Après le 11 janvier: Définir l’adversaire

Nul n’est évidemment demeuré insensible à la tragédie que la France a vécu ces derniers jours, à travers ses 17 enfants tombés sous les balles de terroristes.

Les manifestations du week-end, en effet sans précédent dans l’histoire nationale, ont démontré combien la France a été touchée dans ses tripes.

On peut se féliciter bien entendu de l’ampleur de ce sursaut.

Reste cependant, si l’on veut garder la tête froide, à se demander contre qui l’on a défilé.

C’est-à-dire que nous devons enfin définir l’adversaire qui, lui, nous a déjà désignés comme tel.

Assistons-nous à une guerre de civilisation ? Oui vraiment, je le crois.

L’islamisme est un cancer qui a gangrené la moitié du monde, du Pakistan au Nigéria, de l’EI à Boko Haram, en passant par les talibans, mais aussi par les monarchies du Golfe.

Aujourd’hui, cet ennemi est aussi, il faut l’avouer, un ennemi de l’intérieur.

Nous autres européens de tradition judéo-chrétienne n’avons aucune envie de désigner à la vindicte quelque population que ce soit, car nous connaissons trop le fonctionnement du bouc-émissaire, qui a justement été dévoilé par le Christ lui-même dans sa mort sur la croix.

Et c’est justement pourquoi, et pour sauver notre monde, et pour protéger les musulmans, et les protéger d’eux-mêmes, que nous souhaitons qu’ils parviennent enfin à débarrasser leur religion des ferments meurtriers qu’elle comporte encore à l’évidence.

Nous ne pouvons agir à leur place.

Nous pouvons cependant, d’abord en France, mais aussi en Europe et dans tout le reste du monde occidental, les inciter à se réformer vraiment, et pas seulement en paroles, en bannissant enfin et définitivement la charia, en ce qu’elle comporte de lois insupportables, comme la lapidation, le meurtre pour apostasie, le voile des femmes, entre autres.

C’est ainsi que les musulmans pourront enfin intégrer pleinement la communauté nationale.




Burkina Faso : Etat de droit ou démocratie ?

Fin octobre, le Burkina Faso a vécu ce que l’on n’a pas hésité  à appeler  une  « révolution noire » : des centaines de milliers de jeunes gens, las de 27 années de règne du chef de l’État Blaise Compaoré, lequel souhaitait modifier une énième fois la Constitution pour se maintenir au pouvoir, manifestaient à Ouagadougou.

Après avoir incendié le Parlement, ils  ont finalement mis en fuite le président le 31 octobre.

Malgré des manifestations de grande ampleur, certainement téléguidées par d’anciens amis du président qui était sur la sellette depuis 2011, le changement de régime s’est accompli dans un calme relatif.

Ce qui est une bonne nouvelle.

Depuis ce 31 octobre et le départ en exil du président Blaise Compaoré, le Burkina Faso vit sa transition à un rythme soutenu.

La charte qui détermine l’architecture institutionnelle de cette période devant mener à des élections dans un an a été signée rapidement, le 15 novembre, et le nouveau chef de l’État, Michel  Kafando  a prêté serment  le 21 novembre.

Les pressions internationales ne sont pas étrangères à cette accélération du calendrier, mais il est remarquable que l’armée, sous la houlette du lieutenant-colonel Isaac Zida, ait rendu si vite le pouvoir.

Le chef militaire n’a cependant pas renoncé à toute dignité officielle et il a même obtenu le poste de Premier Ministre : son « retour dans les casernes », a­ t-il lui-même indiqué, ne se fera qu’à l’issue de la transition, c’est-à-dire dans un an.

D’ici là, tout peut  encore arriver.

En attendant, plusieurs enseignements peuvent déjà être retirés de ce changement de régime : Michel Kafando n’est pas l’élu d’un scrutin populaire mais le fruit du consensus d’un collège de désignation composé de vingt-trois membres issus de différentes composantes de la société.

Au bout d’une nuit d’auditions et de tractations, les « grands électeurs » issus des rangs de l’armée, des partis politiques de l’ancienne opposition, de la société civile et des organisations religieuses ont tranché en faveur d’un homme d’expérience,connaissant les rouages de l’État et les arcanes internationaux.

Kafando a en effet été représentant du pays auprès de l’ONU.

Ce mode peu courant de désignation est à double tranchant : d’une part, il semble témoigner d’une certaine maturité du corps politique et social du Burkina Faso, qui n’a pas souhaité que dure trop longtemps la période de vacance du pouvoir et qui s’est emparé dès que possible du problème pour tenter de réinventer un pouvoir stable.

Mais d’autre part, entant qu’ancien proche de Compaoré, Michel Kafando peut apparaître devant le peuple, et notamment la jeunesse du pays, comme une doublure, en moins flamboyant, du précédent président.

Le Burkina, comme beaucoup de pays africains, connaît en effet une démographie galopante, de près de six enfants par femme, et la jeunesse y pèse donc d’un poids énorme.

Une jeunesse à qui, dans ce pays qui est l’un des plus pauvres de la planète, peu d’avenir est proposé.Le Burkina, qui n’a pas d’accès à la mer et compte 80% de population paysanne,est de longtemps un pays d’émigration.

D’abord vers le Ghana,puis vers la Côte-d’Ivoire, où le poids croissant de sa population avait contribué en 2003 à déstabiliser le pays.

C’est ainsi qu’il survit,  grâce aux capitaux que sa diaspora ramène de l’étranger.

Mais cette situation n’est pas viable, et la gabegie du développement industriel a été à peine masquée par la stabilité du pouvoir de Compaoré qui avait pris les rênes du pouvoir après l’assassinat du héros national Thomas Sankara en  1987.

Michel Kafando se propose de «bâtir une nouvelle société, une société réellement démocratique basée sur la justice sociale, la tolérance».

Noble ambition, mais quine fait pas un programme.

Dans un pays qui compte soixante ethnies, il est plus que jamais nécessaire de tenir compte de la réalité africaine.

Les frontières extérieures, mais aussi intérieures, ont été héritées de la colonisation et c’est une administration  sans rapport  direct avec le terrain qui est plaquée sur les différentes régions.

De manière générale, les constitutions occidentales ont été directement importées dans ces pays, sans que les traditions locales soient respectées et sans que  l’organisation  des populations soit prise en compte.

Le Burkina, aux deux tiers musulman, a pour l’instant la chance de n’être pas touché par la vague d’islamisation qui parcourt l’Afrique, et les communautés religieuses y cohabitent pacifiquement.

C’est d’ailleurs l’Église catholique elle­ même qui a été sollicitée à certain moment de la transition pour que l’un de ses représentants occupe le pouvoir, ce qu’elle a évidemment refusé de faire.

Mais cette harmonie religieuse ne masque pas la dichotomie qui existe entre la démocratie légale et la réalité sociologique du Burkina.

C’est d’ailleurs cela quia entraîné indirectement la chute de Compaoré.

Les institutions, respectées à la lettre, ne permettent pas la stabilité politique.

Pendant plusieurs décennies, les Burkinabés ont préféré un chef d’État à poigne  et qui modifiait la constitution selon son bon plaisir à un chaos réel.

Néanmoins, ce modèle n’est pas satisfaisant.

Il est urgent que les textes soient révisés pour correspondre à la réalité africaine : il faudrait par exemple imaginer que les représentants des royaumes, des tribus ou des ethnies siègent au niveau national dans un Sénat recomposé et soient associés à la gestion locale.

Ce qui permettrait d’instaurer une harmonie politique à la base, et de prendre en compte les vraies aspirations des populations.

Au lieu de quoi, on préfère un simulacre démocratique, avec des élections ou truquées ou induisant une très large abstention, au profit d’une caste très réduite.

Le réalisme devrait pourtant conduire à s’interroger une bonne fois pour toutes sur l’opposition entre le système légal officiel et le système coutumier  qui continue de régir le mode de vie des habitants de ces pays-là.

C’est un autre enseignement de cette « révolution noire », enseignement  dont une grande partie de l’Afrique doit faire son miel : le besoin de liberté et d’organisation réaliste va se répandre.

D’un point de vue géopolitique, c’est extrêmement préoccupant : demain, ce peut­ être aussi bien le Cameroun que le Congo-Brazza, le Bénin que le Tchad qui peuvent être touchés, dans un jeu  de dominos semblable à celui du Printemps arabe.

Manifestement, le temps des autocraties déguisées en démocraties a vécu.

Mais il est illusoire de penser que la structure sociale permettrait à l’Afrique de faire un saut immédiat – pour autant qu’elle soit désirable d’ailleurs – vers la démocratie occidentale abstraite et déliée des contingences du terrain.

L’urgence africaine,c’est de faire respecter l’État de droit plutôt que la démocratie.

Les deux ne sont en effet pas superposables, et l’on peut parfaitement imaginer un avenir africain fondé sur des États décentralisés, organisés par le bas, respectant parfaitement le droit, qui évitent les pièges de la féodalité autant que ceux des grandes proclamations démocratiques non suivies d’effets.

Redonner la parole aux populations selon leur ordre, c’est aussi empêcher le pillage  infernal des ressources du continent qui doivent beaucoup plus à l’avidité et à la pusillanimité  des élites renfermées dans leur domination qu’à une supposée faiblesse intrinsèque de la société africaine.

L’exemple du Sénégal,organisé de façon stable autour de ses confréries, devrait inspirer ces nations qui hésitent sans cesse entre un ordre fort et une soif de liberté compréhensible.

Cette organisation a l’immense mérite de ne pas  donner  le pouvoir à une seule ethnie, dominante numériquement, mais de prendre  en compte toutes  les composantes de la société.

Afin d’assurer stabilité et continuité, modernité et respect de la tradition, le président aurait la mission, la fonction et le rôle de père de la nation, ainsi que le furent Houphouët-Boigny ou Sedar-Senghor en leur temps.

L’expédition des affaires courantes relèverait d’un gouvernement présidé par un Premier  ministre.




Politique familiale : Monsieur le Président, faites comme Lionel Jospin !

Politique familiale : Monsieur le Président, faites comme Lionel Jospin !

Alors que Les Familles Plumées appellent à se mobiliser ce week-end partout en France et qu’un sondage Ifop montre que 83% des Français sont contre la politique familiale, la réforme du congé parental et la mise sous condition de ressource des allocations, des membres du collectif demandent à François Hollande de faire marche arrière.

Il ne faut jamais ignorer l’Histoire. Certes, les événements se reproduisent rarement à l’identique mais les mêmes causes produisent les mêmes effets. Et les Français finissent par avoir raison des injustices qu’un gouvernement incapable de se réformer leur inflige.

Dans son discours de politique générale en juin 1997, Lionel Jospin avait annoncé un plafonnement des allocations familiales : « Afin de rendre plus juste et plus efficace notre système d’aide aux familles et d’en réserver le bénéfice à celles qui en ont effectivement besoin, les allocations familiales seront placées sous condition de ressources inférieures à 25 000 F par foyer » (3 800€).

 Un an plus tard, le 12 juin 1998, il déclare renoncer à une mesure qui coalise contre lui la plupart des Français, y compris dans son propre camp : « L’attachement de beaucoup, notamment au sein du mouvement familial, au principe d’universalité des allocations familiales est tel qu’il a provoqué un raidissement de leur part et une opposition à cette mesure… ». Et d’expliquer aux députés socialistes qui y voyaient une capitulation : « Je ne prends pas à mon compte l’argument selon lequel un gouvernement ne peut pas revenir sur ses décisions ».

Quinze années plus tard, François Hollande n’a pas l’air de se souvenir de cet épisode qui avait vu la CGT et les communistes se désolidariser du gouvernement pour unir leur protestation à celle de l’opposition, Martine Aubry réclamer l’abandon d’une réforme qu’elle avait elle-même défendue et Lionel Jospin s’isoler de plus en plus face à la grogne des familles et des contribuables.

Car, non content d’abaisser à deux reprises le plafond du quotient familial, le portant d’abord à 2 000€ en 2013 contre 2 336€ en 2012, puis à 1 500€ en 2014, François Hollande, dont la popularité est loin d’égaler celle de Lionel Jospin en 1998, souhaite cumuler ces mesures déjà discriminatoires avec la modulation des allocations familiales en fonction des revenus, rompant ainsi le pacte national qui prévalait sur cette question depuis 1945. En fait de modulation, il s’agit surtout d’une diminution car en aucun cas les sommes ôtées aux uns ne seront données aux autres.

De plus, les familles doivent encaisser toute une série de mesures injustes dont la dernière en date est la réforme du congé parental. Sous le prétexte hypocrite de garantir l’égalité hommes-femmes, le gouvernement s’immisce en effet dans la vie privée des familles au point d’abaisser d’une année le congé des mères si leur conjoint ne le partage pas avec elles. Un moyen de réaliser des économies à bon marché en se drapant dans des principes qui ne dupent personne.

Quant aux contribuables, ils ne peuvent que constater que l’impôt n’a cessé de s’alourdir depuis deux ans et ils ne font plus confiance à François Hollande quand il annonce une pause fiscale en 2013 ou la fin de toute augmentation supplémentaire des impôts en 2015. Le ras-le-bol fiscal est général et le consentement à l’impôt sérieusement entamé. Comment accepter la suppression de la première tranche d’imposition sur le revenu alors que le gouvernement accroît la progressivité de l’impôt en modulant les allocations, faisant ainsi peser celui-ci sur un nombre de contribuables toujours plus restreint.

La coupe est pleine et elle va déborder. Les familles et les contribuables ne peuvent accepter d’être les victimes de la mauvaise gestion de François Hollande, incapable de faire les économies réellement nécessaires à la réduction de notre déficit public. Ils ne supportent plus d’être les vaches à lait d’un socialisme archaïque qui ne raisonne qu’en termes d’emplois aidés et d’un État obèse qui n’arrive pas à maigrir.

C’est désormais le temps de l’union des familles et des contribuables. Partout en France, ils manifesteront dimanche 23 novembre sous les couleurs des « familles plumées », un collectif qui réunit familles et contribuables pour la défense d’une authentique politique familiale. Dans l’histoire des révolutions, la révolte fiscale cache souvent d’autres mobiles plus profonds. Elle n’est en général que la face émergée de l’iceberg de la contestation mais elle comporte ce caractère d’immédiateté qui permet de coaliser les mécontentements et de faire reculer le gouvernement.

Les sénateurs nous ont donné l’exemple vendredi dernier en portant le fer à l’hémicycle, obtenant ainsi la suppression de la « loi scélérate » adoptée en première lecture par l’Assemblée. Il revient désormais aux familles plumées de transformer l’essai dans la rue et de plaire plier le gouvernement. La victoire est à ce prix.

Charles Beigbeder, entrepreneur et élu de Paris,

Charles Millon, ancien ministre,

Ludovine de La Rochère, présidente de La Manif pour Tous,

Serge Federbusch, président du Parti des Libertés,

Jean-Philippe Delsol, avocat et président de l’IREF (Institut de Recherches Économiques et Fiscales)

Claude Garrec, président de Contribuables Associés,

Julie Graziani, porte-parole du collectif Ensemble pour le bien commun,

Thibaud de Bernis, président du Cercle Charles Péguy de Paris.

Atlantico le 22/11/2014




Tunisie :les élections législatives qui viennent, le 26 octobre prochain, seront déterminantes pour le pays.

Malgré sa constitution modérée adoptée en janvier dernier, pèse encore sur la Tunisie l’épée de Damoclès de l’islamisme.

Les élections législatives qui viennent, le 26 octobre prochain, seront déterminantes pour le pays.

En effet, Ennahda, le parti lié aux Frères musulmans, qui avait hérité du pouvoir après la chute de Ben Ali, avant d’en concéder une partie à un « gouvernement de technos » il y a quelques mois, est en embuscade.

Rached Ghannouchi, son président, est en tournée promotionnelle actuellement en occident, notamment aux Etats-Unis, où il vante un islam modéré.

Familier du double discours depuis de longues années, celui qui il y a un an demandait aux salafistes « encore un peu de patience » avant de s’ébattre en liberté dans le pays, est prêt aujourd’hui à envisager une alliance avec les anciens partisans de Ben Ali.

C’est dire si la possibilité que le pouvoir lui échappe l’effraie.

Contre ces partis qu’il qualifie d’extrême-gauche, comme celui de Beji Caïd Essebsi, Nida Tounes, le mouvement islamiste ne recule devant rien.

Son bilan économique reste désespérément creux ?

Il feint de laisser entrer au gouvernement des experts issus de la société civile, tel Mehdi Jomaa, l’actuel Premier ministre, dont il est en réalité très proche.

La guerre contre le terrorisme ? En paroles, il la pratique et se propose comme médiateur avec la Libye ou le Yémen.

Dans les faits, il demeure proche du Hamas, de l’Arabie saoudite ou du Qatar, suivant les jours.

Or, à l’heure où le terrorisme islamique prend des proportions effrayantes, où la Libye est en proie à l’anarchie, que rien n’a été réglé dans le Sahel, pas même au Mali où se reforment les anciens groupes séparatistes ; alors que l’avenir de l’Algérie est imprévisible, puisque les jours de son président sont manifestement comptés, la France et plus généralement l’Europe ont besoin d’un allié sûr dans la région, pour que les dernières digues ne sautent pas.

Une Tunisie chaotique ou même islamiste est un luxe que la France ne peut se payer.

La Tunisie, malgré les impérities de la dictature de Ben Ali, fut sans doute le pays le plus avancé de la région en matière de libération des femmes et d’éducation des peuples, héritage de l’ère Bourguiba.

Son économie elle-même semblait presque prospère, bien que l’intérieur du pays, ferment de la révolution ait été oublié au profit des côtes touristiques.

Aujourd’hui, l’exode rural crée un nouveau lumpenprolétariat urbain à qui l’on ne promet aucun avenir, l’Etat incapable de protéger ses frontières en a fait une passoire pour migrants subsahariens à destination de l’Europe et de ses marches mêmes un terrain de jeu pour groupes terroristes.

Les beaux discours de M. Ghannouchi et de ses alliés ne parviennent plus à masquer l’échec patent de la politique des Frères, même au point de vue social : habiles pour choyer les pauvres quand ils ne sont pas au pouvoir et se créer une clientèle, ils se révèlent incapables de mener une politique véritable à la tête d’un Etat.

L’Egypte de Morsi en a administré une bonne preuve.

Ni la France ni l’Europe ne peuvent ni ne doivent intervenir dans le processus d’élections démocratiques en cours.

Il est cependant de leur devoir autant que de leur intérêt d’avertir les populations tunisiennes du désastre qu’elles se préparent si elles votent une fois encore pour le parti islamiste.

Du Proche-Orient à l’Afrique sahélienne, ce monde est une poudrière. Et la Tunisie est au milieu.

Charles Millon




L’Europe devant les séparatismes et le fédéralisme

Une révolution silencieuse a lieu en Europe.

Obnubilés par les questions de relance économique et par le poids de la dette, gouvernements et commission européenne refusent de regarder en face le problème qui leur est posé, et d’affronter le défi qui leur est lancé.

Ce problème est celui des frontières.

Mais il revêt une double complexité, car il concerne à la fois les frontières extérieures et les frontières intérieures de l’Europe.

Le président français François Mitterrand avait ce mot mystérieux et clairvoyant quand on l’interrogeait sur les frontières de l’Europe : « L’Europe est partout là où il y a des monastères bénédictins ».

La crise ukrainienne corrobore ce jugement aux apparences hâtives.

La véritable scission intérieure du pays recoupe celle des religions, lesquelles sont productrices de culture : l’ouest ukrainien qui tend vers l’Europe est majoritairement catholique, et d’ascendance historique polonaise ; l’est est orthodoxe et naturellement inscrit dans le giron russe.

Ces frontières civilisationnelles ne sont certes pas intangibles ni gravées dans le marbre, mais une politique réaliste d’organisation du monde doit les prendre en compte.

De même que l’entrée de la Turquie en Europe – heureusement repoussée, quand l’on voit que le pays accueille aujourd’hui les leaders des Frères musulmans – posait surtout un problème de civilisation et de religion, la frontière orientale de l’Europe se heurte à l’imperium historique russe.

Le génie politique consisterait à traiter d’égal à égal, sans mépris et sans naïveté, avec Vladimir Poutine, pour redéfinir des zones d’influence justes, que modèreraient des Etats-tampons.

Mais, plus loin que ce problème, à y regarder de près, l’ouest européen ne sait plus lui-même qu’il est véritablement, Ecosse, Catalogne, Pays basque, Lombardie, Bavière, cette Europe actuelle fourmille de régions, de provinces qui réclament une autonomie supérieure, voire une indépendance complète.

Même si le résultat du référendum écossais a été négatif, le phénomène reste profond, et les dirigeants britanniques eux-mêmes l’ont admis.

L’Assemblée de Catalogne a, elle, décidé de lancer un référendum pour l’indépendance du territoire, contre l’avis de Madrid.

Et les réactions des autres capitales, autant bruxelloises que nationales, consistent plutôt en un silence gêné qu’en une affirmation de principes.

Car des principes en la matière, plus personne n’en possède vraiment : l’indépendance du Kosovo ou à un autre niveau, la séparation de la Tchéquie et de la Slovaquie ont montré que les frontières, souvent tracées au cours des XIXè et XXè siècles n’étaient pas intangibles.

Mais si en Europe de l’ouest, malgré l’absence de réponse claire, le processus garde des dimensions paisibles et démocratiques, ce qui se passe en Europe centrale et de l’est manifeste le trouble général du Vieux continent.

En Ukraine, face aux appétits de la Russie naturellement impériale, l’Union européenne a été incapable de réagir calmement et diplomatiquement.

Cachée derrière les Etats-Unis, elle a été obligée d’admettre les revendications des séparatistes pro-russes, perdant la partie face à Vladimir Poutine.

Il faut pourtant se poser la question de la fin du système westphalien, qui depuis trois siècles a confondu l’Etat et la nation.

Il faut aussi admettre que l’on n’a jamais réussi à remplacer les systèmes impériaux qui prévalaient dans ces régions-ci, et qui se sont effondrés en 1918 puis en 1991.

Comprendre ce qui se passe, c’est admettre que la dimension, la mission et le rôle d’une bonne part des Etats européens ne correspondent plus au monde moderne.

Ces Etats sont soit trop petits, soit trop grands.

Or, les citoyens ont aujourd’hui soif de retrouver une proximité politique. Car une région possède une histoire, des familles, des paysages évidents, avec lesquels on noue une familiarité immédiate.

Pourquoi l’avenir de l’Europe ne s’inscrirait-il dans ce cadre ?

Ce qui se manifeste à travers cette volonté d’indépendance ou d’autonomie accrue, c’est la réaction à l’hybris qui sévit ici depuis 1945.

Une hybris qui au nom de grands projets industriels, économiques ou d’aménagement du territoire, a sacrifié les peuples, leurs modes de vie, leurs racines et leurs attachements locaux.

Après la rapide période d’extension des Trente Glorieuses, principalement due au bas coût de l’énergie mondiale, l’Europe s’est réveillée avec la gueule de bois.

Et l’on redécouvre, mais un peu tard, l’adage de Schumacher, c’est-à-dire que « small is beautiful ».

On redécouvre aussi ce qu’affirmait il y a quarante ans le philosophe Ivan Illich, c’est-à-dire « qu’au-delà d’un niveau critique de consommation d’énergie par tête, dans toute société, le système politique et le contexte culturel doivent dépérir ».

Au lieu de commencer par se définir économiquement pour trouver une identité propre, l’Europe aurait tout intérêt à renverser les priorités et à procéder en sens inverse : c’est en laissant le pouvoir concret redescendre vers les communautés locales et les collectivités de base que non seulement elle réapprendra qui elle est, mais qu’en sus, elle redonnera à ses peuples les moyens de se développer économiquement et partant de recouvrer leur dignité.

Les cas de l’Allemagne et de la France prouvent que les collectivités les plus efficaces en nombre de matières sont respectivement les Länder et les Régions : les transports, la culture, l’éducation, partout où l’on a expérimenté leur gestion à ces niveaux territoriaux, les gains en ont été accru et la confiance avec les citoyens, qui se sentent ainsi maîtres de leurs destins, restaurée.

A l’heure où l’on parle tant de démocratie participative, il est temps de s’y risquer réellement, notamment avec ces référendums d’initiative populaire, que pratique déjà notre voisine suisse.

Il faut néanmoins relever que ce sont les régions riches qui évidemment réclament aujourd’hui la séparation ou l’indépendance : c’est pourquoi demeure naturellement le besoin d’une collectivité supérieure qui en contrepartie d’attributions particulières (Défense, environnement, ou certains transports) mette en place une politique de péréquation entre toutes les collectivités locales.

Paradoxalement une Europe puissante et capable d’intervenir dans l’ordre du monde, ne se fera pas sans un retour vers sa base.

Car, rappelons-le, la démocratie, si elle consiste dans un mode de gouvernement issu du plus grand nombre, n’existe pourtant pas si elle ne protège pas du même mouvement ses minorités. Dans ce sens, le temps des Etats centralisateurs et méprisant des identités locales, est passé.

Il est temps que nous grandissions en sagesse politique, c’est-à-dire que nous diminuions nos modes de contrôle, de surveillance et de standardisation.

Un nouveau mode d’organisation décentralisé, et plus si affinités, et sans doute la clef de l’avenir de l’Europe, le retour à son identité et à un fonctionnement économique plus juste et plus respectueux de l’homme.




Comment répondre réellement au défi de Daech ?

Certainement, la politique est l’art du possible.

Mais le possible, comme son nom l’indique, exige quelques limites.

La coalition qui agit actuellement en Irak et en Syrie contre l’EI a cru bon de nouer une alliance avec le Qatar et l’Arabie saoudite.

Le but avoué est sain : montrer qu’il ne s’agit pas d’une guerre de l’occident contre un monde arabo-musulman conçu comme un seul bloc monolithique.

Et il est vrai que les premières victimes de Daech sont les populations locales, qu’elles soient chrétiennes, yazidis ou de minorités musulmanes.

La longue apathie de la communauté internationale devant les crimes et massacres commis en Irak et en Syrie a été stupéfiante.

L’ONU, par exemple, qui avait dépêché une commission depuis 2011 pour enquêter sur les faits de guerre dans le conflit syrien, a attendu le 15 août pour adopter une position commune sur le sort fait aux minorités par l’Etat islamique, notamment les Yazidis et les chrétiens.

Les Américains sont intervenus en bombardant les positions ennemies pour soutenir des Kurdes débordés, de leur propre chef. Saine et nécessaire intervention, certes.

Mais un examen de conscience international serait nécessaire pour savoir qui finance et porte les idées de l’EI.

Il faut dénoncer le double jeu, celui des pétromonarchies du Golfe, mais pas seulement.

Les Américains notamment sont responsables : pour garantir leurs fournitures en pétrole, ils ont longtemps fait preuve d’une coupable mansuétude.

La France aussi est responsable, elle qui a vendu des armes sans se soucier de leur destination finale et qui pour obtenir des gros contrats avec le Qatar, sur le Rafale par exemple, a fermé les yeux sur les agissements louches de l’émirat.

En réalité, cette étrange situation ne concerne pas que l’Irak malheureusement, mais une grande part du monde arabe, jusqu’à la Libye, et même une partie de l’Afrique noire, avec les Shebabs de Somalie, et Boko Haram au Nigéria.

Il importe de dire haut et fort, enfin, que ces mouvements terroristes ne sont pas nés ex nihilo, ni ne se financent tout seuls.

Mais il faut que la coalition soit aussi enracinée : d’abord, il faut qu’elle ne soit pas simplement militaire. Mais aussi économique, politique et idéologique puisqu’elle fait face à un nouveau totalitarisme qui vise ces quatre desseins-là.

Pour remédier à cette situation, l’ONU et les instances internationales en général seraient avisées de se souvenir du précédent de l’apartheid d’Afrique du Sud : nombre de pays arabes actuels traitent leurs minorités exactement comme le faisait le régime d’apartheid.

A l’époque, l’ONU avait voté des déclarations et résolutions qui qualifiant le régime d’apartheid de « crime contre l’humanité » – comme l’adoption en 1973 de la Convention internationale pour l’élimination et la répression du crime d’apartheid – permirent d’isoler le pays sur la scène internationale pour provoquer son écroulement final.

Cette technique du boycott a fait ses preuves : on se demande ce que le monde attend pour l’appliquer aux trop nombreux régimes qui financent aujourd’hui le djihadisme.

Le « califat » est une barbarie. Mais l’Arabie saoudite, le Qatar, le Soudan, la Somalie, le Yémen, eux non plus ne tolèrent pas l’existence des chrétiens ni des autres minorités religieuses.

Au Maroc et en Algérie encore, quoique constitutionnellement il existe un droit des minorités, dans les faits, il est impossible d’y vivre en tant que chrétien.

Nous ne pouvons pas nous habituer à cette situation, ou alors nous ne sommes plus l’occident et nos valeurs n’ont aucun sens, et ne veulent rien dire.

Il y a un principe des minorités qu’il faut faire appliquer sans faiblir.

Il est d’ailleurs étonnant que le seul nom que l’on arrive à donner à ce territoire de terreur soit « l’Etat islamique ».

Comme il y avait une « Union des Républiques socialistes soviétiques » dont aucun terme n’indiquait la localisation géographique, cette dénomination témoigne de l’actualité de la pensée totalitaire.

Ces islamistes, qui ne reculent devant rien pour établir leur pouvoir, ni décapitation, ni assassinat des populations civiles, ni mutilation, s’inscrivent ainsi dans la suite de cette longue idée de territoire nettoyé de ses éléments « impurs » qui court dans le monde depuis au moins deux siècles.

En face, nous autres occidentaux, continuons de croire que notre civilisation est immortelle.

Que nous ayons défait deux grands totalitarismes au cours du siècle dernier semble nous interdire de nous interroger sur les menaces extrêmement pressantes à quoi nous devons faire face aujourd’hui.

Sur une menace précisément, celle du djihadisme mondialisé.

Les événements actuels, dont l’Etat islamique est la figure la plus identifiable et la plus cruelle, n’ont pas que des ressorts politiques, ou économiques, contrairement à ce que l’on essaie de nous faire accroire souvent.

Le nouvel ennemi, que nous n’avons pas recherché mais qui nous a désignés comme tel, est pétri de fanatisme et d’idéologie : il combat pour des convictions certainement déformées ; pour une foi, sans doute dénaturée puisqu’on nous le dit, mais pour une foi tout de même.

Ce qui ne laisse de nous interroger sur notre capacité à y répondre.

Car l’engagement religieux de ces islamistes leur promet le paradis, par quoi ils n’ont pas peur devant  la mort.

Oh, l’on dira que nos armes supérieures nous protègent de leur vindicte.

On a vu cependant plusieurs fois dans l’histoire les faibles vaincre les forts, seulement parce qu’une croyance, religieuse ou politique, les animait.

En réalité, nous sommes entrés dans une guerre de religion, et le monde politique occidental parce qu’il n’est plus religieux n’arrive pas à comprendre ce qui se passe.

Avec l’Etat islamique, ou Daech, comme on voudra l’appeler, nous fait face un bloc géographique presque cohérent qui nous désigne comme ennemi et qui possède des relais idéologiques chez nous, des populations  sympathisantes de l’intérieur.

La France, par exemple, avec près de 1.000 départs recensés depuis 2012, constitue aujourd’hui le premier contingent de djihadistes occidentaux opérant en Syrie et en Irak.

L’Etat islamique, mais aussi toutes les cellules d’Al-Qaida, comme Khorasan, ou celle qui a enlevé l’otage français en Algérie, est travaillé par le millénarisme et l’universalisme de son combat.

Il n’y aura pas de trêve pour nous. Les têtes de l’hydre sont nombreuses et comme dans le mythe ont tendance à repousser plus nombreuses quand on les tranche.

Non seulement des populations, en Syrie et en Irak, souffrent déjà du joug barbare que leur imposent ces combattants venus du monde entier, et dont la drogue, semble-t-il, comme le captagon, redouble la ferveur meurtrière, mais c’est encore ici même, à l’intérieur des pays occidentaux que par le truchement de Français de fraîche date de culture musulmane, ou de convertis, que se profile le risque d’attentats ou d’attaques violentes.

Il ne s’agit pas de céder à la paranoïa ou à une quelconque loi des suspects, et il faut se garder de la tentation de faire de l’antiterrorisme une politique de contrôle général des populations.

Mais il faut dans le même temps comprendre que la guerre est déclarée et qu’elle ne sera sans doute pas moins longue que la guerre froide contre le bloc communiste.

Se pose donc aussi le problème de la défense que l’on met en œuvre face à des phénomènes comme l’EI, la Libye, ou Boko Haram.

Notre système de défense est actuellement inadapté. Il faut imaginer autre chose pour contrer ces phénomènes de guerre asymétrique.

La dissuasion nucléaire et les armements lourds ne sont pas d’un grand secours dans ces circonstances.

Ce sont principalement les forces spéciales et les moyens de surveillance qui doivent être développés.




DAECH: nous sommes entrés dans une guerre de religion

Nous autres occidentaux, continuons de croire que notre civilisation est immortelle.

Ce n’est pas parce que nous avons défait deux grands totalitarismes au cours du siècle dernier que nous devons nous interdire de nous interroger sur les menaces extrêmement pressantes auxquelles nous devons faire face aujourd’hui.

Et sur l’une d’entre elle, plus que les autres, celle du djihadisme mondialisé : le totalitarisme vert.

Les événements actuels, dont l’Etat Islamique (EI) est la figure la plus identifiable et la plus cruelle, n’ont pas que des ressorts politiques ou économiques, contrairement à ce que l’on essaie de nous faire croire.

Le nouvel ennemi qui nous déclare la guerre, sans que nous ne l’ayons cherché, est pétri de fanatisme religieux: il combat pour des convictions déformées; au nom d’une foi sans doute dénaturée, mais au nom d’une foi tout de même.

Nous sommes entrés dans une guerre de religion, et le monde politique occidental parce qu’il a évacué la dimension religieuse est dans l’incapacité de comprendre ce qui se passe.

Avec l’Etat islamique, nous fait face un bloc géographique presque cohérent qui nous désigne comme ennemi et qui possède des relais idéologiques chez nous, des populations sympathisantes de l’intérieur.

La France, avec près de 1.000 départs recensés depuis 2012, constitue aujourd’hui le premier contingent de djihadistes occidentaux opérant en Syrie et en Irak.

L’Etat islamique, mais aussi toutes les cellules d’Al‐Qaida, comme Khorasan, ou celle qui a enlevé l’otage français en Algérie,sont travaillées par le millénarisme et l’universalisme de leur combat.

Il n’y aura pas de trêve pour nous car le Djihad leur promet le paradis, et de ce fait ils n’ont pas peur devant la mort.

Les têtes de l’hydre sont nombreuses et comme dans le mythe ont tendance à repousser plus nombreuses quand on les tranche.

Non seulement les populations, en Syrie et en Irak,souffrent déjà du joug barbare que leur imposent ces combattants venus du monde entier, et dont la drogue, semble‐t‐il, comme le captagon, redouble la ferveur meurtrière, mais c’est encore ici même, à l’intérieur des pays occidentaux que par le truchement de Français de culture musulmane, ou de convertis, que se profile le risque d’attentats ou d’attaques violentes.

Ce qui nous amène à nous interroger sur notre capacité à répondre à ce défi.

Beaucoup pensent que nos armes supérieures nous protègent de la vindicte : on a vu plusieurs fois dans l’histoire les faibles mus par leur seule foi religieuse ou politique, vaincre les forts.

Il ne s’agit pas de céder à la paranoïa.

Mais il faut comprendre que la guerre est déclarée avec le totalitarisme vert : elle ne sera sans doute pas moins longue que la guerre froide contre le totalitarisme rouge…

Charles Millon




De la Somalie au Nigéria

D’est en ouest, le continent africain est actuellement le théâtre de guerres qui,pour avoir des enjeux parfois locaux, commencent pourtant à prendre une cohérence d’ensemble inquiétante.

C’est toute la bande sub-sahélienne,c’est-à-dire le nord de l’Afrique noire qui est touché par ces conflits.

Que certains soient anciens, comme celui qui secoue la Somalie, ou très récents comme au Nigéria, il demeure indéniable qu’ils ont tous, directement ou indirectement, des racines islamistes.

Mais ils posent aussi, encore une fois,la question des frontières africaines, soit de leur incohérence au regard des populations, soit de leur porosité.

Sil’on trace une diagonale du nord-Mali jusqu’à la Somalie, quasiment tous les pays qu’elle traverse, à la notable exception du Niger et du Tchad, sont travaillés ou par des conflits internes ou par des actes terroristes :Mali, Extrême Nord du Cameroun, Nigéria, Centrafrique, Sud-Soudan, Kenya et donc Somalie, aucun de ces pays n’est aujourd’hui à l’abri d’une déstabilisation.

Trois problématiques différentes, mais accumulées, sont à l’oeuvre : les tribus,la question religieuse et les ressources naturelles.

Cette trinité qui concerne toute l’Afrique noire devient évidemment plus brûlante à la frontière de deux civilisations que recouvre partiellement la frontière de deux religions,l’islam et le christianisme (sans oublier l’animisme, généralement dissimulé ou  minoré) : au nord, une civilisation plutôt pastorale, marquée par une certaine arabisation ; au sud, la civilisation plus sédentaire de l’Afrique noire.

Est-ce un choc des civilisations ?

En partie, oui, et l’on aurait tort d’oublier les leçons de Huntington ou de les balayer d’un revers de main.

Au Nigéria, au Sud-Soudan, en Centrafrique, ce sont bien des guerres civiles religieuses à quoi on a affaire.

En Somalie, c’est plutôt le poison djihadiste, déversé là depuis vingt ans, dans un pays qui n’a jamais connu d’Etat fort.

Au Mali, se conjugue les facteurs tribaux et religieux, quoique ce soit à l’intérieur même de l’islam que la scission s’opère.

Devant cette avancée de l’islamisme guerrier, à quoi s’ajoute comme dans d’autres parties du monde, la lutte pour le contrôle des ressources naturelles, ainsi qu’on le voit au Nigéria, s’affrontent deux théories, qui ont chacune leurs avantages.

Il y a d’abord celle qui consiste à pousser à la tête d’un pays, ou à le soutenir s’il y est déjà, un homme fort, tel Idriss Déby au Tchad dont la politique, non seulement apaisera les populations mais encore contiendra la poussée islamiste vers le sud.

C’est ce que l’on a reproché aux forces occidentales quand elles ont fait tomber Mouammar Kadhafi : n’avoir pas pris en compte que sa disparition laissait le champ libre, dans une immense région, à des groupes terroristes, tribaux ou djihadistes, désormais armés jusqu’aux dents.

C’est aussi le rôle que jouent dans une moindre mesure Blaise Compaoré au BurkinaFaso, Mahamadou Issoufou au Niger ou Paul Biya au Cameroun.

C’est aussi ce rôle de digue que la France cherche à maintenir à tout prix au Mali, quoique le gouvernement soit faible pour le moment.

Mais il y a aussi une autre voie, que de nombreux africanistes et connaisseurs de la région défendent : la voie d’un fédéralisme à l’africaine.

Il ne s’agit pas d’entendre par là la création d’une autorité supérieure aux Etats, à l’image de l’Union européenne, mais au contraire, la création d’entités subsidiaires à l’intérieur des Etats.

Ce redécoupage peut se faire de manière interne, mais aussi, parfois de manière externe, comme la création des deux Soudan l’a prouvé.

A l’intérieur des Etats, cela passerait par une plus large autonomie,par exemple dans le cas du Mali, où les Touaregs du nord pourraient décemment réclamer un transfert de compétences de la part de Bamako.

Le découpage hérité de l’époque coloniale a montré ses limites dans nombre de pays. Et c’est pourquoi, la nouvelle donne ne pourrait se faire sans une grande conférence internationale qui réunirait auprès des autorités africaines actuelles, les gouvernements occidentaux, aux premier chef desquels l’Europe.

C’est en effet un devoir pour elle que de participer à la réflexion d’une nouvelle organisation.

Un devoir d’abord parce qu’elle est responsable devant l’histoire, mais aussi parce que c’est elle qui, ayant le plus d’intérêts de tous ordres dans ces pays-ci, géopolitiques, économiques, civilisationnels, y est de fait le plus investie.

Enfin, parce qu’elle est à l’origine des grands principes démocratiques, comme la garantie des droits des minorités.

Aujourd’hui,dans tous ces pays que l’on a cités, mais auxquels il faudrait adjoindre nombre d’autres nations africaines, la politique ne se fait qu’au détriment des minorités qu’écrasent les majorités démographiques.

Or la démocratie ne peut reposer sur cet unique pilier que sont les masses de population.

Surtout en Afrique où les ethnies, les tribus ont longtemps eu des histoires et des cultures différentes et qui sont parfois liées de manière inextricable.

Enfin,cette Conférence africaine internationale implique l’Europe parce que c’est elle qui, en dernier ressort, subit les problèmes africains en matière de sécurité, d’immigration, d’islamisation, et de rupture de développement.

Si la solution se trouve évidemment dans les mains des Africains eux-mêmes, qui doivent se saisir de leur destin, il est nécessaire aujourd’hui que la communauté internationale leur donne les moyens de fonder des Etats stables, assez forts pour se permettre de décentraliser vraiment.

Le Sénégal constitue un très bon modèle, où la structure politique s’appuie notamment sur les antiques communautés musulmanes soufies pour faire régner la concorde.

Les Africains, comme l’humanité en général, n’ont pas besoin de représentations abstraites, éloignées de la réalité de leurs vies, qui plus est rongées par la corruption, l’autre grande plaie de ces pays.

Car c’est évidemment quand se produit un afflux soudain de richesses, souvent dû à une manne d’hydrocarbures ou minière, comme cela se voit au Nigéria, en Centrafrique et au Sud-Soudan, que les structures traditionnelles sont déstabilisées.

Parvenir à distribuer avec justice les bénéfices de l’exploitation de ces matières premières est un autre grand défi de cette Afrique malade de sa croissance trop rapide.




L’État islamique

L’apathie de la communauté internationale devant les crimes et massacres commis en Irak et en Syrie est stupéfiante.

L’ONU, par exemple, qui a dépêché une commission depuis 2011 pour enquêter sur les faits de guerre dans le conflit syrien, n’a par ailleurs toujours pas adopté de position commune sur le sort fait aux minorités par l’Etat islamique, notamment les Yazidis et les chrétiens.

Les Américains sont intervenus en bombardant les positions ennemies pour soutenir des Kurdes débordés, de leur propre chef.

Saine et nécessaire intervention, certes. Mais où sont les mandats de l’ONU ? Va-t-on attendre qu’il n’y ait plus un chrétien vivant dans ces terres-ci pour condamner et réagir ?

En réalité, cette étrange situation ne concerne pas que l’Irak malheureusement, mais une grande part du monde arabe, jusqu’à la Libye, et même une partie de l’Afrique noire, avec les Shebabs de Somalie, et Boko Haram au Nigéria.

Il importe de dire haut et fort,enfin, que ces mouvements terroristes ne sont pas nés ex nihilo, ni ne se financent tout seuls.

Pour remédier à cette situation,l’ONU et les instances internationales en général seraient avisées de se souvenir du précédent de l’apartheid d’Afrique du Sud : nombre de pays arabes actuels traitent leurs minorités exactement comme le faisait le régime d’apartheid.

A l’époque, l’ONU avait voté des déclarations et résolutions qui qualifiant le régime d’apartheid de « crime contre l’humanité » – comme l’adoption en 1973 de la Convention internationale pour l’élimination et la répression du crime d’apartheid – permirent d’isoler le pays sur la scène internationale pour provoquer son écroulement final.

Cette technique du boycott a fait ses preuves : on se demande ce que le monde attend pour l’appliquer aux trop nombreux régimes qui financent aujourd’hui le djihadisme.




Crise Ukrainienne

Nous sommes en 14, mais de quel siècle ?

Face à l’affaire ukrainienne, on peut s’interroger :s’agit-il du XXème ou du XXIème ?

En effet, en 1914 l’Europe s’embrasait par un subtil et pervers jeu d’alliance à la suite d’une sombre affaire balkanique et se déclarait à elle-même cette première guerre qui avant d’être mondiale fut une dramatique guerre civile, dont le résultat fut l’effondrement des grandes puissances européennes, la perte de leur influence et de leur rayonnement, et l’émergence de l’imperium illimité des Etats-Unis.

Aujourd’hui, c’est avec cette Russie dont l’histoire politique et culturelle, civile et religieuse témoigne de l’intégration dans la civilisation européenne que le Vieux continent menace de rompre des liens séculaires, par aveuglement ou par ineptie géopolitique.

Il est de la responsabilité des grands dirigeants du monde européen d’y réfléchir à deux fois avant que de s’aligner uniment sur les positions de l’ONU et des Etats-Unis. L’histoire ne pardonne pas deux fois la même erreur – si tant est d’ailleurs qu’elle nous ait pardonné la première.

Le premier devoir des Européens,s’ils veulent exister en tant que puissance, est le discernement.

Quel est aujourd’hui l’ennemi, celui qui menace intrinsèquement la stabilité,l’équilibre, l’harmonie et à terme l’existence de l’Europe, ce continent aux racines judéo-chrétiennes et à la double personnalité orientale et occidentale ?

Certainement pas les Russes ou Vladimir Poutine :aujourd’hui, l’ennemi de l’Europe, c’est évidemment d’abord l’islamisme radical dans son expression politique, démographique et surtout terroriste. Et sous un angle économique et civilisationnel, l’Inde ou la Chine dont la volonté d’expansion ne nous fera pas de quartier.

Les raisons de la crise ukrainienne touchent bien entendu aux difficultés de maturation d’une identité propre à un peuple, mais aussi à notre incapacité à nous mettre autour d’une table avec la puissance russe pour discuter diplomatiquement.

Le drame du vol de la Malaysia Airlines, même si l’on en ignore encore les responsables, démontre qu’à trop tarder à agir, on risque l’enlisement dans une sale guerre.

Les institutions européennes actuelles restent pendantes sur les questions de politique étrangère et de défense.

Chacun tire à hue et à dia, et manifestement, les intérêts immédiats de l’Allemagne ou de certains pays d’Europe centrale ne sont pas les mêmes que ceux de la France vis-à-vis de l’Ukraine et de la Russie.

Est-ce une raison pour ne pas initier une politique européenne et attendre que finisse le face-à-face Poutine-Obama ?

Non, l’Europe, du fait de sa proximité géographique et culturelle avec la Russie doit enfin devenir son premier interlocuteur dans ces « marches » que sont l’Ukraine ou la Biélorussie.

Le sentiment antirusse développé par certaines de nos élites, au motif que la grande nation ouralienne ne répondrait pas aux stricts critères démocratiques n’a pas sa place dans cette politique et dans ces négociations.

L’Europe doit participer activement à l’élaboration d’une fédération ukrainienne, solution qui s’impose évidemment.

Conférer de l’autonomie à la Crimée comme à d’autres territoires, notamment en suivant les lignes de partage des langues maternelles des populations est notre affaire, avec la Russie, bien plus que celle de l’administration de la Maison blanche.

L’Europe a beaucoup à partager avec son voisin russe, ne serait-ce qu’au point de vue de l’héritage culturel, religieux, littéraire et artistique qui nous est commun.

Nous avons du mal à nous comprendre avec la Russie de Vladimir Poutine : ce n’est certainement pas notre seule faute.

Poutine est-il un le si grand stratège que l’on dépeint ?

Au-delà de ses manifestations de force, hier en Géorgie, aujourd’hui en Ukraine, qu’elles soient à visage découvert ou masquées, il ne faut pas oublier que le dirigeant russe a besoin de mener une politique étrangère forte pour faire oublier à son peuple son échec interne.

Ainsi,l’économie russe actuelle ne se porte pas bien : Poutine a certes mis au pas les oligarques qui avaient prospéré sous Elstine, mais ça a été pour les remplacer par d’autres, aux ordres du Kremlin, mais qui perpétuent tout de même l’image d’une société à deux vitesses où une minuscule élite nargue un peuple toujours pauvre, désencastré de l’économie mondiale, à la démographie toujours faible et à l’espérance de vie pitoyable.

De même, le fantasme d’une Russie homogène culturellement et religieusement est à déconstruire : les banlieues de Moscou sont pleines de ressortissants des Républiques musulmanes d’Asie centrale et si Poutine joue le matador face au péril islamiste, arguant de la lointaine expérience russe avec les Tatars, il n’est pas interdit de croire que la Russie très chrétienne se réveille demain avec des apprentis-terroristes sur son sol, ou tout simplement avec des minorités revendicatives.

Et la très puissante manifestation du racisme en Russie, couplée à un mépris, pour le moins, vis-à-vis des personnes homosexuelles, ne plaide pas en faveur de l’harmonie sociale.

La Russie, enfin, reste extrêmement dépendante de son économie d’exportation de matières premières,principalement dans le domaine des hydrocarbures et des minerais. La richesse de ses sous-sols, incontestable, a tendance à écraser le reste des secteurs économiques et met le pays à la merci des variations de prix mondiales, comme la crise de 2007-2008 l’a prouvé.

Tous ces paramètres que nous venons d’énumérer doivent être pris en compte, ensemble, par les Européens s’ils veulent pouvoir penser une nouvelle relation, apaisée et ferme, avec le grand voisin aux 140 millions d’habitants.

Certainement, la Russie est un pays qui fait montre d’un fort nationalisme : mais est-il finalement plus puissant et plus agressif que celui des Etats-Unis, de la Chine ou de l’Inde ?

La question ne se situe pas précisément ici en fait, mais plutôt dans la capacité que nous avons à appréhender cette semi-étrangeté que constitue pour des Européens centraux et de l’ouest cet immense continent, et globalement tout le monde historiquement orthodoxe.

Héritier de Byzance, de la Grèce autant que des Khanats mongols, l’espace civilisationnel russe nous est comme un cousin lointain, plein de ressemblances qui parfois sont des pièges pour ce qu’elles recèlent de différences latentes.

Mais ce cousin nous est peut-être aussi proche finalement que le cousin américain : nous nous ressemblons, notamment dans le façonnement historique par le christianisme, mais nos christianismes eux-mêmes sont différents.

Nos espaces géographiques sont foncièrement antithétiques et partant le rapport des population à la géographie : comme les Américains, les Russes sont les conquérants de grands espaces sauvages et rudes, à la différence des Européens qui habitent un jardin parfaitement ordonné et domestiqué.

Nos mœurs sont différentes et pourtant elles se rejoignent dans une certaine idée de l’universel, de l’homme,des rapports familiaux, de la place donnée à la femme et, dans la théorie au moins, dans notre compréhension des droits de l’homme.

La Russie demeure un voisin sauvage mais qui s’est aussi constitué depuis deux siècles en empruntant des traits déterminants à la culture européenne.

Ainsi, deux urgences s’imposent à la politique étrangère européenne et à sa diplomatie : la première, calmer la tendance « paranoïaque » russe actuelle, persuadée que l’occident en général veut sa destruction ; la seconde, marquer fermement les limites de l’influence russe, notamment en Ukraine.

Ces deux préalables sont les conditions sine qua non pour que se réveille la politique étrangère européenne,c’est-à-dire qu’elle redevienne indépendante et forte, non pour asseoir une illusoire puissance, mais pour perpétuer la paix là où elle existe encore dans le monde.