaume des Séoud est revenu depuis deux ans au cœur des grandes manœuvres géopolitiques mondiales.

En réalité, l’Arabie saoudite est en conflit, sur tous les plans.

Tout d’abord sur le plan économique, elle mène une « sorte de guerre du pétrole » elle a engagé une partie de bras de fer non seulement avec les Etats-Unis, mais aussi avec le Canada, l’Iran et la Russie.

Elle a délibérément laissé grand ouvert le robinet du pétrole et du gaz pour étouffer toute concurrence, notamment celle venue des gaz et pétrole de schiste en Amérique.

Elle y a en partie réussi.

Alors que la demande baisse, à cause notamment de la chute de la production chinoise, l’Arabie saoudite surproduit.
Peu lui chaut, elle a encore les reins solides, et même si la chute des cours représente pour elle-même une baisse conséquente de ses revenus, menaçant à moyen terme son système social qui repose entièrement sur les ressources d’hydrocarbures, elle dispose pour le moment de liquidités suffisantes pour se maintenir.

Mais les conséquences de cet « anti-choc pétrolier » se font ressentir dans le monde entier.

Certains producteurs significatifs comme le Nigéria ou le Vénézuela souffrent.
Et ils disposent de très peu de moyens d’influence sur le géant arabe.

Conflit militaire, ensuite, particulièrement celui qu’elle mène avec quelques alliés sunnites, de façon tout à fait illégale d’ailleurs, sans que personne ne s’en émeuve, au Yémen contre les Houthis, dont le seul tort est d’être soutenus par l’Iran.

D’ailleurs dans ce conflit sunnites/chiites, l’Arabie saoudite avait participé il y a quelques années à la répression menée à Bahrein dans le plus grand silence médiatique, Bahrein où la famille sunnite régnante doit composer avec un peuple majoritairement chiite.

Enfin, c’est une nouvelle politique d’influence que développe l’Arabie saoudite.

Elle s’est traduit récemment par son refus de financer l’armement des forces libanaises, et ce pour protester contre l’intervention du Hezbollah aux côtés du régime de Bachar El Assad en Syrie.

Elle s’est concrétisée au travers d’investissements massifs – à hauteur de plusieurs milliards de dollars – chez le voisin égyptien, dont le président, le maréchal Sissi, est remercié pour avoir chassé les Frères musulmans du pouvoir.

Frères musulmans qui, tout comme l’Etat islamique, contestent la suprématie du pouvoir wahhabite saoudien sur les lieux saints.

En fait, l’Arabie Saoudite est aujourd’hui en conflit feutré ou déclaré avec à peu près tout le monde, sauf bien entendu avec les pays qu’elle a vassalisés, ou avec les Occidentaux à qui elle vend du pétrole, et chez qui elle place les dividendes de ses rentes financières colossales.

En conflit bien entendu avec tout ce qui est chiite, ou suspect d’hétérodoxie pour ces sunnites ultraconservateurs : Iran, Yémen, Syrie alaouite, Hezbollah libanais, forces irakiennes chiites…

En conflit avec les Frères musulmans, qu’elle a aidé à écarter du pouvoir en Tunisie et en Egypte.

En conflit contre les salafistes-djihadistes de l’Etat islamique, en Irak-Syrie comme en Libye.

En rivalité constante avec les émirats du Golfe, le Qatar en tête.

Seule alliance nouvelle, et particulièrement inquiétante sur le plan géopolitique, celle que l’Arabie saoudite a nouée avec la Turquie de M. Erdogan.

Une alliance née de la situation syrienne, où chacun des deux grands pays compte avancer ses pions, la Turquie pour bénéficier d’une profondeur stratégique, et prête à annexer de facto une partie du territoire, mais surtout pour empêcher la constitution d’un véritable Etat kurde ; l’Arabie saoudite pour contrer l’influence grandissante de l’Iran qui organise, aux côtés des Russes, la reconquête du pays par les forces du régime, ralliant alaouites, kurdes, chrétiens et Hezbollah libanais.

Cette alliance de circonstance peut néanmoins achopper sur quelques points : la Turquie soutient les Frères musulmans, et ne considère toujours pas le Maréchal Sissi comme un interlocuteur valable en Egypte.

Par ailleurs, une alliance anti-chiite risquerait de l’emmener trop loin, alors qu’elle a besoin de garder des rapports apaisés avec son voisin iranien, qui partage des centaines de kilomètres de frontière avec elle.

Quoiqu’il en soit, face à la situation syrienne, Turquie et Arabie saoudite collaborent sur le terrain, envisageant même d’envoyer des troupes au sol.

L’incohérence des chancelleries occidentales ne fait qu’ajouter au chaos qui menace tout le Proche-Orient.

La France notamment, dont le président François Hollande a décoré discrètement un prince saoudien récemment, ne dit rien devant l’ingérence grandissante du royaume dans la région, et en particulier sur la « guerre sale » du Yémen qui aurait fait déjà plus de 6000 morts.

Ceci s’explique en partie par ses liens commerciaux avec les pétromonarchies du Golfe.

Ainsi donc, ces tensions qui embrasent le Proche-Orient et dans tout le monde arabe, risquent de provoquer plus qu’une guerre régionale, un conflit international où se trouvent impliquer déjà la Russie, Les Etats Unis, la France et la Grande Bretagne.

Entre Arabie saoudite, Iran et Turquie, bien malin qui saura dire aujourd’hui qui prendra le leadership de la région.

Mais l’on est en tout cas forcé de constater que le royaume protecteur de Médine et de La Mecque s’est aventuré depuis quelques années dans une politique extrêmement agressive.

Pour l’instant l’Arabie saoudite a été peu touchée par le terrorisme.

Pourtant tiendra-t-elle longtemps économiquement avec des cours du pétrole si bas ?

Sa population est-elle prête à accepter la diminution de ses allocations et subventions ?

Les rigoureuses lois wahhabites, notamment vis-à-vis des femmes, des homosexuels ou des « blasphémateurs » satisferont-elles longtemps encore ce peuple ?

Ces questions se posent. Enfin, à se faire haïr ainsi par la moitié de la planète, le royaume saoudien s’est aventuré sur une mauvaise pente.

D’autant qu’il partage avec les USA certaine responsabilité dans la création et le développement de mouvements salafistes ou djihadistes.

Un retournement de situation, pourrait faire que des terroristes frappent un jour sur son sol.

Enfin, la politique générale de l’Arabie saoudite se caractérise par son repli sur soi.

Elle ne prend ainsi que très peu part à l’accueil des réfugiés de Syrie et d’Irak, leur préférant les travailleurs migrants du sud-est asiatique.

Aujourd’hui la politique menée par l’Arabie Saoudite est source d’instabilité permanente et provoque un climat de tension préoccupant pour la Région toute entière.

Charles Millon
Ancien Ministre de la Défense
Président de l’Avant Garde




Nommer l’ennemi ?

Tout le monde est aujourd’hui d’accord avec l’axiome que nous défendions il y a des années déjà, selon lequel « il faut nommer l’ennemi », et chacun le répète à l’envi.
Mais peut-être ne comprennent-ils pas ce qu’implique cette capacité à nommer : une fois que l’on a parlé du terrorisme islamiste, de la radicalisation d’habitants du territoire français sous l’emprise d’imams dégénérés, et de l’État islamique comme agent extérieur, il s’agit surtout de comprendre comment cet ennemi agit, pour lui couper les ailes et à terme le détruire entièrement.
Il faut bien entendu poursuivre la guerre, la vraie, celle qui se déroule sur le théâtre du Proche-Orient, en Syrie et en Irak, mais aussi en Libye – où trois sous-officiers viennent de tomber pour la France – au Mali toujours, enfin sur cet axe gigantesque qui s’étend du Nigéria au Pakistan.
Cette mission admirable, la France l’accomplit, quasiment seule en Europe, aux côtés des Etats-Unis, et le monde entier devrait lui en être redevable.
Cependant, la protection du territoire national est naturellement la première des priorités.
A ce défi, et face aux actes de barbarie qui s’y déroulent régulièrement depuis quatre ans, depuis les assassinats commis par Mohamed Merah, les gouvernements successifs ont trop mal répondu.
La désorganisation des services de renseignement par Nicolas Sarkozy en 2008 est l’une des causes fondamentales des erreurs de jugement qui ont permis la prolifération de ces actes.
De même, la baisse du nombre de policiers et de militaires engagée sous son quinquennat résonne douloureusement aujourd’hui. Sans oublier la fin de la double peine.
La gauche au pouvoir depuis quatre ans n’est pas en reste : par idéologie, elle a dépouillé la justice de ses moyens, laissant passer entre les mailles du filet punitif ces condamnés de droit commun que sont tous les terroristes.
Elle s’est refusée, encore par idéologie de soumission, à fermer les mosquées signalées pour leurs prêches radicaux, s’est refusée à expulser des imams réputés pour leurs appels à la haine, n’a pas pris les mesure de contrôle des frontières qui s’imposaient, non seulement devant la vague immense de réfugiés, mais de manière générale contre une immigration structurellement incontrôlée.
Elle a désarmé moralement la France, culpabilisant ses citoyens et empêchant la moindre remise en cause d’une religion devenue folle, l’islam.
Enfin, la destruction systématique de l’éducation, nationale et populaire, de la culture française, entreprise depuis quarante ans, ne pouvait que laisser pantelants et honteux des Français à qui l’on inflige aujourd’hui la double peine : la mort et le déshonneur.
Il n’est pas encore trop tard pour réagir, quoique la colère monte chez nos compatriotes contre ces hommes passés du côté de l’inhumanité et de la barbarie. Mais nommer l’ennemi voudra toujours dire aussi : ne pas lui ressembler.
La France possède la force de se défendre. Elle doit le faire dans l’ordre, l’intelligence et la justice. Car le désordre et la vengeance n’engendrent qu’eux-mêmes.
Les réponses ne manquent pas et il faut les appliquer avec la sévérité qu’exigent les circonstances : fermeture de toutes les mosquées dites radicales, expulsion des imams qui prêchent la guerre et le fanatisme, contrôle des frontières avec suspension de Schengen si nécessaire, limitation de l’immigration légale, fin de l’immigration illégale, révision du code de la nationalité, déchéance de celle-ci pour les binationaux convaincus de projets d’entreprise terroriste, rétablissement de la double peine.
Mais encore et surtout dans le fond : sortie du Conseil de l’Europe pour se soustraire aux arrêts iniques de la CEDH ; réarmement de la justice ; reconstruction de l’école et de l’éducation populaire ; enfin, renouveau de l’éducation populaire pour refaire des Français.
Un long travail et une lourde tâche, auxquels nous ne pourrons nous dérober.
Charles Millon
Ancien ministre de la défense



Erdogan : avec qui négocions-nous ?

En matière de politique extérieure, les États ont toujours raison de privilégier ce que l’on appelle la Realpolitik, c’est-à-dire de juger que leurs intérêts vitaux peuvent prévaloir sur des questions strictement morales.
Autrement dit de traiter avec des régimes qu’ils peuvent réprouver sur certains plans, ceci dans le but d’éviter de vains conflits qui pourraient entraîner pis que le mal que l’on cherchait à éviter.

Cependant, cette politique est par définition sujette à des restrictions et à des limites, sans lesquelles elle en viendrait à confondre définitivement le bien et le mal.

C’est à cette hiérarchisation et à cette discrimination que nous confronte Recep Tayyip Erdogan, le président turc.

Alors que l’on prêche la reprise du dialogue avec l’Iran et avec la Syrie de Bachar El Assad, on serait mal venu d’écarter toute discussion avec l’homme fort de la Turquie.
Pourtant, les circonstances n’étant pas les mêmes, il convient de savoir où s’arrêter.
D’abord, la Turquie n’est pas en état de guerre civile, malgré le conflit avec le peuple kurde, succession d’actions terroristes et de répression aveugle.

Le pays ne risquant pas d’imploser, l’Europe n’est pas tenue de soutenir aveuglément le régime en place.

Au contraire, elle devrait l’appeler au respect des droits de l’homme, la politique antiterroriste qu’il mène étant tout sauf claire et nette.
De même, le double jeu que déploie Ankara vis-à-vis des groupes islamistes en Syrie, avec Daech même à une certaine époque, devrait nous alerter sur la responsabilité de la Turquie dans les flots de réfugiés arrivés sur son sol qu’elle nous somme dans le même temps de prendre en charge financièrement.
Car c’est pas moins de 6 milliards d’euros que l’Europe a promis à Erdogan en échange du maintien de migrants sur son sol, Europe qui dans le même temps a soumis la Grèce à un régime financier tellement strict que son Etat a presque disparu, la rendant elle-même incapable de gérer l’afflux des réfugiés.
Avec la gestion désastreuse de la crise grecque, on a achevé le malade et l’on se retrouve dans la main d’un voisin qui ne nous veut pas du bien.
Car les grands coups de menton d’Erdogan dans ses relations internationales augurent du pire : de chantage vis-à-vis de l’Europe, notamment sur les visas pour ses administrés, en outrages diplomatiques – aux Etats-Unis pour la mort de Mohammed Ali, en Allemagne avec les députés d’origine turque ayant voté la reconnaissance du génocide arménien, puis avec la révocation de l’ambassadeur de l’UE à Ankara – en passant par les agressions caractérisées, comme l’avions russe abattu à sa frontière, celui qui se rêve en Atatürk à l’envers se comporte comme un boutefeu sur tous les plans.
Que dire encore sur sa vision de l’islam, extrêmement rigoriste, qu’il diffuse pendant qu’il réclame son intégration dans l’Union européenne ?
Décidément, tout prouve que nous ne traitons pas avec un ami.
Et précisément si l’on veut éviter un conflit à venir, il est temps de lui montrer quelle est la limite à ne pas franchir.
Pour cela, on aura besoin, plus que jamais, d’hommes forts à la tête de la France et de l’Europe.

Charles Millon Ancien
ministre de la défense

Président de l’Avant-Garde



A quand un nouveau Yalta ? par Charles Millon

La Libye est devenue le nouveau refuge de Daech, sa base de repli éventuel. C’est une réalité qui crève les yeux, mais que nous faisons semblant de ne pas voir.

Comme pour l’Irak-Syrie, sans doute découvrirons-nous demain, ébahis, qu’il y a fait son nid, creusé son sillon, s’y est fermement installé et que l’en déloger coûtera une guerre de plus – dont, semble-t-il, l’on parle déjà dans les états-majors occidentaux – une guerre dans un pays en proie à tous les chaos, toutes les anarchies, tel enfin que l’ont laissé MM. Sarkozy et Cameron, après leur intervention calamiteuse et opportuniste.

Mais, au-delà même du cas libyen, il faut intégrer le fait que, Daech ou tout autre nom dont elle se pare, cette idéologie est un cancer qui continuera de se déplacer et d’enfanter les guerres dans le monde.

Déjà, outre la Libye, Sinaï, Nigéria, Sahel, Afghanistan, et même Europe sont le terrain de jeu de cette guerre qui ne fera pas de prisonniers.

La radicalité, comme l’on dit, de notre ennemi est telle, sa haine à notre endroit – à l’endroit d’ailleurs de tout ce qui n’est pas lui – est telle qu’on voit mal comment négocier et trouver un accord de paix avec lui.

D’ailleurs, le voudrait-il, qui accepterait que nous vivions côte-à-côte avec un Etat, ou des Etats, qui pratiquent cette forme de charia, asservissant les femmes et généralement tous les non-musulmans, détruisant globalement tout ce qui nous paraît constituer l’humanité ?

La question, outre le fait de politique intérieure qui veut qu’on lutte au sein de nos nations européennes elles-mêmes, tient en ceci finalement : l’occident peut-il intervenir partout ?

Précisons : l’occident et ses alliés, puisqu’il faut intégrer dans cette lutte maintenant planétaire la Russie, l’Iran et certains pays de la péninsule arabique – les pays africains, eux, quoi qu’ils en aient la volonté, étant dans l’impossibilité financière et technique de combattre efficacement cette forme de guerre terroriste.

Nul doute qu’une grande conférence sous l’égide des Nations-Unies aurait dû avoir lieu il y a longtemps déjà : une sorte de Yalta qui consiste non à se partager le monde pour le dominer, mais à répartir les zones d’interventions entre les différentes forces, de façon à les stabiliser et les libérer.

Ce serait un projet à dix ans au moins, voire vingt.

Mais un projet nécessaire, requis par le nouvel ennemi protéiforme qui défie l’humanité entière.

Une nouvelle coopération mondiale tendue vers un but précis, comme cela existe, tout différemment, sur le plan écologique.

La zone à couvrir est gigantesque, et en sus, elle se trouve comme au milieu du monde. Du Pakistan à la Centrafrique, en passant par l’Irak-Syrie, l’Egypte, la Libye, le Mali, la Somalie et le Nigéria, c’est un arc immense qui recouvre grosso modo les pays à majorité musulmane .

Si l’on tente de le découper en pièces de puzzle, ce serait à la France dans la logique de ses interventions au Mali et en Centrafrique (dont les motifs furent différents cependant) de poursuivre sur sa lancée en sécurisant tout l’ouest africain, le Nigéria au premier chef.

Mais la zone est évidemment bien trop vaste, et l’on n’est plus au temps des empires coloniaux.

On peut regretter deux choses dans cette région : l’indifférence de l’ancien colonisateur anglais vis-à-vis du Nigéria, et la mollesse du soutien européen à la politique militaire de la France qui a pourtant stabilisé des lieux stratégiques et coupé court à une expansion rapide du djihad dans le Sahara-Sahel.

La France dispose là-bas d’un allié unique : le Tchad, seule armée opérationnelle dans cette partie du continent.

Les autres nations stables, comme le Burkina, le Bénin ou le Sénégal sont malheureusement ou mal armée ou trop fragiles intérieurement.

On pourrait néanmoins imaginer à moyen terme la création d’une force de réaction rapide africaine autonome, capable de cautériser les plaies nouvelles à temps.

L’Europe surtout, si elle a un sens, devrait prêter main forte à la France, au moins d’un point de vue financier et matériel.

En Libye, la situation est plus confuse que jamais, avec deux gouvernements recouvrant à peu près d’un côté la Tripolitaine, de l’autre la Cyrénaïque, et que l’on a jusqu’ici échoué à se fondre en un troisième.

Entre généraux fantoches et islamistes purs et durs, les opérations secrètes occidentales, françaises, américaines et anglaises, semblent pour le moment destinées uniquement à contenir le raz de marée de Daech.

La situation est telle, et les forces modérées ou tribales ayant été marginalisées, que ‘lon se retrouve selon l’analyse de Bernard Lugan, le grand africaniste, à s’allier avec les frères musulmans et Al Qaeda contre l’Etat islamique.

Charybde ou Sylla, telle semble l’alternative.

D’autant que les voisins de la Libye sont tout, sauf fiables : la Tunisie demeure sous la menace de ses propres islamistes, à peine écartés du pouvoir, et qui ne désespèrent pas d’y revenir bientôt.

En Egypte, malgré la grande figure du maréchal Sissi, soutenu par les Etats-Unis et le voisin saoudien,  la population sunnite reste sensible aux sirènes des Frères musulmans.

Ne parlons pas du Soudan, au sud, plus fauteur de troubles qu’autre chose.

Quant à l’Algérie, elle attend frémissante le changement de pouvoir intérieur avant que d’intervenir éventuellement.

Mais la grande guerre qui a embrasé la moitié du monde musulman a aussi des répercussions, dont l’on parle moins dans les chancelleries occidentales de crainte de froisser nos alliés, jusque dans la péninsule arabique.

En effet, le conflit atroce du Yémen se poursuit, terrain de substitution pour la guerre larvée que se mènent l’Iran et l’arabie saoudite, emportant derrière eux respectivement le monde chiite et le monde sunnite tout entier.

De même, la révolte continue de gronder à Bahrein, pays majoritairement chiite dirigé par une monarchie sunnite.

Enfin, le soutien indirect des pétromonarchies à l’Etat islamique, relayées en cela aujourd’hui par la Turquie qui s’en cache de moins en moins, réclame une explication avec les régimes sunnites.

L’occident ne peut pas continuer indéfiniment sa politique qui consiste à éteindre là le feu qu’il a allumé ici.

Il faut malheureusement remarquer qu’aujourd’hui, seule la Russie, quoiqu’on puisse reprocher à son régime intérieur, a une politique cohérente sur ce plan-là.

Dans une grande conférence internationale qui se chargerait de mettre au point un plan pour régler ces conflits, sur une décennie au moins, l’Europe aurait une mission particulière.

Qui serait moins d’intervenir au coup par coup que d’établir un contrat pour former les armées de pays amis.

Il s’agit de coordonner les pays entre eux, sur cet arc entier qui va de l’Afrique noire à l’Irak.

Car nous sommes face à une guerre idéologique-type. Pour filer le parallèle avec le communisme, il est remarquable qu’elle s’étende partout en même temps, comme au temps de la guerre froide.

Face à cela, s’il veut seulement survivre, l’occident doit développer une vraie stratégie et une vraie tactique. Qui requerra toutes ses forces.

Charles Millon

Ancien ministre de la défense

Président de l’Avant-Garde




Charles Millon : qui est vraiment Daech ?

FIGAROVOX/TRIBUNE – Au lendemain des attentats de Paris, l’ancien ministre de la Défense Charles Millon pose les enjeux de la lutte contre l’Etat islamique. Quelle est son étendue ? Quels sont ses alliés ? Des questions auxquelles il faudra répondre pour le combattre.

 

Charles Millon a été ministre de la Défense du gouvernement Alain Juppé, de 1995 à 1997.


Il existe aujourd’hui un consensus général et véritable autour de la nécessité pour la communauté internationale d’intervenir en Irak et en Syrie afin de mettre Daech hors d’état de nuire. Il n’était que temps.

Cependant, on ne peut que remarquer que les gouvernants des grandes nations du monde, parties prenantes des coalitions – Etats-Unis, France, Russie, Royaume-Uni – s’interrogent plus sur les modalités, sur la dimension à donner à ces interventions, sur les alliances à nouer ou à respecter, que sur l’objectif même de l’opération et sur la nature de l’ennemi.

Or, de nombreuses questions, dont les réponses devraient être des préalables se posent: s’agit-il d’une reconquête du territoire pris par Daech? Quelle négociation avec tous les groupes qui interviennent en Syrie et en Irak pour envisager à terme l’instauration d’une paix civile? Quelle est la dimension de la coalition? Va-t-elle se constituer sous l’égide de l’ONU? Y aura-t-il un pays coordonnateur de cette coalition? Qui la financera? Qui en assurera le commandement tactique? Est-il envisagé une conférence internationale pour définir les dimensions politique, économique et militaire de cette intervention? Et si oui, quel en sera le pays organisateur? Toutes ces questions sont pour l’heure en suspens, dans ce qui paraît une guerre artisanale, échafaudée au jour le jour, sans pensée stratégique.

Mais, avant même d’envisager cette phase, une autre interrogation, beaucoup plus profonde, se présente: celle de la définition de notre ennemi. Car l’objectif n’est au fond pas territorial, mais idéologique. A-t-on réellement mesuré ce qu’est Daech: un groupe religieux qui porterait des ambitions territoriales (à ce jour près de 300.000Km2 contrôlés en Irak et en Syrie), ou un groupe religieux qui porterait internationalement une idéologie totalitaire? A-t-on de surcroît analysé vraiment les liens que ce groupe a tissé avec d’autres idéologies ou d’autres familles de pensées proches? A ce sujet, il ne serait pas inintéressant de relire les textes de sociologues qui soulignaient dans les années 90 une certaine proximité idéologique entre l’islamisme révolutionnaire et le marxisme ; non plus que de se repencher sur les liens troublants qu’ont entretenus un certain nombre d’islamistes avec l’Allemagne nazie (cf. Jihad et haine des juifs. Mathieu Küntzel Editions du Toucan Septembre 2015).

Dans un cadre plus contemporain, on ne peut oublier les racines sunnites de Daech, qui expliquent l’inertie de l’Arabie saoudite autant que celle du Qatar, et leur répugnance à mener une action au sol contre l’Etat terroriste. Pis, l’Arabie saoudite, le Qatar et un certain nombre d’autres pays du Golfe persique ont constitué parallèlement une coalition contre les Houthistes chiites du Yémen, alors qu’ils sont totalement absents du combat contre Daech. Comment envisager la poursuite des relations commerciales sereines avec l’Arabie saoudite, le Qatar ou les EAU, tant que ne seront pas éclaircis les rapports qu’ils entretiennent directement ou indirectement avec Daech?

On ne peut non plus oublier l’attitude ambiguë de la Turquie sunnite qui privilégie les bombardements des Kurdes aux bombardements des positions de Daech.

Il faut ensuite penser plus largement, à l’échelle du monde, ces relations que Daech a nouées, non seulement avec les Frères musulmans, mais aussi avec les mouvements de Libye, du Nigéria, ou de Somalie.

Il ne s’agit pas d’être alarmiste. De toute façon, la guerre est déjà là. Mais la considérer seulement dans un cadre régional, la Syrie, et militaire, les bombardements, on prend le risque de s’aveugler sans voir s’organiser une nouvelle internationale porteuse d’une idéologie totalitaire qui ne craint pas à Palmyre ou ailleurs de faire sienne la formule des révolutionnaires Français «du passé faisons table rase».




Yémen, terrain de jeu des grandes puissances régionales

Islamistes contre islamistes ? Décidément, l’inventivité islamiste en matière de guerre dans les Proche et Moyen Orient et jusqu’en Afrique est sans limite.

On croyait que l’Etat islamique constituait le seuil ultime de barbarie et de dégradation des structures étatiques et traditionnelles, mais voilà qu’il est en train, non seulement de se métastaser, en Libye, au Sinaï égyptien, au Nigéria, mais plus, qu’il se fait concurrencer par de sympathiques mouvements comme celui des Chebabs somaliens qui ont frappé le Kenya en plein cœur, ou, plus inquiétant encore par les rebelles houthistes au Yémen.

L’offensive houthiste, milices de confession zaïdite, une variante du chiisme, a commencé réellement depuis l’automne dernier.

Après la démission forcée du président yéménite Hadi le 22 janvier 2015, sous la pression des rebelles, et la dissolution conséquente du parlement en février, il aura fallu attendre le 25 mars pour que le grand voisin, l’Arabie saoudite, forme une coalition dont elle a pris la tête, bombardant depuis ses avions selon la formule américaine, sans envoyer de troupes au sol.

L’ingérence de Riyad est saluée par toute la communauté internationale, et le jeune fils du nouveau roi, nouveau ministre de la Défense, acclamé comme un héros dans son pays. Seulement, la réalité est plus complexe.

Car il y a une autre puissance régionale, l’Iran.

Quand le pays des mollahs critique l’intervention saoudienne au Yémen, on l’accuse aussitôt, lui, d’aider en sous-main les rebelles. Ce qui est d’évidence vrai.

Mais vérité en-deçà du Golfe persique, erreur au-delà ?

Que l’on sache, l’Arabie saoudite et ses alliés américains n’ont pas reçu, eux non plus, mandat de la communauté internationale pour intervenir en « Arabie heureuse ».

Ali Khamenei, le guide suprême iranien, a beau jeu ainsi de dénoncer « l’agression saoudienne », l’accusant de « génocide » contre un « peuple innocent ».

Le président Rohani a, lui, assuré que l’Arabie saoudite répétait les mêmes erreurs qu’au Liban, en Irak et en Syrie, attisant les rivalités entre chiites et sunnites.

Savoir qui a commencé, de l’Iran qui subventionne le Hezbollah libanais depuis quarante ans, ou des alliés sunnites des Etats-Unis, c’est une autre affaire.

Reste que la situation géopolitique locale évolue aussi favorablement, par un autre côté : la signature de l’accord de Lausanne le 2 avril entre l’Iran et le groupe des 5+1 sur la question de l’enrichissement d’uranium, même s’il ne résout pas tout et ne constitue qu’un premier pas vers un véritable accord, qui n’aura pas lieu avant l’été, tant le dossier est techniquement complexe, est de bon augure.

L’Iran est-il encore « le grand perturbateur » que l’on décrit communément ?

Rien n’est jamais certain dans les réactions de la puissance perse aux mains des mollahs, passés maîtres dans l’art de la dissimulation et du coup de billard à plusieurs bandes.

Néanmoins, sans céder à la candeur, on peut constater que son retour dans le jeu géopolitique et dans la communauté internationale s’impose, ne serait-ce que pour contrebalancer le poids pénible de l’Arabie saoudite et de ses alliés-rivaux émiratis ou égyptiens.

Le Yémen est ainsi le grand révélateur, le terrain de jeu idéal si l’on peut dire, de la « guerre de Trente ans » à la mode musulmane qui se déroule dans cette partie du monde, où chaque grand puissance avance ses pions dans les pays voisins réputés faibles.

Sinon Oman, seul pays musulman au monde à n’être ni sunnite ni chiite, et coincé entre les puissances rivales, qui reste neutre, tout le monde est embarqué dans la querelle des chiites et des sunnites.

Le chiisme bénéficie de cet avantage d’être une confession plus organisée, disposant d’un clergé, et presque entièrement incarné en un pays, l’Iran, qui n’ayant pas de rival interne, peut tirer souverainement les ficelles, avec le Hezbollah au Liban, défiant un jour Israël, l’autre jour intervenant en Syrie pour soutenir Bachar el-Assad.

Avec les houthistes, c’est un nouveau bras armé, pas loin du cœur du monde sunnite, dans la péninsule arabique elle-même, qu’il met en branle.

Mais d’un autre côté, l’Iran est épuisé économiquement par les sanctions américaines et européennes et, sous la houlette d’un Ali Khamenei vieillissant et sous la pression de sa jeunesse désireuse d’entrer dans la mondialisation, il lui faut bien négocier, notamment sur la question nucléaire, avec la communauté internationale, pour redevenir respectable.

Il engrange quelques succès dans l’Irak dévasté, en stoppant momentanément l’expansion de l’Etat islamique.

Mais le pouvoir d’attraction de celui-ci auprès des candidats au djihad du monde entier laisse sa puissance intacte, d’autant qu’il fait des émules, particulièrement dans le chaos libyen et qu’il a su ringardiser Al Qaeda, qui est en train de lui faire allégeance.

De l’autre côté, l’Arabie saoudite a su tirer parti de la très mauvaise réputation que son voisin et rival qatari a fini par se tailler dans le monde occidental, accusé de soutenir le terrorisme et notamment les Frères musulmans, pour reprendre le leadership régional, notamment en soutenant et en finançant le régime du Maréchal Sissi contre les Frères en Egypte.

Ayant renoué de bonnes relations avec les puissances européennes, notamment la France, la dynastie des Saoud, guidée par son nouveau roi, est ainsi à la manœuvre pour l’achat d’avions Rafale par l’Egypte, dont elle a garanti le paiement.

Le président égyptien Sissi espère que sa participation aux bombardements contre les houthistes yéménites lui vaudra en retour une aide substantielle de Riyad contre l’autre chancre qui menace la stabilité arabe, à l’ouest, cette Libye tombée dans le chaos depuis l’intervention occidentale, où l’Etat islamique, parmi d’autres factions cruelles, met en scène l’égorgement de Coptes égyptiens ou de migrants éthiopiens, accusés d’être chrétiens.

Le maréchal Sissi, en fin tacticien, s’est attiré les bonnes grâces de la communauté internationale en affichant immédiatement son soutien à sa forte minorité chrétienne copte, ce qu’aucun dirigeant Egyptien n’avait jamais fait auparavant.

Ainsi, le jeu est plus ouvert que jamais, et l’Occident va devoir enfin décider de la stratégie à adopter dans la région, qui ne peut être de soutien unilatéral à l’un des deux camps, sous peine de voir le conflit dégénérer en une guerre de cent ans.

Dans ce monde rongé par la tentation de l’extrémisme islamique, vu par les populations déshéritées comme la dernière chance, la dernière protection, on ne peut décemment se défaire des quelques puissances régionales stables.

Il faut, par une politique habile, les amener à la table des négociations, et leur faire comprendre qu’à entériner et continuer ce jeu pervers de soutien à des rébellions ou à des djihadismes dans les pays voisins, c’est leur existence même qu’elles mettent en péril.

Jusqu’ici, l’engrenage d’alliances non-dites et de subventions cachées n’a servi personne : depuis la guerre du Liban dont on célèbre ces temps-ci le funeste quarantième anniversaire jusqu’au chaos yéménite, en passant par l’Irak, la Syrie, l’Egypte, la Libye, enfin tous ces faux printemps arabes, ce sont seulement la mort et la désolation qui ont été semées dans la régions, sans que l’on voit la moindre promesse d’espoir poindre à l’horizon.

Mais pour parvenir à rétablir certaine stabilité, tous les concours seront nécessaires : autant la Russie, que l’occident est bêtement allé défier en Ukraine, que l’Europe et les Etats-Unis, doivent abandonner leur vision à court-terme et leurs coups fourrés pour élaborer un Yalta dans le Golfe persique et généralement dans le monde arabo-musulman.

Sans quoi, c’est leur propre destruction, en sus de celle de ce monde, qu’ils préparent, comme en témoigne l’immense tragédie des migrants de Méditerranée utilisés par la Libye contre l’Europe.

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Le Pape devant l’Europe et le monde

On aurait tort de recevoir les deux discours du Pape François le 25 novembre dernier, devant le Parlement européen et le Conseil de l’Europe, comme des allocutions anecdotiques et circonstancielles.

Tort aussi de penser qu’elle s’adressait exclusivement aux citoyens européens et à leurs représentant.

Le souverain Pontife y dessine une perspective géopolitique pour le monde entier,à charge pour les gouvernements et les institutions internationales de l’appliquer.

Certainement, le pape n’a toujours pas de divisions, selon le bon mot de Staline : cela n’empêche pas la diplomatie vaticane de demeurer l’une des plus influentes du monde, comme le premier pas vers une réconciliation entre Cuba et les Etats-Unis vient de le prouver.

C’est même sans doute cette absence de puissance matérielle, cette « politique de la faiblesse », qui constitue le cœur du succès de cette géopolitique catholique.

Les discours de François ont eu pour but, en effet, de rappeler aux instances européennes, mais aussi aux puissants du monde entier, la nécessité du recours à une vraie universalité pour parvenir à organiser autrement la planète.

Il s’agit selon lui de « maintenir vivante la réalité des démocraties est un défi de ce moment historique, en évitant que leur force réelle – force politique expressive des peuples – soit écartée face à la pression d’intérêts multinationaux non universels, qui les fragilisent et les transforment en systèmes uniformisés de pouvoir financier au service d’empires inconnus. »

Le pape conteste ainsi formellement la croyance, bien ancrée depuis plusieurs siècles dans l’esprit des occidentaux,et croyance que l’accélération de la mondialisation a décuplé ces dernières décennies, en une humanité que le seul « doux commerce » unirait et rendrait fraternelle.

C’est une critique adressée, certes, à l’union européenne actuelle qui s’est fondée sur une monnaie et un marché unique, au risque de détruire les économies nationales et locale, mais aussi aux grands ensembles prométhéens qui tentent de se constituer partout sur le globe, comme ce Traité transatlantique que négocient Europe et États-Unis : « On constate avec regret, affirme-t-il sans détours, une prévalence des questions techniques et économiques au centre du débat politique ». Ce qui induit selon lui une destruction générale des rapports humains.

Il ne faut pas considérer les paroles du Saint-Siège comme relavant seulement d’une question morale, que l’on pourrait admettre ou refuser de manière privée : elles ont aussi une portée générale, c’est-à-dire politique, et concernent à ce titre tout le monde.

Notamment quand il assure que l’on assiste à « une revendication toujours plus grande des droits individuels, qui cache une conception de la personne humaine détachée de tout contexte social et anthropologique, presque comme une « monade » (μονάς), toujours plus insensible aux autres « monades »présentes autour de soi », les implications sociales et politiques de cette situation, si elle est vraie, sont vertigineuses et dramatiques.

Dans le sens où l’on subit une dénaturation de la démocratie, non plus conçue comme ce régime capable de protéger les minorités, mais seulement comme une puissante machine à satisfaire les désirs uniformes des masses.

Ainsi, « si le droit de chacun n’est pas harmonieusement ordonné au bien plus grand, il finit par se concevoir comme sans limites et, par conséquent, devenir source de conflits et de violences » :ce que l’on constate notamment dans le développement planétaire de l’islamisme, dont l’État islamique constitue le cas d’école.

Liberté est donnée à une idéologie d’appliquer aveuglément ses conditions totalitaires, au détriment des minorités présentes.

« Quelle dignité existe vraiment, quand manque la possibilité d’exprimer librement sa pensée ou de professer sans contrainte sa foi religieuse ? », demande François.

Et la démocratie libérale déchue se trouve dans l’impossibilité de répondre à cet état de fait qui pourtant la nie complètement parce qu’elle a oublié qui elle était et d’où elle venait.

Le discours du Pape est éclairant, géopolitiquement, en tant qu’il arrive à lier harmonieusement vocation universelle de l’Europe et respect des identités.

« Je suis convaincu, dit-il, qu’une Europe capable de mettre à profit ses propres racines religieuses, sachant en recueillir la richesse et les potentialités, peut être plus facilement immunisée contre les nombreux extrémismes qui déferlent dans le monde d’aujourd’hui, et aussi contre le grand vide d’idées auquel nous assistons en Occident ».

Alors que le terrorisme islamique déferle partout, notamment en Europe, cet appel à une connaissance neuve de ce qui nous fonde exige une réponse.

Réponse non pas égoïste, d’un nationalisme qui se renfermerait derrière une identité pure fantasmée, mais réponse ouverte et constructive, généreuse, parce qu’« à côté d’une Union Européenne plus grande, il y a aussi un monde plus complexe, et en fort mouvement.

Un monde toujours plus interconnecté et globalisé, et donc de moins en moins « eurocentrique ».

La destinée de l’Europe, que l’on a tendance à oublier, est certainement de « prendre soin de la fragilité des peuples et des personnes », et de répondre « aux nombreuses injustices et persécutions qui frappent quotidiennement les minorités religieuses, en particulier chrétiennes, en divers endroits du monde ».

Mais voilà qui exige, au-delà des paroles, une intelligence de la situation géopolitique mondiale actuelle.

Par exemple, l’alignement complet de l’Europe sur la politique de puissance américaine répond-il à cette demande de complexité ?

Certainement non, comme les cas ukrainien, syrien et libyen l’ont montré.

L’acharnement unilatéral contre le régime de Bachar el Assad a durablement aveuglé nos gouvernants qui n’ont pas vu que derrière lui, et contre lui, il y avait pire ; la mise au pilori de Vladimir Poutine a réduit l’Union européenne au rang de valet pusillanime des intérêts américains en Ukraine ; l’attaque irréfléchie de Mouammar Kadhafi a in fine libéré des forces délétères dans toute l’Afrique que nous sommes maintenant incapables de contrôler.

Où l’on voit que l’oubli de la complexité du monde, et notamment des minorités qui le composent, comme les chrétiens d’Orient, la réaction épidermique et simplette sous l’aiguillon médiatique, sont des trahisons de l’esprit européen de mesure et de protection des faibles.

Les discours du Pape François, s’ils étaient écoutés et pris en compte, pourraient constituer l’amorce d’une reconstruction des rapports sociaux internes aux nations occidentales, où la subsidiarité, la question des limites seraient réellement prises en compte ; mais aussi d’une « nouvel ordre »du monde plus équilibré, et enfin réellement humaniste.

Publié par Charles Millon · 6 février 2015, 10:43




L’Algérie à la croisée des chemins

Même si la démocratie est loin d’y briller, même si la vertu de ses dirigeants est sujette à caution, l’Algérie demeure aujourd’hui, alors que le Sahel s’est embrasé et que les printemps arabes ont déstabilisé tout le nord du continent, un havre de stabilité pour l’Afrique et le versant méridional de la Méditerranée.

Mais les quinze dernières années de paix relative qu’a connues le pays, après la « décennie de sang » où la lutte féroce de l’armée contre les islamistes fit des dizaines de milliers de morts, pourraient dans les temps qui viennent n’être plus qu’un heureux souvenir.

Des forces contradictoires s’agitent dans ce grand pays qui n’arrive toujours pas à trouver son équilibre interne.

L’état du pays, pourtant riche en hydrocarbures et en minerais, demeure économiquement désastreux.

L’ordre règne, mais la prospérité reste confinée dans les cercles étroits de la clientèle des hommes de pouvoir.

Le taux de chômage des jeunes dépasse toujours les 20% selon les chiffres officiels, qui ne sont pas toujours fiables. Il pourrait être largement supérieur.

Dans un pays dont la population a plus que triplé en cinquante ans, et même si le taux d’accroissement naturel a tendance à diminuer ces dernières années, le logement, les infrastructures routières, scolaires ou hospitalières sont toujours trop rares, désuets ou défectueux.

Surtout, 98% des exportations du pays sont le fait des seuls hydrocarbures, une manne qui, si elle a permis à l’Algérie de se désendetter et de rétablir ses comptes, a tendance à diminuer avec le temps.

Les autres secteurs, comme l’agriculture, les industries ou les services, restent peu compétitifs.

Le pays qui du temps de la colonisation française était exportateur de matières premières alimentaires, doit maintenant importer 60% de sa consommation.

Enfin, l’administration qui fut longtemps le principal employeur du pays a été décimée avec le passage à l’économie de marché acté durant la décennie 90.

La corruption continue d’y régner et les divers blocages et pots‐de‐vin découragent les investisseurs extérieurs ou intérieurs.

Alors que ses deux voisins, le Maroc et la Tunisie, ont réussi depuis longtemps à développer une industrie du tourisme florissante, l’Algérie est encore balbutiante dans ce domaine et souffre toujours de son image de pays peu sûr, en état de guerre civile larvée.

Sur le plan purement géopolitique, l’Algérie aurait pourtant les moyens de jouer son rôle de grande puissance régionale.

Il lui faudrait déjà commencer par régler ses différends territoriaux avec le Maroc et envisager de créer une véritable union du Maghreb dont elle constituerait le centre.

Mais les rivalités nationales ne semblent pas s’apaiser avec le temps.

L’Algérie est surtout aujourd’hui en contact direct avec les régions sahéliennes où couve le feu islamiste.

Si elle a appris de sa malheureuse expérience avec les GIA à maîtriser sur son territoire le terrorisme, il lui reste à sécuriser les grands espaces désertiques du sud où prolifèrent les cellules nomades djihadistes nouvelle manière.

La chute de Kadhafi ayant entraîné la constitution de nombreuses cellules djihadistes dans la région, le risque de chaos n’est jamais loin.

Témoigne aussi de cette inquiétude du gouvernement algérien l’autorisation donnée aux avions français lors de l’intervention au Mali de survoler le territoire national, une exception pour un pays jaloux de sa souveraineté, surtout vis‐a‐vis de l’ancienne puissance coloniale.

Malgré elle, l’Algérie se retrouve aujourd’hui au centre du jeu complexe de l’Afrique du nord où ces trois dernières années toutes les cartes ont été rebattues, depuis l’Egypte jusqu’au Mali, en passant par la Libye et la Tunisie.

Si son gouvernement donne le moindre signe de faiblesse, nul doute que ses ennemis, intérieurs comme les autonomistes kabyles ou les islamistes, ou extérieurs comme les djihadistes, en profiteront pour rallumer la mèche du conflit.

L’Union européenne comme d’ailleurs toutes les autres puissances du monde qui y ont des intérêts, particulièrement les Etats‐Unis et la Chine, seront avisées de garder sur le pays un œil vigilant, sous peine de voir le chaos se répandre un peu plus.

Seul pôle puissant et stable de la région, avec le Maroc, l’Algérie demeure la clef d’une Afrique du nord et sahélienne apaisée.

Charles Millon




Iran

L’élection d’Hassan Rohani le 14 juin 2013, a soulevé de grandes espérances dans le monde entier.

Considéré comme un modéré, c’est‐à‐dire un centriste, à mi‐chemin des conservateurs à la botte des ayatollahs et des réformateurs comme l’ancien président Khatami, il serait l’homme idoine pour une reprise du dialogue avec un occident faisant bloc derrière Israël.

Pour avoir été en charge des négociations à propos du programme nucléaire au début des années 2000, il connaît très bien le sujet et semble vouloir jouer l’apaisement avec le groupe 5+1 (Chine, Russie, Etats‐Unis, Grande‐Bretagne, France et Allemagne).

Son élection au premier tour lui confère aussi une très grande légitimité auprès du peuple et même auprès des ayatollahs et devrait lui laisser les coudées franches, au moins un certain temps, pour normaliser les relations de l’Etat perse avec le reste de la planète.

L’isolement diplomatique de l’Iran depuis dix ans s’est doublé en effet d’un isolement économique, à la suite de sanctions financières notamment, décidées par l’UE et les Etats‐Unis.

Il en est résulté ces dernières années une inflation galopante (+30% annuels), une chute de la monnaie nationale, le rial, et une explosion du chômage.

Malgré cela, l’influence régionale du pays n’a pas diminué, bien au contraire.

La chute de Saddam Hussein en Irak a réveillé la communauté chiite du pays, dont une partie des cadres a été formée en Iran il y a longtemps.

Plus que jamais, Bachar el Assad, qui tient toujours et regagne du terrain, a besoin de cet allié, et le Hezbollah qui s’impose lui aussi en Syrie comme la formation politico‐ religieuse la plus redoutable de la région fait la preuve de l’habileté diplomatique iranienne qui en a fait son bras armé.

Du Liban à Téhéran, c’est un axe, encore instable, qui s’est formé à la faveur des guerres incohérentes des occidentaux et d’Israël de la dernière décennie.

Dans ce monde proche de l’implosion qu’est le Proche‐Orient, l’Iran et l’alliance chiite (étendue en l’occurrence aux Alaouites) est peut‐être la dernière sûreté qui demeure.

Mais le fait est que l’occident, et la France en particulier, ont parié ces derniers temps, notamment sous la présidence de Nicolas Sarkozy, sur une alliance avec les pétromonarchies sunnites, à qui étrangement personne ne fait grief de leur irrespect des droits de l’homme.

On connaît la situation en Arabie Saoudite, notamment celle faite aux femmes, aux étrangers et aux minorités religieuses, totalement ignorées et méprisées.

On sait aussi qu’à Bahrein quand se sont déclenchées les révolutions arabes, le peuple majoritairement chiite a été écrasé dans le sang par un émir sunnite sans que nulle part dans le monde on s’en émeuve.

Le Qatar, dont l’on sait les intérêts immenses en Europe, et surtout en France, a joué sa partie avec habileté contre les pouvoirs égyptiens et libyens qui empêchaient son hégémonie locale.

On sait notamment qu’il a armé volontairement des combattants salafistes en Libye, qui répandent maintenant la terreur dans leur propre pays et dans tout le Sahel.

Il serait peut‐être temps pour les diplomates européens de comprendre qu’ils ont semé dans cette alliance plus d’ivraie que de bon grain, et que les pétromonarchies sont des facteurs de discorde dans le monde musulman, arabe et africain.

Ainsi, on peut se demander si la bonne piste pour la France ne serait pas de traiter aujourd’hui avec l’Iran et d’entamer avec son nouveau président une négociation de fond ?

De tenter de trouver une voie modérée, refusant l’islamisme guerrier et le djihadisme.

Les négociations butent toujours sur la question du nucléaire, qui paraît pourtant de plus en plus « hystérisée » par les Etats‐Unis et Israël.

Le nouveau président Rohani a d’ailleurs ressorti du placard un accord qui avait été signé avec le président français Jacques Chirac en 2005 et qui prévoyait un droit pour l’Iran à pratiquer l’enrichissement d’uranium dans des buts civils en échange d’un engagement du pays devant l’AIEA à s’assurer qu’il ‘y aurait pas de but militaire.

C’est l’administration Bush qui, faisant pression sur le Royaume‐Uni, avait empêché que cet accord s’appliquât.

Même d’un point de vue strictement économique, la France aurait intérêt à rétablir des relations sereines avec la République islamique.

Alors qu’elle était encore le quatrième partenaire commercial de l’Iran dans les années 2000, elle n’est plus qu’en 15ème position depuis la mise en place de sanctions.

C’est surtout depuis que les exportations françaises vers Iran se sont effondrées, chutant de 2 milliards d’euros à 800 millions, c’est‐à‐dire une baisse de 70%.

Le quinquennat de Nicolas Sarkozy a été le coup de grâce porté à des relations florissantes.

Pour cette raison que d’autres nations, comme les Etats‐Unis qui sont pourtant le porte‐étendard de la mise à l’écart diplomatique du pays des ayatollahs n’ont pas le moins du monde renoncer à y exercer leurs intérêts économiques.

Malgré la loi d’Amato de 1996 qui s’attaquait au commerce des hydrocarbures, les Américains ont toujours poursuivi sans barguigner leurs échanges avec ceux qui les nomment les Grand Satan.

Selon un spécialiste, cité par Le Monde, « il vendent des ordinateurs Appel, des iPhones et du coca‐Cola, mais c’est difficile à chiffrer puisque ça se fait sous le manteau ».

L’ambassadeur d’Iran en France confirme, lui, que les exportations américaines ont bondi de 50% ces deux dernières années pendant que les européennes baissaient de moitié.

Les grandes sociétés françaises, comme Danone, Carrefour ou Renault, qui continuent de travailler là‐bas sont obligées de le faire à travers des franchises, des sociétés écrans ou par des montages complexes via le Liban ou la Russie.

C’est encore Peugeot, qui récemment allié au géant américain General Motors a été obligé de se retirer d’Iran pour ne pas froisser son nouvel ami américain.

L’Iran est un vieux pays d’un vieux continent, comme la France et les autres nations européennes.

Le chiisme qui y règne, quoi qu’on puisse lui reprocher, est relativement moins sévères vis‐à‐vis des minorités ou des femmes que le sunnisme wahabite de l’Arabie saoudite.

Le chiisme a de plus cet avantage notable pour des occidentaux cartésiens d’être fondé sur un clergé clairement identifié qui empêche les interprétations extravagantes de la charia, ou de l’islam en général.

En un mot, cela fait de l’Iran un pays stable, certes autocratique mais non tyrannique, avec qui il est possible de négocier sereinement et dont l’alliance permettrait, dans une vision de realpolitik, à la France et à l’Europe de relativiser l’influence grandissante des États du Golfe et d’aider à rétablir un ordre minimal dans un Proche‐Orient assis sur une poudrière.

Alors que la Turquie elle‐même semble au bord du chaos, la présence d’un allié sûr, stable et fort, s’impose.

L’Iran a étonné le monde ces derniers mois.

Ainsi, ce que nous avions appelé de nos vœux, c’est‐à‐dire une réintroduction en douceur du pays des Mollahs dans le concert des nations, est en voie de se réaliser.

Selon les termes de l’accord conclu les 23 et 24 novembre 2013 à Genève entre l’Iran et les six puissances chargées du dossier nucléaire, le pays ne pourra plus enrichir d’uranium au‐delà de 3,5% ou 5%, et son stock enrichi à 20% sera également neutralisé.

Cet accord, quoiqu’il ne coure que sur six mois et que son application, des deux côtés, mérite d’être contrôlée, constitue pourtant un premier pas significatif dans le règlement d’une crise qui a pris un essor notable il y a dix ans, mais qui date dans le fond d’il y a trente‐cinq ans, lors de l’accession de l’ayatollah Khomeiny au pouvoir.

Aux termes de l’accord de Genève, l’Iran va pour sa part pouvoir récupérer au cours des six prochains mois plus d’un milliard et demi de dollars issus de la vente d’or et de métaux précieux, bloqués à l’étranger par l’embargo financier.

Puis au fur et à mesure de la réalisation de ses engagements, Téhéran peut espérer retirer plus de 4 milliards de dollars de ses exportations pétrolières.

Un ballon d’oxygène bienvenu dans la situation actuelle de l’économie iranienne, ainsi que des perspectives encourageantes pour l’avenir, si d’autres allégements de sanctions interviennent par la suite.

Voilà qui pourrait enrayer la fuite des capitaux et même relancer les investissements.

Car ces deux dernières années l’Iran a perdu des dizaines de milliards de dollars du fait des sanctions internationales.

Du côté occidental, et même du reste du monde, nul doute qu’on y gagne aussi sur le plan économique.

L’Iran n’est pas la Somalie, c’est même la première puissance régionale du Proche‐Orient et la fermeture de son marché nuisait aux entreprises européennes et américaines, pendant que la Russie et la Chine, moins regardantes, et surtout alliées dans le fond à Téhéran, ne se gênaient pas pour y investir et, du côté de Pékin, pour y acheter du pétrole.

Cet accord révèle en outre plusieurs bouleversements majeurs.

D’abord, à l’intérieur même du pouvoir iranien.

Même si Hassan Rohani a été élu parce qu’il était modéré, surtout après Ahmadinejad, et pour sortir l’Iran de l’impasse dans laquelle il s’était enfermé, il est certain qu’il n’aurait pu conclure cet accord sans l’aval du Guide suprême.

On a donc pris conscience au plus haut niveau du gouvernement que le monde a changé et que le jusqu’au‐boutisme est devenu impossible.

Le rials, la monnaie iranienne, menaçait en effet de s’effondrer complètement.

Mais cet accord et cette ouverture au reste du monde impliquent aussi que les Gardiens de la Révolution ont accepté que leur part, prégnante, dans les revenus de la manne pétrolière diminue.

Il y a donc une redistribution des cartes, encore timide, entre les pouvoir civil et religieux dans le pays.

Ensuite, l’attitude bienveillante du président américain Barak Obama laisse présager un renversement général des alliances dans le monde.

Ou en tout cas, une position nouvelle des États‐Unis sur l’échiquier mondial.

Les négociations secrètes de l’été dernier, entre américains et iraniens, révélées récemment, ne sont que pour étonner les naïfs, et notamment la diplomatie européenne qui n’a absolument pas pris la mesure de ce qui était en train de se jouer.

La position de la France particulièrement, belliqueuse à la fois sur le dossier syrien et sur le dossier iranien, menaçant même de faire échouer l’accord, est retardataire.

Faut il y voir la conséquence de l’alliance, conclue sous Nicolas Sarkozy et poursuivie sous François Hollande de l’Hexagone avec les pays de la péninsule, notamment le Qatar et l’Arabie saoudite ?

Alors que les États‐Unis ont manifestement décidé depuis un certain temps de se désengager, diplomatiquement et militairement du Proche‐Orient et du monde arabe au profit de la sphère asiatique, l’Europe continue de croire que le grand jeu se déroule toujours sur ce terrain‐là, ne menant d’ailleurs même pas sa propre politique étrangère, mais s’identifiant à ce qu’elle croit être encore la politique américaine.

Alors que les États‐Unis, proches d’atteindre l’autonomie énergétique grâce à leur exploitation des gaz et pétroles de schiste, sur leur propre territoire, ont de moins en moins besoin de leur vieil allié l’Arabie

saoudite.

Par là même, leur attitude ambiguë vis‐à‐vis des mouvements islamistes financés plus ou moins par les pétromonarchies se dissipe.

En témoigne leur recul sur la question syrienne.

Et dans un monde proche‐oriental totalement déstabilisé par les guerres d’Irak et de Syrie, ils ont besoin d’un acteur stable et fort.

C’est l’Iran qui semble prédestiné à jouer ce rôle, nonobstant les hauts cris israéliens.

Plus, les États‐Unis ont besoin de répondre à l’influence grandissante de la Russie, et de la Chine, dans la région.

L’administration américaine a sans nul doute pris conscience que le réel jouait contre elle, et que soutenir indéfiniment la ligne wahhabite ne lui rapporterait rien, quand Vladimir Poutine de son côté triomphe comme le défenseur des peuples opprimés.

Enfin, dans un Irak géré désormais par des chiites, rétablir la stabilité passe aussi par sa capacité à s’entendre avec le grand voisin de la même obédience, l’Iran.

Ce qui explique que le Premier Ministre irakien chiite Nouri al Maliki ait visité Téhéran dès l’accord conclu.

Victoire donc de la diplomatie, mais surtout de la realpolitik, et l’Europe, toujours arc‐boutée sur de grands principes loin du réel, a intérêt à en prendre de la graine, et rapidement, si elle veut continuer de jouer un rôle dans la région.

Pour l’instant, seul le Royaume‐Uni, pragmatique, en a pris la mesure en envoyant un diplomate dans la capitale de Mollahs.

Par ailleurs, loin d’entretenir la guerre meurtrière sunnites‐chiites, cet accord semble aider pour le moment à une certaine normalisation de leurs relations.

Ainsi, le ministre des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif – le grand gagnant politiquement, avec Hassan Rohani de la situation ‐ a effectué début décembre une tournée dans les pays du golfe – hors l’Arabie Saoudite.

Dans cet accord se trouve peut‐être simplement la clef de la résolution de nombre de conflits actuels, et de la diminution du terrorisme.

Si les clauses en sont respectées dans les mois qui viennent, et si les démocrates américains parviennent à résister aux pressions belliqueuses des faucons républicains et d’Israël, Barack Obama aura peut‐être réussi le triple tour de force de briser une vieille inimitié, de mettre un coup d’arrêt à l’influence grandissante de ses rivaux

que sont la Russie et la Chine dans la région et d’ouvrir un marché nouveau à ses entreprises.

De son côté, l’Iran devient enfin ce qu’il est, la principale puissance régionale, capable d’aider à la résolution du conflit syrien, de mettre fin aux guérillas terroristes sunnites, et de renouer des relations économiques conformes

à sa grandeur.

Les grands perdants risquent d’être les autres pays de l’OPEP et la Russie, que le retour du pétrole perse va violemment toucher économiquement, en poussant les cours à la baisse ; et l’Europe qui a donné l’impression d’être à la traîne du mouvement général de l’histoire actuelle.

Il est temps pour elle de réagir.

Charles Millon