Communiqué de Presse suite à la démission du Chef d’état-major des armées

Je tire trois enseignements de la démission de Pierre de Villiers qui me semblait d’ailleurs inéluctable – et qui n’est pas la première erreur du président Macron, mais la seconde puisqu’il a quelques jours auparavant déclaré qu’il fallait diminuer le nombre d’élus locaux, prouvant par là qu’il ne connaît rien à la vie locale.

Voici lesquels :

1. Cela pose la question de la parole donnée : comment peut-on s’engager en campagne électorale à augmenter le budget des Armées jusqu’à ce qu’il atteigne 2% du PIB, et un mois après son élection raboter ledit budget de 850 millions sur une année, alors même que l’on demande toujours plus d’efforts à nos soldats ?
2. Ce qui nous amène à la question de l’engagement : comment confirmer dans ces circonstances l’engagement de la France vis-à-vis des cinq pays du Sahel (Mauritanie, Mali, Burkina-Faso, Niger et Tchad), alors qu’on privilégie une seule approche comptable et budgétaire ? Le Président de la République doit s’engager fermement dans la lutte actuelle et prendre la mesure de notre conflit avec l’islam radical.
3. Enfin, la question de la légitimité de la parole du Chef d’état-major des armées : doit-il se taire, ou mentir devant une Commission ad hoc pour être conforme à la dernière parole du Président de la République ? Ou au contraire, ne doit-il pas alerter sur le risque de dégradation de l’équipement et de la formation des militaires dont il a la charge ?

Il y a, hélas, des précédents historiques à cette situation, lorsqu’en 1938, des hauts généraux alertèrent les pouvoirs publics sur l’état de notre armée, et à qui malheureusement les événements donnèrent rapidement raison.

Charles Millon
Ancien Ministre de la Défense




Burkina Faso : Etat de droit ou démocratie ?

Fin octobre, le Burkina Faso a vécu ce que l’on n’a pas hésité  à appeler  une  « révolution noire » : des centaines de milliers de jeunes gens, las de 27 années de règne du chef de l’État Blaise Compaoré, lequel souhaitait modifier une énième fois la Constitution pour se maintenir au pouvoir, manifestaient à Ouagadougou.

Après avoir incendié le Parlement, ils  ont finalement mis en fuite le président le 31 octobre.

Malgré des manifestations de grande ampleur, certainement téléguidées par d’anciens amis du président qui était sur la sellette depuis 2011, le changement de régime s’est accompli dans un calme relatif.

Ce qui est une bonne nouvelle.

Depuis ce 31 octobre et le départ en exil du président Blaise Compaoré, le Burkina Faso vit sa transition à un rythme soutenu.

La charte qui détermine l’architecture institutionnelle de cette période devant mener à des élections dans un an a été signée rapidement, le 15 novembre, et le nouveau chef de l’État, Michel  Kafando  a prêté serment  le 21 novembre.

Les pressions internationales ne sont pas étrangères à cette accélération du calendrier, mais il est remarquable que l’armée, sous la houlette du lieutenant-colonel Isaac Zida, ait rendu si vite le pouvoir.

Le chef militaire n’a cependant pas renoncé à toute dignité officielle et il a même obtenu le poste de Premier Ministre : son « retour dans les casernes », a­ t-il lui-même indiqué, ne se fera qu’à l’issue de la transition, c’est-à-dire dans un an.

D’ici là, tout peut  encore arriver.

En attendant, plusieurs enseignements peuvent déjà être retirés de ce changement de régime : Michel Kafando n’est pas l’élu d’un scrutin populaire mais le fruit du consensus d’un collège de désignation composé de vingt-trois membres issus de différentes composantes de la société.

Au bout d’une nuit d’auditions et de tractations, les « grands électeurs » issus des rangs de l’armée, des partis politiques de l’ancienne opposition, de la société civile et des organisations religieuses ont tranché en faveur d’un homme d’expérience,connaissant les rouages de l’État et les arcanes internationaux.

Kafando a en effet été représentant du pays auprès de l’ONU.

Ce mode peu courant de désignation est à double tranchant : d’une part, il semble témoigner d’une certaine maturité du corps politique et social du Burkina Faso, qui n’a pas souhaité que dure trop longtemps la période de vacance du pouvoir et qui s’est emparé dès que possible du problème pour tenter de réinventer un pouvoir stable.

Mais d’autre part, entant qu’ancien proche de Compaoré, Michel Kafando peut apparaître devant le peuple, et notamment la jeunesse du pays, comme une doublure, en moins flamboyant, du précédent président.

Le Burkina, comme beaucoup de pays africains, connaît en effet une démographie galopante, de près de six enfants par femme, et la jeunesse y pèse donc d’un poids énorme.

Une jeunesse à qui, dans ce pays qui est l’un des plus pauvres de la planète, peu d’avenir est proposé.Le Burkina, qui n’a pas d’accès à la mer et compte 80% de population paysanne,est de longtemps un pays d’émigration.

D’abord vers le Ghana,puis vers la Côte-d’Ivoire, où le poids croissant de sa population avait contribué en 2003 à déstabiliser le pays.

C’est ainsi qu’il survit,  grâce aux capitaux que sa diaspora ramène de l’étranger.

Mais cette situation n’est pas viable, et la gabegie du développement industriel a été à peine masquée par la stabilité du pouvoir de Compaoré qui avait pris les rênes du pouvoir après l’assassinat du héros national Thomas Sankara en  1987.

Michel Kafando se propose de «bâtir une nouvelle société, une société réellement démocratique basée sur la justice sociale, la tolérance».

Noble ambition, mais quine fait pas un programme.

Dans un pays qui compte soixante ethnies, il est plus que jamais nécessaire de tenir compte de la réalité africaine.

Les frontières extérieures, mais aussi intérieures, ont été héritées de la colonisation et c’est une administration  sans rapport  direct avec le terrain qui est plaquée sur les différentes régions.

De manière générale, les constitutions occidentales ont été directement importées dans ces pays, sans que les traditions locales soient respectées et sans que  l’organisation  des populations soit prise en compte.

Le Burkina, aux deux tiers musulman, a pour l’instant la chance de n’être pas touché par la vague d’islamisation qui parcourt l’Afrique, et les communautés religieuses y cohabitent pacifiquement.

C’est d’ailleurs l’Église catholique elle­ même qui a été sollicitée à certain moment de la transition pour que l’un de ses représentants occupe le pouvoir, ce qu’elle a évidemment refusé de faire.

Mais cette harmonie religieuse ne masque pas la dichotomie qui existe entre la démocratie légale et la réalité sociologique du Burkina.

C’est d’ailleurs cela quia entraîné indirectement la chute de Compaoré.

Les institutions, respectées à la lettre, ne permettent pas la stabilité politique.

Pendant plusieurs décennies, les Burkinabés ont préféré un chef d’État à poigne  et qui modifiait la constitution selon son bon plaisir à un chaos réel.

Néanmoins, ce modèle n’est pas satisfaisant.

Il est urgent que les textes soient révisés pour correspondre à la réalité africaine : il faudrait par exemple imaginer que les représentants des royaumes, des tribus ou des ethnies siègent au niveau national dans un Sénat recomposé et soient associés à la gestion locale.

Ce qui permettrait d’instaurer une harmonie politique à la base, et de prendre en compte les vraies aspirations des populations.

Au lieu de quoi, on préfère un simulacre démocratique, avec des élections ou truquées ou induisant une très large abstention, au profit d’une caste très réduite.

Le réalisme devrait pourtant conduire à s’interroger une bonne fois pour toutes sur l’opposition entre le système légal officiel et le système coutumier  qui continue de régir le mode de vie des habitants de ces pays-là.

C’est un autre enseignement de cette « révolution noire », enseignement  dont une grande partie de l’Afrique doit faire son miel : le besoin de liberté et d’organisation réaliste va se répandre.

D’un point de vue géopolitique, c’est extrêmement préoccupant : demain, ce peut­ être aussi bien le Cameroun que le Congo-Brazza, le Bénin que le Tchad qui peuvent être touchés, dans un jeu  de dominos semblable à celui du Printemps arabe.

Manifestement, le temps des autocraties déguisées en démocraties a vécu.

Mais il est illusoire de penser que la structure sociale permettrait à l’Afrique de faire un saut immédiat – pour autant qu’elle soit désirable d’ailleurs – vers la démocratie occidentale abstraite et déliée des contingences du terrain.

L’urgence africaine,c’est de faire respecter l’État de droit plutôt que la démocratie.

Les deux ne sont en effet pas superposables, et l’on peut parfaitement imaginer un avenir africain fondé sur des États décentralisés, organisés par le bas, respectant parfaitement le droit, qui évitent les pièges de la féodalité autant que ceux des grandes proclamations démocratiques non suivies d’effets.

Redonner la parole aux populations selon leur ordre, c’est aussi empêcher le pillage  infernal des ressources du continent qui doivent beaucoup plus à l’avidité et à la pusillanimité  des élites renfermées dans leur domination qu’à une supposée faiblesse intrinsèque de la société africaine.

L’exemple du Sénégal,organisé de façon stable autour de ses confréries, devrait inspirer ces nations qui hésitent sans cesse entre un ordre fort et une soif de liberté compréhensible.

Cette organisation a l’immense mérite de ne pas  donner  le pouvoir à une seule ethnie, dominante numériquement, mais de prendre  en compte toutes  les composantes de la société.

Afin d’assurer stabilité et continuité, modernité et respect de la tradition, le président aurait la mission, la fonction et le rôle de père de la nation, ainsi que le furent Houphouët-Boigny ou Sedar-Senghor en leur temps.

L’expédition des affaires courantes relèverait d’un gouvernement présidé par un Premier  ministre.




Centrafrique – l’intervention française

Le rétablissement de la paix civile sera long sans doute en République centrafricaine.

L’Etat est réduit à sa plus simple expression, les caisses du trésor sont vides ‐ et l’on murmure que le précédent président François Bozizé, en fuite, n’est pas étranger à cette pénurie – le peuple enfin et surtout est maintenant

profondément divisé.

C’est certainement la question la plus préoccupante.

La Centrafrique ne s’était pas jusque là illustrée, contrairement à nombre d’autres pays du continent, par des émeutes ethniques, et les différentes composantes de sa société vivaient plutôt en bonne intelligence.

Mais le déferlement de la Séléka, bande inorganisée de rapaces à quoi se sont mélangés des éléments islamistes venus du nord ou de pays avoisinants, a mis au jour pour la première fois un antagonisme possible entre la majorité chrétienne et la minorité musulmane septentrionale.

Alors que l’armée et la police gouvernementales ont été réduites à leur plus simple expression, les exactions continues, pendant des mois, ont conduit les populations de la capitale à s’organiser en milices d’autodéfense.

C’est à cette situation, extrêmement tendue et couvant des massacres comme la nuée l’orage, que la France doit faire face, depuis qu’elle a renforcé ses troupes sur place, avec l’opération Sangaris.

La situation sécuritaire à Bangui est devenue plus tendue et préoccupante encore depuis l’attaque de la capitale le 5 décembre 2013 par des hommes armés anti‐Séléka, comprenant des anti‐balaka et des ex‐faca, parmi lesquels des hommes de l’ancienne garde présidentielle.

Ces attaques visaient sans doute à causer le maximum de pertes dans les rangs de l’ex‐Séléka et à entrainer un soulèvement populaire contre les autorités au pouvoir.

Mais la riposte des ex‐Séléka et surtout leurs représailles contre la population ont été très violentes et féroces.

Le conflit glisse ainsi insidieusement vers une guerre civile, interreligieuse ou inter communautaire : les ex‐Séléka et populations musulmanes d’un côté et les anti‐Séléka et populations chrétiennes de l’autre.

Par crainte des représailles de l’ex‐Séléka, de nombreuses populations des quartiers de Bangui ont quitté leur domicile pour trouver refuge près de l’aéroport protégé par les Français et dans les églises, tandis que des populations musulmanes se réfugiaient, elles, dans des mosquées.

Cette situation s’est aussi répercutée dans d’autres localités de province, notamment à Bossangoa et Bouar. Depuis le 5 décembre, les troupes françaises ont été renforcées, pour être portées à 1600 hommes.

Elles  sont présentes surtout à Bangui et à Bossangoa, mais aussi à Bouar et à Bossembélé dans le nord‐ouest, région très meurtrie par les exactions de l’ancienne rébellion.

Mais c’est surtout depuis le 9 décembre que les soldats français patrouillent en nombre dans Bangui, en véhicules sur les grandes artères et à pied dans les quartiers périphériques, désarmant tous les groupes armés qui ne sont pas cantonnés.

En coordination avec les troupes françaises, la force africaine Micopax, soit 2500 hommes qui devraient être renforcés par 850 burundais et 650 congolais, patrouille dans la ville et protège les nombreux sites de populations déplacées dans Bangui.

Le bilan provisoire de cette semaine de violences est estimé à plus de 500 morts dans la seule ville de Bangui, sans compter la ville de Bossangoa et la région environnante qui connait des affrontements similaires.

Un soldat du contingent tchadien a été grièvement blessé le 11 décembre. De nombreux blessés sont enregistrés.
La situation humanitaire déjà catastrophique ne cesse de s’aggraver.

Des tensions persistent encore avec des éléments de l’ex‐rébellion Séléka ; des tireurs isolés parfois en tenue civile tirent sur des patrouilles Micopax ou Sangaris.

Au‐delà des affrontements entre communautés, d’innombrables difficultés s’opposent à une résolution simple du conflit : notamment un manque de cohésion au sein de la Micopax dû au comportement de certains éléments du contingent tchadien ; mais aussi la présence de tireurs isolés de l’ancienne Séléka, parfois déguisés en civil, qui tirent sur les patrouilles Micopax ou françaises.

Devant l’horreur des massacres, notamment d’enfants, la France a fait son devoir en intervenant, avec l’accord de la communauté internationale, même si celui‐ci est venu bien tard.

Mais afin de sauvegarder la crédibilité des Forces Micopax et Sangaris, il importe aujourd’hui que le principe d’impartialité soit strictement respecté.

Tous les groupes armés sans exception (ex‐Séléka ou anti‐Séléka) doivent être désarmés, tout en veillant à empêcher les populations de s’adonner à des actes de vengeance les unes contre les autres.

De même, le contingent tchadien doit être rappelé à l’ordre et mis en garde contre tout agissement contraire aux règles d’engagement de la Micopax.

Dans tous les cas, l’emploi de ce contingent dans les opérations de sécurisation mérite une attention toute particulière afin d’éviter de discréditer la Micopax et la Misca – la nouvelle force africaine qui doit lui succéder.

Enfin, le transfert d’autorité de la Micopax à la Misca prévu pour le 19 décembre 2013 devra absolument être effectif, la période transitoire actuelle rendant particulièrement vulnérables les populations.

L’Europe de son côté, ne s’est pas précipitée pour donner un coup de main, et encore une fois la France est partie seule, comme au Mali.

Le 17 décembre, Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères, a enfin annoncé qu’il avait bon espoir que certains pays européens envoient des troupes au sol.

L’Europe finance déjà la Misca, mais elle aurait aussi intérêt à prendre sa part dans l’effort militaire français. Elle y a intérêt notamment  pour éviter des futurs Lampedusa.

La stabilisation de l’Afrique serait profitable pour le monde entier.

D’autant plus qu’à travers le cas précis de la Centrafrique, de nombreux problèmes actuels du continent s’expriment.

Il y a d’abord le problème, sur lequel on ne peut continuer de jeter un voile pudique, de la progression systématique de l’islamisme depuis 10 ans dans toute la région.

Et il s’agit d’un islam conquérant soutenu par l’Arabie saoudite, le Qatar, tous les pays sunnites en général, à l’œuvre au Mali, au Nigéria, au Soudan et même au Tchad.

En face, des populations chrétiennes ou animistes qui attendent un secours du reste du monde. Il y a encore l’éternel problème des frontières : le seul mot Centrafrique ne signifie‐t‐il que nous ne sommes pas face à un véritable pays ?

La question des identités est de plus en plus prégnante dans un continent dont les habitants ne se reconnaissent réellement que dans leurs tribus ou leurs ethnies.

Il faut se demander quand la communauté internationale osera enfin prendre le taureau par les cornes, et aider l’Afrique à inventer un autre type de démocratie, taillé sur sa mesure à elle.

Enfin, la Centrafrique a été manifestement victime de pillage de ses ressources depuis des années par des prédateurs étrangers, Etats ou grands groupes internationaux, dans les domaines du diamant, du pétrole ou de l’uranium.

Ses élites corrompues, dont François Bozizé comme Michel Djotodia sont de parfaits exemples, doivent être enfin remplacées par des gouvernants véritables, soucieux du bien commun.

On susurre aujourd’hui le nom de Martin Ziguélé, ancien Premier ministre d’Ange‐Félix Patassé, comme possible candidat lors des élections qui devraient être organisées rapidement.

Il jouit d’une réputation d’humaniste au fait des questions nationales et internationales qui plaide en sa faveur.

Il n’est que temps que la Centrafrique se découvre de vraies élites pour la gouverner, quelque forme qu’elle  prenne dans les années qui viennent.

Charles Millon