Algérie : pays de tous les dangers par Charles Millon

1009452-Drapeau_de_lAlgérieEn cette année 2016, on peut juger sans exagérer que la situation de notre voisin ultra-méditerranéen n’a pas été aussi périlleuse depuis sa déclaration d’indépendance. En effet, à côté des défis qui l’attendent et des menaces qui pèsent sur elle aujourd’hui, l’Algérie de la « décennie de sang », celle des années 90 où les attentats des GIA décimaient sa population, pour horrible qu’elle ait été, pourrait paraître stable et prospère Actuellement, ce n’est pas directement le terrorisme qui sème le trouble à Alger – du moins, pas encore. Mais si les morts ne sont pas à dénombrer, l’avenir, lui, est sombre.

L’avenir économique d’abord : les chiffres publiés au compte goutte par le gouvernement et les différents organes officiels laissent entrevoir une situation plus que dégradée, angoissante.

Le 6 janvier dernier, la Banque d’Algérie a ainsi rendu publique une baisse du stock d’épargne financière du Trésor de plus de 40% au cours des neuf premiers mois de l’année précédente.

En effet, les prix du pétrole, comme l’on sait, sont fortement orientés à la baisse. Mais pas les dépenses publiques de l’Etat algérien, qui tient sa population par une politique sociale démesurée depuis de longues décennies.

Dans un pays dont 98% des recettes d’exportation proviennent des hydrocarbures, qui en sus ont tendance à se raréfier, cette chute des cours internationaux remet en cause rien moins que la paix sociale.

Et depuis quarante ans, aucun des dirigeants algériens n’a eu le courage de réformer l’économie du pays en profitant des mannes pétrolière et gazière.

Aujourd’hui, la seule importation de blé, dans un pays qui fut longtemps le grenier à céréales de son ancienne métropole, la France – notamment grâce à la riche plaine de la Mitidja – s’élève à 3 milliards d’euros par an. Il faut ajouter à cela 12 milliards de produits alimentaires annuels.

Le gouvernement a peu de marge de manœuvre devant lui : il devrait certainement couper dans les subventions qui permettent à la population la plus pauvre de survivre, mais ce serait précipiter une rapide révolution.

Il y a peu de chance qu’il s’y résolve. Il pourrait aussi bien, dans ce pays à l’économie presque entièrement étatisée, tenter de privatiser ses principales entreprises, mais ce serait alors trancher dans les rentes que se partage l’élite au pouvoir.

Troisième éventualité, il pourrait se résoudre à limiter les importations de biens d’équipement en imposant des quotas, notamment sur les véhicules, l’électroménager ou l’habillement. Mais c’est prendre le risque du retour du marché noir.

On le voit, le gouvernement algérien est dans l’impasse. Et plus que jamais, son caractère démocratique laisse à désirer. C’est le second problème du pays.

Le président Bouteflika, s’il a survécu à un AVC et dément pour l’instant les insistantes rumeurs sur on état de santé, notamment mentale, retiré qu’il est dans une résidence médicalisée proche de la mer, arrive pourtant en bout de course.

Et même si lui et ses proches entretiennent le faux suspense d’un quatrième mandat présidentiel, plus personne n’y croit.

Pourtant, il aura réussi ces dernières années à faire le ménage autour de lui pour préparer une succession dont tout laisse à penser qu’elle devrait échoir à son frère Saïd.

En effet, en cas d’empêchement ou de mort subite du président de la République, la constitution algérienne prévoit que le pouvoir soit provisoirement exercé par deux instances : le Conseil de la nation, sorte de chambre haute dont deux tiers des membres sont des notables élus au scrutin secret et indirect et le dernier tiers nommé directement par le président de la République.

Ce Conseil est donc tenu par les proches d’Abdelaziz Bouteflika.  Mais ce peut être aussi le président du Conseil constitutionnel qui exerce l’intérim, et en l’occurrence le président actuel, Mourad Medelci, n’est pas favorable au clan Bouteflika. Il faudra donc l’écarter pour faire élire Saïd.

Si celui-ci est candidat, il bénéficiera, outre de la confiance sans faille que lui a témoignée son frère jusqu’au bout, le tenant seul dans le secret de l’Etat, de sa maîtrise des finances du pays, du soutien de la presse qu’il contrôle, mais encore des services de sécurité, faiseurs de rois incontournables depuis l’indépendance.

En effet, Abdelalziz Bouteflika a écarté de leur direction  le fameux général « Toufik », qui lui faisait de l’ombre et seul menaçait son clan.

Par ailleurs, Saïd pourra s’appuyer sur les réseaux du FLN, qui ont mis en coupe réglée le pays. L’élite de manière générale aura intérêt à le soutenir pour éviter un chaos à la tunisienne.

Et le peuple lui confiera sans doute nombre de ses suffrages, puisqu’il s’est engagé, démagogiquement, à ne pas toucher aux subventions sociales.

Enfin, comme d’habitude, et comme elle l’avait fait avec Ben Ali au début du printemps tunisien, l’Europe accordera son appui à l’appareil stabilisateur habitué à gouverner, préférant l’injustice réelle au risque du chaos.

En ce sens, il y a peu de chances que la situation de l’Algérie s’améliore, personne n’y ayant intérêt, au moins tant que l’on peut fictivement faire tourner l’économie et le régime social.

Il n’est d’ailleurs pas anodin, même si cela semble anecdotique, que l’actuelle mosquée géante construite à Alger, qui sera douée du plus haut minaret du monde, monument à la gloire des années Bouteflika, soit construite par des milliers d’ouvriers chinois, alors que le taux de chômage algérien avoisine les 20%.

Mais le troisième problème de l’Algérie, c’est le voisinage de pays abandonnés au chaos du terrorisme. Hier le Mali, aujourd’hui la Libye.

Actuellement, 50 000 hommes, des gendarmes, des militaires et des gardes-frontières sont mobilisés dans le sud-est quasi-désertique du pays, avec un important dispositif de surveillance (avions, hélicoptères, drones).

Alger a imaginé un « mur de sable » qui doit courir jusqu’au Mali en passant par le Niger : il serait déjà en construction.

Mais selon Akram Kharief, animateur du blog Menadefense, « ce déploiement, presque équivalent à celui d’une opération extérieure, est un fardeau pour l’armée, qui a aussi envoyé 25 000 hommes à la frontière avec la Tunisie et autant avec le Maroc ».

En réalité, l’Algérie, qui a toujours été partisane de négociations politiques, aussi bien avec des islamistes qu’avec des pro-kadhafistes, demeure attentiste, sachant bien qu’elle n’a aucun intérêt à se fâcher avec qui que ce soit.

Ses frontières sahariennes, poreuses, et sans cesse traversées de tribus touarègues, ancestralement à cheval sur ces traits tirés sur une carte d’état-major, échappent à tout contrôle strict.

L’armée algérienne achète plutôt la paix avec ces voisins mal identifiés, à condition qu’ils n’importent pas le terrorisme dans l’intérieur de ses frontières.

Par ailleurs, il y a longtemps que l’on sait que le pouvoir d’Alger se sert de cette possible menace pour justifier la main de fer avec laquelle il tient le pays – nombre d’événements sanglants des années 90, mis sur le dos des GIA, demeurant mal éclaircis.

Charles Millon

Ancien ministre de la défense

Président de l’Avant-Garde




L’Algérie à la croisée des chemins

Même si la démocratie est loin d’y briller, même si la vertu de ses dirigeants est sujette à caution, l’Algérie demeure aujourd’hui, alors que le Sahel s’est embrasé et que les printemps arabes ont déstabilisé tout le nord du continent, un havre de stabilité pour l’Afrique et le versant méridional de la Méditerranée.

Mais les quinze dernières années de paix relative qu’a connues le pays, après la « décennie de sang » où la lutte féroce de l’armée contre les islamistes fit des dizaines de milliers de morts, pourraient dans les temps qui viennent n’être plus qu’un heureux souvenir.

Des forces contradictoires s’agitent dans ce grand pays qui n’arrive toujours pas à trouver son équilibre interne.

L’état du pays, pourtant riche en hydrocarbures et en minerais, demeure économiquement désastreux.

L’ordre règne, mais la prospérité reste confinée dans les cercles étroits de la clientèle des hommes de pouvoir.

Le taux de chômage des jeunes dépasse toujours les 20% selon les chiffres officiels, qui ne sont pas toujours fiables. Il pourrait être largement supérieur.

Dans un pays dont la population a plus que triplé en cinquante ans, et même si le taux d’accroissement naturel a tendance à diminuer ces dernières années, le logement, les infrastructures routières, scolaires ou hospitalières sont toujours trop rares, désuets ou défectueux.

Surtout, 98% des exportations du pays sont le fait des seuls hydrocarbures, une manne qui, si elle a permis à l’Algérie de se désendetter et de rétablir ses comptes, a tendance à diminuer avec le temps.

Les autres secteurs, comme l’agriculture, les industries ou les services, restent peu compétitifs.

Le pays qui du temps de la colonisation française était exportateur de matières premières alimentaires, doit maintenant importer 60% de sa consommation.

Enfin, l’administration qui fut longtemps le principal employeur du pays a été décimée avec le passage à l’économie de marché acté durant la décennie 90.

La corruption continue d’y régner et les divers blocages et pots‐de‐vin découragent les investisseurs extérieurs ou intérieurs.

Alors que ses deux voisins, le Maroc et la Tunisie, ont réussi depuis longtemps à développer une industrie du tourisme florissante, l’Algérie est encore balbutiante dans ce domaine et souffre toujours de son image de pays peu sûr, en état de guerre civile larvée.

Sur le plan purement géopolitique, l’Algérie aurait pourtant les moyens de jouer son rôle de grande puissance régionale.

Il lui faudrait déjà commencer par régler ses différends territoriaux avec le Maroc et envisager de créer une véritable union du Maghreb dont elle constituerait le centre.

Mais les rivalités nationales ne semblent pas s’apaiser avec le temps.

L’Algérie est surtout aujourd’hui en contact direct avec les régions sahéliennes où couve le feu islamiste.

Si elle a appris de sa malheureuse expérience avec les GIA à maîtriser sur son territoire le terrorisme, il lui reste à sécuriser les grands espaces désertiques du sud où prolifèrent les cellules nomades djihadistes nouvelle manière.

La chute de Kadhafi ayant entraîné la constitution de nombreuses cellules djihadistes dans la région, le risque de chaos n’est jamais loin.

Témoigne aussi de cette inquiétude du gouvernement algérien l’autorisation donnée aux avions français lors de l’intervention au Mali de survoler le territoire national, une exception pour un pays jaloux de sa souveraineté, surtout vis‐a‐vis de l’ancienne puissance coloniale.

Malgré elle, l’Algérie se retrouve aujourd’hui au centre du jeu complexe de l’Afrique du nord où ces trois dernières années toutes les cartes ont été rebattues, depuis l’Egypte jusqu’au Mali, en passant par la Libye et la Tunisie.

Si son gouvernement donne le moindre signe de faiblesse, nul doute que ses ennemis, intérieurs comme les autonomistes kabyles ou les islamistes, ou extérieurs comme les djihadistes, en profiteront pour rallumer la mèche du conflit.

L’Union européenne comme d’ailleurs toutes les autres puissances du monde qui y ont des intérêts, particulièrement les Etats‐Unis et la Chine, seront avisées de garder sur le pays un œil vigilant, sous peine de voir le chaos se répandre un peu plus.

Seul pôle puissant et stable de la région, avec le Maroc, l’Algérie demeure la clef d’une Afrique du nord et sahélienne apaisée.

Charles Millon