Les cinq péchés de la réforme territoriale | Le rendez-vous manqué de François Hollande Institut Thomas More | Note d’actualité

Le 18 juin, le projet de réforme des collectivités territoriales sera présenté en Conseil des ministres.

Après plus de trente ans d’une décentralisation brouillonne et souvent réticente de la part de l’État, on ne peut que se réjouir des intentions affichées par l’exécutif depuis le 6 mai dernier. Au bout de deux ans, François Hollande tient-il enfin « la » réforme de son quinquennat ?

Réforme profonde et qui réclame du courage, tant les habitudes, les conservatismes, les frilosités sont nombreuses.

Économies budgétaires, simplification administrative, meilleure efficacité de l’action locale, meilleure répartition des compétences, plus grande proximité avec les citoyens, dynamisation et ouverture des territoires : tels sont les enjeux réels de la réforme des collectivités si l’on veut qu’elle soit porteuse devrais changements.

Hélas, tant dans la méthode que dans les objectifs affichés,on peut douter de l’efficacité du mouvement lancé par l’exécutif. Précipitation, dirigisme, manque de lisibilité de la réforme, manque de confiance dans les acteurs de terrain et absence de réforme de l’État préalable à la réforme des collectivités : passage en revue des cinq péchés de la réforme territoriale.

1 | La précipitation

Alors que les élections départementales (ex-cantonales) et régionales, dont le calendrier a été maintes fois changé, sont désormais fixées à l’automne 2015, l’exécutif s’engage dans une course de vitesse pour faire approuver sa réforme, qui prendra la forme de deux projets de loi (1), avant le mois d’octobre prochain.

En effet, la loi interdit toute réforme des collectivités territoriales au cours de l’année précédant des scrutins locaux (2).

Les élections départementales, initialement fixées en mars 2015, ont donc été déplacées à l’automne, en même temps que le scrutin régional. Pour respecter ces délais extrêmement courts, le chef de l’État a donc accéléré le rythme de la réforme annoncée par le Premier ministre lors de son discours d’investiture le 8 avril dernier.

Après la déroute du PS aux élections européennes du 25 mai, l’exécutif annonce que les projets de loi seront présentés en Conseil des ministres le 18 juin prochain.

Pourquoi un rythme si effréné ? Comment justifier qu’une réforme d’une telle ampleur soit annoncée, conçue et votée en quelques semaines ?

Touchant à l’équilibre institutionnel, aux pouvoirs locaux, aux services publics, à la vie des entreprises et des citoyens, pareil bouleversement exige du temps de conception, d’évaluation, de concertation et de préparation.

Rien de tout cela ! Pas d’évaluation non plus des réformes ou des tentatives de réformes antérieures (loi Deferre de 1982, loi Raffarin de 2004, Comité Balladur de 2009, échec du référendum alsacien de 2013, etc.) ou d’analyses comparatives avec des pays étrangers.

Dans la VRépublique, il est un moment où de tels changements peuvent et doivent être débattus devant tous les Français : c’est l’élection présidentielle.

Or ni la fusion des régions, ni la disparition des départements, ni la montée en puissance des intercommunalités n’étaient présentes dans les « 60 propositions »de François Hollande lors de la campagne de 2012 (3). La soudaineté de ce grand chambardement risque d’éveiller plus de rejet que d’adhésion dans une société française prompte à la défiance.

2 | Le dirigisme

C’est seul, ou à peu près, que le chef de l’État a redessiné la carte des régions de France. Il semble, en effet, qu’il n’ait que peu consulté les élus locaux, se bornant à une série d’entretiens avec les responsables des partis politiques et à quelques échanges avec les présidents des exécutifs régionaux – souvent ses proches (4). La recherche de l’adhésion des élus comme des citoyens ne paraît pas faire partie de son plan de bataille. L’option d’une suppression pure et simple des départements n’a pas été retenue car elle aurait nécessité une modification constitutionnelle qui, elle-même, aurait réclamé une majorité des trois cinquièmes du Parlement convoqué en Congrès ou la voie référendaire(article 89 de la Constitution) – cette dernière solution étant souhaitée par une majorité de Français (5).

Ce mélange de dirigisme, auquel invitent certes les institutions de la Ve République, et du refus de la prise de risque que constitue tout débat soumis au vote (du peuple ou de ses représentants), fait planer une lourde menace sur le projet :celui de perdre une opinion pourtant, en soi, favorable à 68% à la réduction des échelons locaux (6). Sur une réforme qui touche de si près la vie des personnes sur leurs territoires – à travers l’organisation des services publiques, l’école, l’accès aux services sociaux, etc. –, le « fait du prince » est un bien mauvais calcul.

3 | Le manque de lisibilité de la réforme proposée

Le diagnostic a bien été posé par Jean-Christophe Fromantin, député-maire de Neuilly-sur-Seine et président de l’association Territoires en Mouvement : « il manque une vision ambitieuse et une méthodologie rigoureuse qui tiennent compte de l’historique et des cultures de nos territoires, et qui pose le débat en termes de stratégie, de développement et de subsidiarité » (7). Ne revenons pas sur l’élaboration de la nouvelle carte des régions ; outre la méthode dont on vient de parler, la fluctuation du nombre de régions finalement retenu (d’abord 11, puis 12, puis 15, puis 17, puis à nouveau 12 et enfin 14…) en dit long sur le flou des objectifs et des intentions.

Dans sa tribune publiée dans la presse régionale le 3 juin dernier (8), le Président de la République fait certes un choix à peu près clair en fondant sa réforme sur les régions (14 « grandes régions ») et les communes (et les intercommunalités qui devront regrouper au moins 20 000 habitants, au lieu de 5 000, à partir du 1er janvier 2017). Mais il reste flou sur trois points majeurs.

D’abord, l’avenir des départements. Au lieu de les supprimer dès maintenant (ce qui aurait permis de faire l’économie de l’élection de l’an prochain), le président se contente d’indiquer que « l’objectif doit être une révision constitutionnelle prévoyant la suppression du conseil général en 2020 »… Manière de dire qu’il laisse ce délicat dossier à son successeur. Mais il y a plus : si le Conseil général doit disparaître, le département, lui, « en tant que cadre d’action publique restera une circonscription de référence essentielle pour l’État,autour des préfets et de l’administration déconcentrée avec les missions qui sont attendues de lui ».

Ensuite, la question des moyens. Chacun connaît l’état des finances des collectivités et les contraintes qui pèsent sur elles. C’est l’une des problématiques majeures pour les responsables d’exécutifs locaux actuellement. Les nouvelles grandes régions, renforcées de la plupart des missions actuellement dévolues aux départements pour l’instant, « disposeront de moyens financiers propres et dynamiques ». Le Président n’en dit pas plus dans sa tribune… Rien sur la réforme de la fiscalité locale, aucune avancée sur le transfert de moyens de l’État aux régions, rien non plus sur le tabou de l’autonomie fiscale. François Hollande demande aux collectivités de faire leur big-bang sans leur en donner les moyens.

Enfin, le bénéfice financier escompté. L’exécutif a communiqué sur un potentiel d’économies de 12 à 25 milliards d’euros – là encore la taille de la fourchette ne suggère pas un travail préalable très précis… Cette affirmation a été remise en cause par Alain Rousset, président de la région Aquitaine, président de l’Association des régions de France et réputé proche de François Hollande, qui se dit incapable de s’engager sur un montant précis (9). Certains observateurs pensent même que cette réforme, qui n’est pas accompagnée par une réforme préalable de l’État(voir infra) coûtera plus cher en fusion des services, en alignement des statuts et des conditions salariales, en coûts indirects, etc. (10)

4 | Le manque de confiance dans les acteurs de terrain

On l’a dit, les acteurs locaux ont été très peu associés au processus de décision. Enfermé dans sa bulle administrativo-politique, le sommet de l’État décide de l’avenir du terrain et croit lui apporter des solutions en se contentant de jouer sur le mécano institutionnel : le manque de confiance dans la capacité des acteurs locaux à décider le meilleur pour eux est flagrant dans ce projet de réforme.

Une vision authentiquement décentralisatrice aurait retenu une méthode inverse, inspirée par le principe de subsidiarité, en fixant des objectifs de performance mais en laissant aux acteurs le soin de s’organiser pour y parvenir. Un tel choix aurait permis aux régions et à leurs habitants de se sentir à la fois plus libres et plus responsables – ce qui leur auraient permis de s’approprier la réforme et ses contraintes. Il aurait aussi favorisé l’imagination,l’expérimentation et l’émulation entre collectivités petites ou grandes,rurales ou urbaines, de plaines ou de montagne, etc. Le tissu local est divers et vivant : c’est en le respectant qu’on lui fera donner le meilleur de lui-même.

Viendrait-il à l’idée des Américains de bouleverser la carte de leurs 50 États – dont quatre sont moins peuplés que le Limousin, région française la moins peuplée (11) – pour engager des réformes visant à une meilleure efficacité et une baisse des dépenses ? En Allemagne, en Espagne, en Suisse, on trouve des Länder, des régions autonomes, des cantons plus petits ou moins peuplés que les régions françaises. Leurs performances économiques ne sont pas moins bonnes, en soi, que celles des entités plus grandes.

L’argument de l’« optimum régional » et de la taille critique ne tient pas. C’est une bonne gouvernance et l’attachement du citoyen pour lui qui assure la performance d’un territoire.

Dit autrement, « ce qui fait la réussite d’un territoire, c’est l’investissement de ses acteurs, que ce soient les entreprises, les administrations ou les citoyens. Cela suppose qu’ils s’identifient à la région, qu’ils aient envie de mouiller leur maillot pour elle » (12)…

C’est ce qu’a bien compris David Cameron dans la mise en œuvre de la Big Society depuis 2010 : la confiance dans le citoyen et dans la spécificité de chaque territoire est le point central du Localism Act, lui-même au cœur du projet de Big Society (13).

5 | L’absence de réforme de l’État préalable à la réforme des collectivités

Le principal argument de l’exécutif en faveur de sa réforme est celui de la simplification et de l’allègement des coûts. Mais l’État est-il légitime à réclamer des collectivités qu’elles se réforment alors qu’il s’en montre incapable ? Et quelle efficacité aura cette réforme si l’État ne met pas lui-même fin à la fuite en avant des dépenses et des embauches de fonctionnaires ?

La crise du « modèle français » jacobin et centralisé est une crise de l’action publique et, pour tout dire, une crise de l’État (14).

Dans son refus obstiné d’engager sa mutation, il entraîne tout le pays, collectivités comprises, sur une pente dangereuse. Dans ce contexte, la réforme annoncée par l’exécutif peut être vue comme une manœuvre de diversion d’un État qui n’a pas le courage de se réformer ni de mettre en œuvre les changements qui permettraient une vraie respiration des territoires et de la société française.

Le premier consisterait à supprimer, enfin, au sein de la fonction publique de l’État des services et des postes qui auraient dû l’être au fur et à mesure du processus de décentralisation engagé depuis trente-cinq ans. De même, un puissant travail de simplification administrative pourrait être engagé.

Un autre axe majeur serait la réforme des finances et de la fiscalité locale. La réforme territoriale annoncée sert de paravent au refus de mettre en œuvre une telle réforme de la fiscalité locale : « en effet, aujourd’hui, suite aux décisions de recentralisation fiscale de 1999-2000, l’État a supprimé des taxes affectées aux collectivités territoriales sans leur affecter d’autres impôts,et remplacé leur produit par des reversements du budget national.

En conséquence, l’État est devenu le premier contribuable local, ne permettant pas aux citoyens de voir sur leur feuille d’impôt les vraies recettes des collectivités, comme l’avait justement noté le rapport Mauroy de 2000. Puisque le citoyen ne le sait pas, la décentralisation est devenue un slogan »(15).

Sans confiance et sans vision, la réforme voulue par François Hollande risque fort de ressembler aux précédentes. Tant que les responsables politiques n’auront pas fait leur révolution mentale, tant que l’État restera réticent à d’authentiques transferts de compétences et de moyens, tant que les élites ne laisseront pas les citoyens et les collectivités s’organiser au mieux de l’intérêt local, la décentralisation restera un vœu pieux.

(1) Le premier, dès juin, sur la carte régionale, le second portant sur les compétences des collectivités, après les élections sénatoriales.

(2) L’article 7 de la loi du 11 décembre 1990, modifiant le Code électoral, interdit toute modification des circonscriptions électorales dans l’année précédant une échéance renouvelant les assemblées concernées.

(3) La proposition 54 prévoyait seulement une loi sur le renforcement de la démocratie locale,l’abrogation du conseiller territorial, la garantie du niveau des dotations, la réforme de la fiscalité locale et une meilleure péréquation.

(4) Voir par exemple « Le jour où François Hollande a redessiné la France », Le Monde, 4 juin 2014 et « François Hollande a tranché seul », Le Progrès, 3 juin 2014.

(5) 58% des Français souhaitent être consultés par référendum sur la réforme territoriale, sondage Les Français et la réforme des collectivités locales, réalisé par l’Ifop pour Acteurs publics et Ernst& Young, 3 juin 2014.

(6) Sondage Le projet de loi de décentralisation  et la recomposition territoriale, réalisépar LH2 pour la presse régionale et France Bleu, 10 avril 2014.

(7) Jean-Christophe Fromantin, La refonte des territoires ne se fera pas en chiffonnant la carte, Territoires en mouvement, 16 avril 2014.

(8) François Hollande, Réformer les territoires pour réformer la France, 3 juin 2014.

(9) Europe 1, 3 juin 2014.

(10)Gérard-François Dumont, « La fusion des régions va coûter plus cher ! », Le Point.fr, 4 juin 2014.

(11) Alaska, Dakota-du-Nord,Rhode-Island et Wyoming.

(12) Gérard-François Dumont, op. cit.

(13) Pour les détails, voir Euxode Denis, La Big Society de David Cameron et ses enseignements pour la France, Institut de l’entreprise, 2014.

(14) Jean-Thomas Lesueur, « Fédéralisme : une chance pour les patries ? », Causeur, janvier 2014.

(15)Gérard-François Dumont, « Réforme territoriale : les conditions incontournables pour qu’elle soit réussie », Atlantico.fr,14 mai 2014.

« Institut Thomas More, Note d’actualité 23,juin 2014 »:
http://www.institut-thomas-more.org/fr/actualite/les-cinq-peches-de-la-reforme-territoriale-le-rendez-vous-manque-de-francois-hollande.html