Centrafrique – l’intervention française
Le rétablissement de la paix civile sera long sans doute en République centrafricaine.
L’Etat est réduit à sa plus simple expression, les caisses du trésor sont vides ‐ et l’on murmure que le précédent président François Bozizé, en fuite, n’est pas étranger à cette pénurie – le peuple enfin et surtout est maintenant
profondément divisé.
C’est certainement la question la plus préoccupante.
La Centrafrique ne s’était pas jusque là illustrée, contrairement à nombre d’autres pays du continent, par des émeutes ethniques, et les différentes composantes de sa société vivaient plutôt en bonne intelligence.
Mais le déferlement de la Séléka, bande inorganisée de rapaces à quoi se sont mélangés des éléments islamistes venus du nord ou de pays avoisinants, a mis au jour pour la première fois un antagonisme possible entre la majorité chrétienne et la minorité musulmane septentrionale.
Alors que l’armée et la police gouvernementales ont été réduites à leur plus simple expression, les exactions continues, pendant des mois, ont conduit les populations de la capitale à s’organiser en milices d’autodéfense.
C’est à cette situation, extrêmement tendue et couvant des massacres comme la nuée l’orage, que la France doit faire face, depuis qu’elle a renforcé ses troupes sur place, avec l’opération Sangaris.
La situation sécuritaire à Bangui est devenue plus tendue et préoccupante encore depuis l’attaque de la capitale le 5 décembre 2013 par des hommes armés anti‐Séléka, comprenant des anti‐balaka et des ex‐faca, parmi lesquels des hommes de l’ancienne garde présidentielle.
Ces attaques visaient sans doute à causer le maximum de pertes dans les rangs de l’ex‐Séléka et à entrainer un soulèvement populaire contre les autorités au pouvoir.
Mais la riposte des ex‐Séléka et surtout leurs représailles contre la population ont été très violentes et féroces.
Le conflit glisse ainsi insidieusement vers une guerre civile, interreligieuse ou inter communautaire : les ex‐Séléka et populations musulmanes d’un côté et les anti‐Séléka et populations chrétiennes de l’autre.
Par crainte des représailles de l’ex‐Séléka, de nombreuses populations des quartiers de Bangui ont quitté leur domicile pour trouver refuge près de l’aéroport protégé par les Français et dans les églises, tandis que des populations musulmanes se réfugiaient, elles, dans des mosquées.
Cette situation s’est aussi répercutée dans d’autres localités de province, notamment à Bossangoa et Bouar. Depuis le 5 décembre, les troupes françaises ont été renforcées, pour être portées à 1600 hommes.
Elles sont présentes surtout à Bangui et à Bossangoa, mais aussi à Bouar et à Bossembélé dans le nord‐ouest, région très meurtrie par les exactions de l’ancienne rébellion.
Mais c’est surtout depuis le 9 décembre que les soldats français patrouillent en nombre dans Bangui, en véhicules sur les grandes artères et à pied dans les quartiers périphériques, désarmant tous les groupes armés qui ne sont pas cantonnés.
En coordination avec les troupes françaises, la force africaine Micopax, soit 2500 hommes qui devraient être renforcés par 850 burundais et 650 congolais, patrouille dans la ville et protège les nombreux sites de populations déplacées dans Bangui.
Le bilan provisoire de cette semaine de violences est estimé à plus de 500 morts dans la seule ville de Bangui, sans compter la ville de Bossangoa et la région environnante qui connait des affrontements similaires.
Un soldat du contingent tchadien a été grièvement blessé le 11 décembre. De nombreux blessés sont enregistrés.
La situation humanitaire déjà catastrophique ne cesse de s’aggraver.
Des tensions persistent encore avec des éléments de l’ex‐rébellion Séléka ; des tireurs isolés parfois en tenue civile tirent sur des patrouilles Micopax ou Sangaris.
Au‐delà des affrontements entre communautés, d’innombrables difficultés s’opposent à une résolution simple du conflit : notamment un manque de cohésion au sein de la Micopax dû au comportement de certains éléments du contingent tchadien ; mais aussi la présence de tireurs isolés de l’ancienne Séléka, parfois déguisés en civil, qui tirent sur les patrouilles Micopax ou françaises.
Devant l’horreur des massacres, notamment d’enfants, la France a fait son devoir en intervenant, avec l’accord de la communauté internationale, même si celui‐ci est venu bien tard.
Mais afin de sauvegarder la crédibilité des Forces Micopax et Sangaris, il importe aujourd’hui que le principe d’impartialité soit strictement respecté.
Tous les groupes armés sans exception (ex‐Séléka ou anti‐Séléka) doivent être désarmés, tout en veillant à empêcher les populations de s’adonner à des actes de vengeance les unes contre les autres.
De même, le contingent tchadien doit être rappelé à l’ordre et mis en garde contre tout agissement contraire aux règles d’engagement de la Micopax.
Dans tous les cas, l’emploi de ce contingent dans les opérations de sécurisation mérite une attention toute particulière afin d’éviter de discréditer la Micopax et la Misca – la nouvelle force africaine qui doit lui succéder.
Enfin, le transfert d’autorité de la Micopax à la Misca prévu pour le 19 décembre 2013 devra absolument être effectif, la période transitoire actuelle rendant particulièrement vulnérables les populations.
L’Europe de son côté, ne s’est pas précipitée pour donner un coup de main, et encore une fois la France est partie seule, comme au Mali.
Le 17 décembre, Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères, a enfin annoncé qu’il avait bon espoir que certains pays européens envoient des troupes au sol.
L’Europe finance déjà la Misca, mais elle aurait aussi intérêt à prendre sa part dans l’effort militaire français. Elle y a intérêt notamment pour éviter des futurs Lampedusa.
La stabilisation de l’Afrique serait profitable pour le monde entier.
D’autant plus qu’à travers le cas précis de la Centrafrique, de nombreux problèmes actuels du continent s’expriment.
Il y a d’abord le problème, sur lequel on ne peut continuer de jeter un voile pudique, de la progression systématique de l’islamisme depuis 10 ans dans toute la région.
Et il s’agit d’un islam conquérant soutenu par l’Arabie saoudite, le Qatar, tous les pays sunnites en général, à l’œuvre au Mali, au Nigéria, au Soudan et même au Tchad.
En face, des populations chrétiennes ou animistes qui attendent un secours du reste du monde. Il y a encore l’éternel problème des frontières : le seul mot Centrafrique ne signifie‐t‐il que nous ne sommes pas face à un véritable pays ?
La question des identités est de plus en plus prégnante dans un continent dont les habitants ne se reconnaissent réellement que dans leurs tribus ou leurs ethnies.
Il faut se demander quand la communauté internationale osera enfin prendre le taureau par les cornes, et aider l’Afrique à inventer un autre type de démocratie, taillé sur sa mesure à elle.
Enfin, la Centrafrique a été manifestement victime de pillage de ses ressources depuis des années par des prédateurs étrangers, Etats ou grands groupes internationaux, dans les domaines du diamant, du pétrole ou de l’uranium.
Ses élites corrompues, dont François Bozizé comme Michel Djotodia sont de parfaits exemples, doivent être enfin remplacées par des gouvernants véritables, soucieux du bien commun.
On susurre aujourd’hui le nom de Martin Ziguélé, ancien Premier ministre d’Ange‐Félix Patassé, comme possible candidat lors des élections qui devraient être organisées rapidement.
Il jouit d’une réputation d’humaniste au fait des questions nationales et internationales qui plaide en sa faveur.
Il n’est que temps que la Centrafrique se découvre de vraies élites pour la gouverner, quelque forme qu’elle prenne dans les années qui viennent.
Charles Millon