Erdogan : avec qui négocions-nous ?

En matière de politique extérieure, les États ont toujours raison de privilégier ce que l’on appelle la Realpolitik, c’est-à-dire de juger que leurs intérêts vitaux peuvent prévaloir sur des questions strictement morales.
Autrement dit de traiter avec des régimes qu’ils peuvent réprouver sur certains plans, ceci dans le but d’éviter de vains conflits qui pourraient entraîner pis que le mal que l’on cherchait à éviter.

Cependant, cette politique est par définition sujette à des restrictions et à des limites, sans lesquelles elle en viendrait à confondre définitivement le bien et le mal.

C’est à cette hiérarchisation et à cette discrimination que nous confronte Recep Tayyip Erdogan, le président turc.

Alors que l’on prêche la reprise du dialogue avec l’Iran et avec la Syrie de Bachar El Assad, on serait mal venu d’écarter toute discussion avec l’homme fort de la Turquie.
Pourtant, les circonstances n’étant pas les mêmes, il convient de savoir où s’arrêter.
D’abord, la Turquie n’est pas en état de guerre civile, malgré le conflit avec le peuple kurde, succession d’actions terroristes et de répression aveugle.

Le pays ne risquant pas d’imploser, l’Europe n’est pas tenue de soutenir aveuglément le régime en place.

Au contraire, elle devrait l’appeler au respect des droits de l’homme, la politique antiterroriste qu’il mène étant tout sauf claire et nette.
De même, le double jeu que déploie Ankara vis-à-vis des groupes islamistes en Syrie, avec Daech même à une certaine époque, devrait nous alerter sur la responsabilité de la Turquie dans les flots de réfugiés arrivés sur son sol qu’elle nous somme dans le même temps de prendre en charge financièrement.
Car c’est pas moins de 6 milliards d’euros que l’Europe a promis à Erdogan en échange du maintien de migrants sur son sol, Europe qui dans le même temps a soumis la Grèce à un régime financier tellement strict que son Etat a presque disparu, la rendant elle-même incapable de gérer l’afflux des réfugiés.
Avec la gestion désastreuse de la crise grecque, on a achevé le malade et l’on se retrouve dans la main d’un voisin qui ne nous veut pas du bien.
Car les grands coups de menton d’Erdogan dans ses relations internationales augurent du pire : de chantage vis-à-vis de l’Europe, notamment sur les visas pour ses administrés, en outrages diplomatiques – aux Etats-Unis pour la mort de Mohammed Ali, en Allemagne avec les députés d’origine turque ayant voté la reconnaissance du génocide arménien, puis avec la révocation de l’ambassadeur de l’UE à Ankara – en passant par les agressions caractérisées, comme l’avions russe abattu à sa frontière, celui qui se rêve en Atatürk à l’envers se comporte comme un boutefeu sur tous les plans.
Que dire encore sur sa vision de l’islam, extrêmement rigoriste, qu’il diffuse pendant qu’il réclame son intégration dans l’Union européenne ?
Décidément, tout prouve que nous ne traitons pas avec un ami.
Et précisément si l’on veut éviter un conflit à venir, il est temps de lui montrer quelle est la limite à ne pas franchir.
Pour cela, on aura besoin, plus que jamais, d’hommes forts à la tête de la France et de l’Europe.

Charles Millon Ancien
ministre de la défense

Président de l’Avant-Garde



A quand un nouveau Yalta ? par Charles Millon

La Libye est devenue le nouveau refuge de Daech, sa base de repli éventuel. C’est une réalité qui crève les yeux, mais que nous faisons semblant de ne pas voir.

Comme pour l’Irak-Syrie, sans doute découvrirons-nous demain, ébahis, qu’il y a fait son nid, creusé son sillon, s’y est fermement installé et que l’en déloger coûtera une guerre de plus – dont, semble-t-il, l’on parle déjà dans les états-majors occidentaux – une guerre dans un pays en proie à tous les chaos, toutes les anarchies, tel enfin que l’ont laissé MM. Sarkozy et Cameron, après leur intervention calamiteuse et opportuniste.

Mais, au-delà même du cas libyen, il faut intégrer le fait que, Daech ou tout autre nom dont elle se pare, cette idéologie est un cancer qui continuera de se déplacer et d’enfanter les guerres dans le monde.

Déjà, outre la Libye, Sinaï, Nigéria, Sahel, Afghanistan, et même Europe sont le terrain de jeu de cette guerre qui ne fera pas de prisonniers.

La radicalité, comme l’on dit, de notre ennemi est telle, sa haine à notre endroit – à l’endroit d’ailleurs de tout ce qui n’est pas lui – est telle qu’on voit mal comment négocier et trouver un accord de paix avec lui.

D’ailleurs, le voudrait-il, qui accepterait que nous vivions côte-à-côte avec un Etat, ou des Etats, qui pratiquent cette forme de charia, asservissant les femmes et généralement tous les non-musulmans, détruisant globalement tout ce qui nous paraît constituer l’humanité ?

La question, outre le fait de politique intérieure qui veut qu’on lutte au sein de nos nations européennes elles-mêmes, tient en ceci finalement : l’occident peut-il intervenir partout ?

Précisons : l’occident et ses alliés, puisqu’il faut intégrer dans cette lutte maintenant planétaire la Russie, l’Iran et certains pays de la péninsule arabique – les pays africains, eux, quoi qu’ils en aient la volonté, étant dans l’impossibilité financière et technique de combattre efficacement cette forme de guerre terroriste.

Nul doute qu’une grande conférence sous l’égide des Nations-Unies aurait dû avoir lieu il y a longtemps déjà : une sorte de Yalta qui consiste non à se partager le monde pour le dominer, mais à répartir les zones d’interventions entre les différentes forces, de façon à les stabiliser et les libérer.

Ce serait un projet à dix ans au moins, voire vingt.

Mais un projet nécessaire, requis par le nouvel ennemi protéiforme qui défie l’humanité entière.

Une nouvelle coopération mondiale tendue vers un but précis, comme cela existe, tout différemment, sur le plan écologique.

La zone à couvrir est gigantesque, et en sus, elle se trouve comme au milieu du monde. Du Pakistan à la Centrafrique, en passant par l’Irak-Syrie, l’Egypte, la Libye, le Mali, la Somalie et le Nigéria, c’est un arc immense qui recouvre grosso modo les pays à majorité musulmane .

Si l’on tente de le découper en pièces de puzzle, ce serait à la France dans la logique de ses interventions au Mali et en Centrafrique (dont les motifs furent différents cependant) de poursuivre sur sa lancée en sécurisant tout l’ouest africain, le Nigéria au premier chef.

Mais la zone est évidemment bien trop vaste, et l’on n’est plus au temps des empires coloniaux.

On peut regretter deux choses dans cette région : l’indifférence de l’ancien colonisateur anglais vis-à-vis du Nigéria, et la mollesse du soutien européen à la politique militaire de la France qui a pourtant stabilisé des lieux stratégiques et coupé court à une expansion rapide du djihad dans le Sahara-Sahel.

La France dispose là-bas d’un allié unique : le Tchad, seule armée opérationnelle dans cette partie du continent.

Les autres nations stables, comme le Burkina, le Bénin ou le Sénégal sont malheureusement ou mal armée ou trop fragiles intérieurement.

On pourrait néanmoins imaginer à moyen terme la création d’une force de réaction rapide africaine autonome, capable de cautériser les plaies nouvelles à temps.

L’Europe surtout, si elle a un sens, devrait prêter main forte à la France, au moins d’un point de vue financier et matériel.

En Libye, la situation est plus confuse que jamais, avec deux gouvernements recouvrant à peu près d’un côté la Tripolitaine, de l’autre la Cyrénaïque, et que l’on a jusqu’ici échoué à se fondre en un troisième.

Entre généraux fantoches et islamistes purs et durs, les opérations secrètes occidentales, françaises, américaines et anglaises, semblent pour le moment destinées uniquement à contenir le raz de marée de Daech.

La situation est telle, et les forces modérées ou tribales ayant été marginalisées, que ‘lon se retrouve selon l’analyse de Bernard Lugan, le grand africaniste, à s’allier avec les frères musulmans et Al Qaeda contre l’Etat islamique.

Charybde ou Sylla, telle semble l’alternative.

D’autant que les voisins de la Libye sont tout, sauf fiables : la Tunisie demeure sous la menace de ses propres islamistes, à peine écartés du pouvoir, et qui ne désespèrent pas d’y revenir bientôt.

En Egypte, malgré la grande figure du maréchal Sissi, soutenu par les Etats-Unis et le voisin saoudien,  la population sunnite reste sensible aux sirènes des Frères musulmans.

Ne parlons pas du Soudan, au sud, plus fauteur de troubles qu’autre chose.

Quant à l’Algérie, elle attend frémissante le changement de pouvoir intérieur avant que d’intervenir éventuellement.

Mais la grande guerre qui a embrasé la moitié du monde musulman a aussi des répercussions, dont l’on parle moins dans les chancelleries occidentales de crainte de froisser nos alliés, jusque dans la péninsule arabique.

En effet, le conflit atroce du Yémen se poursuit, terrain de substitution pour la guerre larvée que se mènent l’Iran et l’arabie saoudite, emportant derrière eux respectivement le monde chiite et le monde sunnite tout entier.

De même, la révolte continue de gronder à Bahrein, pays majoritairement chiite dirigé par une monarchie sunnite.

Enfin, le soutien indirect des pétromonarchies à l’Etat islamique, relayées en cela aujourd’hui par la Turquie qui s’en cache de moins en moins, réclame une explication avec les régimes sunnites.

L’occident ne peut pas continuer indéfiniment sa politique qui consiste à éteindre là le feu qu’il a allumé ici.

Il faut malheureusement remarquer qu’aujourd’hui, seule la Russie, quoiqu’on puisse reprocher à son régime intérieur, a une politique cohérente sur ce plan-là.

Dans une grande conférence internationale qui se chargerait de mettre au point un plan pour régler ces conflits, sur une décennie au moins, l’Europe aurait une mission particulière.

Qui serait moins d’intervenir au coup par coup que d’établir un contrat pour former les armées de pays amis.

Il s’agit de coordonner les pays entre eux, sur cet arc entier qui va de l’Afrique noire à l’Irak.

Car nous sommes face à une guerre idéologique-type. Pour filer le parallèle avec le communisme, il est remarquable qu’elle s’étende partout en même temps, comme au temps de la guerre froide.

Face à cela, s’il veut seulement survivre, l’occident doit développer une vraie stratégie et une vraie tactique. Qui requerra toutes ses forces.

Charles Millon

Ancien ministre de la défense

Président de l’Avant-Garde




L’Algérie à la croisée des chemins

Même si la démocratie est loin d’y briller, même si la vertu de ses dirigeants est sujette à caution, l’Algérie demeure aujourd’hui, alors que le Sahel s’est embrasé et que les printemps arabes ont déstabilisé tout le nord du continent, un havre de stabilité pour l’Afrique et le versant méridional de la Méditerranée.

Mais les quinze dernières années de paix relative qu’a connues le pays, après la « décennie de sang » où la lutte féroce de l’armée contre les islamistes fit des dizaines de milliers de morts, pourraient dans les temps qui viennent n’être plus qu’un heureux souvenir.

Des forces contradictoires s’agitent dans ce grand pays qui n’arrive toujours pas à trouver son équilibre interne.

L’état du pays, pourtant riche en hydrocarbures et en minerais, demeure économiquement désastreux.

L’ordre règne, mais la prospérité reste confinée dans les cercles étroits de la clientèle des hommes de pouvoir.

Le taux de chômage des jeunes dépasse toujours les 20% selon les chiffres officiels, qui ne sont pas toujours fiables. Il pourrait être largement supérieur.

Dans un pays dont la population a plus que triplé en cinquante ans, et même si le taux d’accroissement naturel a tendance à diminuer ces dernières années, le logement, les infrastructures routières, scolaires ou hospitalières sont toujours trop rares, désuets ou défectueux.

Surtout, 98% des exportations du pays sont le fait des seuls hydrocarbures, une manne qui, si elle a permis à l’Algérie de se désendetter et de rétablir ses comptes, a tendance à diminuer avec le temps.

Les autres secteurs, comme l’agriculture, les industries ou les services, restent peu compétitifs.

Le pays qui du temps de la colonisation française était exportateur de matières premières alimentaires, doit maintenant importer 60% de sa consommation.

Enfin, l’administration qui fut longtemps le principal employeur du pays a été décimée avec le passage à l’économie de marché acté durant la décennie 90.

La corruption continue d’y régner et les divers blocages et pots‐de‐vin découragent les investisseurs extérieurs ou intérieurs.

Alors que ses deux voisins, le Maroc et la Tunisie, ont réussi depuis longtemps à développer une industrie du tourisme florissante, l’Algérie est encore balbutiante dans ce domaine et souffre toujours de son image de pays peu sûr, en état de guerre civile larvée.

Sur le plan purement géopolitique, l’Algérie aurait pourtant les moyens de jouer son rôle de grande puissance régionale.

Il lui faudrait déjà commencer par régler ses différends territoriaux avec le Maroc et envisager de créer une véritable union du Maghreb dont elle constituerait le centre.

Mais les rivalités nationales ne semblent pas s’apaiser avec le temps.

L’Algérie est surtout aujourd’hui en contact direct avec les régions sahéliennes où couve le feu islamiste.

Si elle a appris de sa malheureuse expérience avec les GIA à maîtriser sur son territoire le terrorisme, il lui reste à sécuriser les grands espaces désertiques du sud où prolifèrent les cellules nomades djihadistes nouvelle manière.

La chute de Kadhafi ayant entraîné la constitution de nombreuses cellules djihadistes dans la région, le risque de chaos n’est jamais loin.

Témoigne aussi de cette inquiétude du gouvernement algérien l’autorisation donnée aux avions français lors de l’intervention au Mali de survoler le territoire national, une exception pour un pays jaloux de sa souveraineté, surtout vis‐a‐vis de l’ancienne puissance coloniale.

Malgré elle, l’Algérie se retrouve aujourd’hui au centre du jeu complexe de l’Afrique du nord où ces trois dernières années toutes les cartes ont été rebattues, depuis l’Egypte jusqu’au Mali, en passant par la Libye et la Tunisie.

Si son gouvernement donne le moindre signe de faiblesse, nul doute que ses ennemis, intérieurs comme les autonomistes kabyles ou les islamistes, ou extérieurs comme les djihadistes, en profiteront pour rallumer la mèche du conflit.

L’Union européenne comme d’ailleurs toutes les autres puissances du monde qui y ont des intérêts, particulièrement les Etats‐Unis et la Chine, seront avisées de garder sur le pays un œil vigilant, sous peine de voir le chaos se répandre un peu plus.

Seul pôle puissant et stable de la région, avec le Maroc, l’Algérie demeure la clef d’une Afrique du nord et sahélienne apaisée.

Charles Millon




Centrafrique – l’intervention française

Le rétablissement de la paix civile sera long sans doute en République centrafricaine.

L’Etat est réduit à sa plus simple expression, les caisses du trésor sont vides ‐ et l’on murmure que le précédent président François Bozizé, en fuite, n’est pas étranger à cette pénurie – le peuple enfin et surtout est maintenant

profondément divisé.

C’est certainement la question la plus préoccupante.

La Centrafrique ne s’était pas jusque là illustrée, contrairement à nombre d’autres pays du continent, par des émeutes ethniques, et les différentes composantes de sa société vivaient plutôt en bonne intelligence.

Mais le déferlement de la Séléka, bande inorganisée de rapaces à quoi se sont mélangés des éléments islamistes venus du nord ou de pays avoisinants, a mis au jour pour la première fois un antagonisme possible entre la majorité chrétienne et la minorité musulmane septentrionale.

Alors que l’armée et la police gouvernementales ont été réduites à leur plus simple expression, les exactions continues, pendant des mois, ont conduit les populations de la capitale à s’organiser en milices d’autodéfense.

C’est à cette situation, extrêmement tendue et couvant des massacres comme la nuée l’orage, que la France doit faire face, depuis qu’elle a renforcé ses troupes sur place, avec l’opération Sangaris.

La situation sécuritaire à Bangui est devenue plus tendue et préoccupante encore depuis l’attaque de la capitale le 5 décembre 2013 par des hommes armés anti‐Séléka, comprenant des anti‐balaka et des ex‐faca, parmi lesquels des hommes de l’ancienne garde présidentielle.

Ces attaques visaient sans doute à causer le maximum de pertes dans les rangs de l’ex‐Séléka et à entrainer un soulèvement populaire contre les autorités au pouvoir.

Mais la riposte des ex‐Séléka et surtout leurs représailles contre la population ont été très violentes et féroces.

Le conflit glisse ainsi insidieusement vers une guerre civile, interreligieuse ou inter communautaire : les ex‐Séléka et populations musulmanes d’un côté et les anti‐Séléka et populations chrétiennes de l’autre.

Par crainte des représailles de l’ex‐Séléka, de nombreuses populations des quartiers de Bangui ont quitté leur domicile pour trouver refuge près de l’aéroport protégé par les Français et dans les églises, tandis que des populations musulmanes se réfugiaient, elles, dans des mosquées.

Cette situation s’est aussi répercutée dans d’autres localités de province, notamment à Bossangoa et Bouar. Depuis le 5 décembre, les troupes françaises ont été renforcées, pour être portées à 1600 hommes.

Elles  sont présentes surtout à Bangui et à Bossangoa, mais aussi à Bouar et à Bossembélé dans le nord‐ouest, région très meurtrie par les exactions de l’ancienne rébellion.

Mais c’est surtout depuis le 9 décembre que les soldats français patrouillent en nombre dans Bangui, en véhicules sur les grandes artères et à pied dans les quartiers périphériques, désarmant tous les groupes armés qui ne sont pas cantonnés.

En coordination avec les troupes françaises, la force africaine Micopax, soit 2500 hommes qui devraient être renforcés par 850 burundais et 650 congolais, patrouille dans la ville et protège les nombreux sites de populations déplacées dans Bangui.

Le bilan provisoire de cette semaine de violences est estimé à plus de 500 morts dans la seule ville de Bangui, sans compter la ville de Bossangoa et la région environnante qui connait des affrontements similaires.

Un soldat du contingent tchadien a été grièvement blessé le 11 décembre. De nombreux blessés sont enregistrés.
La situation humanitaire déjà catastrophique ne cesse de s’aggraver.

Des tensions persistent encore avec des éléments de l’ex‐rébellion Séléka ; des tireurs isolés parfois en tenue civile tirent sur des patrouilles Micopax ou Sangaris.

Au‐delà des affrontements entre communautés, d’innombrables difficultés s’opposent à une résolution simple du conflit : notamment un manque de cohésion au sein de la Micopax dû au comportement de certains éléments du contingent tchadien ; mais aussi la présence de tireurs isolés de l’ancienne Séléka, parfois déguisés en civil, qui tirent sur les patrouilles Micopax ou françaises.

Devant l’horreur des massacres, notamment d’enfants, la France a fait son devoir en intervenant, avec l’accord de la communauté internationale, même si celui‐ci est venu bien tard.

Mais afin de sauvegarder la crédibilité des Forces Micopax et Sangaris, il importe aujourd’hui que le principe d’impartialité soit strictement respecté.

Tous les groupes armés sans exception (ex‐Séléka ou anti‐Séléka) doivent être désarmés, tout en veillant à empêcher les populations de s’adonner à des actes de vengeance les unes contre les autres.

De même, le contingent tchadien doit être rappelé à l’ordre et mis en garde contre tout agissement contraire aux règles d’engagement de la Micopax.

Dans tous les cas, l’emploi de ce contingent dans les opérations de sécurisation mérite une attention toute particulière afin d’éviter de discréditer la Micopax et la Misca – la nouvelle force africaine qui doit lui succéder.

Enfin, le transfert d’autorité de la Micopax à la Misca prévu pour le 19 décembre 2013 devra absolument être effectif, la période transitoire actuelle rendant particulièrement vulnérables les populations.

L’Europe de son côté, ne s’est pas précipitée pour donner un coup de main, et encore une fois la France est partie seule, comme au Mali.

Le 17 décembre, Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères, a enfin annoncé qu’il avait bon espoir que certains pays européens envoient des troupes au sol.

L’Europe finance déjà la Misca, mais elle aurait aussi intérêt à prendre sa part dans l’effort militaire français. Elle y a intérêt notamment  pour éviter des futurs Lampedusa.

La stabilisation de l’Afrique serait profitable pour le monde entier.

D’autant plus qu’à travers le cas précis de la Centrafrique, de nombreux problèmes actuels du continent s’expriment.

Il y a d’abord le problème, sur lequel on ne peut continuer de jeter un voile pudique, de la progression systématique de l’islamisme depuis 10 ans dans toute la région.

Et il s’agit d’un islam conquérant soutenu par l’Arabie saoudite, le Qatar, tous les pays sunnites en général, à l’œuvre au Mali, au Nigéria, au Soudan et même au Tchad.

En face, des populations chrétiennes ou animistes qui attendent un secours du reste du monde. Il y a encore l’éternel problème des frontières : le seul mot Centrafrique ne signifie‐t‐il que nous ne sommes pas face à un véritable pays ?

La question des identités est de plus en plus prégnante dans un continent dont les habitants ne se reconnaissent réellement que dans leurs tribus ou leurs ethnies.

Il faut se demander quand la communauté internationale osera enfin prendre le taureau par les cornes, et aider l’Afrique à inventer un autre type de démocratie, taillé sur sa mesure à elle.

Enfin, la Centrafrique a été manifestement victime de pillage de ses ressources depuis des années par des prédateurs étrangers, Etats ou grands groupes internationaux, dans les domaines du diamant, du pétrole ou de l’uranium.

Ses élites corrompues, dont François Bozizé comme Michel Djotodia sont de parfaits exemples, doivent être enfin remplacées par des gouvernants véritables, soucieux du bien commun.

On susurre aujourd’hui le nom de Martin Ziguélé, ancien Premier ministre d’Ange‐Félix Patassé, comme possible candidat lors des élections qui devraient être organisées rapidement.

Il jouit d’une réputation d’humaniste au fait des questions nationales et internationales qui plaide en sa faveur.

Il n’est que temps que la Centrafrique se découvre de vraies élites pour la gouverner, quelque forme qu’elle  prenne dans les années qui viennent.

Charles Millon




L’EUROPE NE DOIT‐ELLE PAS AVOIR SA PROPRE DIPLOMATIE EN SYRIE ?

La guerre civile syrienne qui a commencé il y a maintenant plus de trois ans est bien encombrante pour les chancelleries occidentales.

Placée très lestement à ses débuts dans le panier global « printemps arabe » par les opinions publiques, elle révèle pourtant des contours autrement torturés et des soubassements plus dangereux à mesure que l’observation se fait plus fine et plus objective.

Au régime dictatorial de Bachar el Assad qu’après avoir célébré pendant quelques années, notamment en France, on conspue maintenant d’un seul cœur, il n’est plus guère possible d’opposer naïvement une révolte populaire et sans arrière‐ pensée, à l’image de celles qui ont renversé les pouvoirs tunisiens et égyptiens.

Le grand jeu qui se déroule là, sur la terre syrienne, recèle des ambitions régionales qui dépassent de loin la seule question de la liberté pour le peuple de Damas et de Homs.

Plusieurs rapports réalisés sous la houlette d’observateurs indépendants, qui dénonçaient « la libanisation fabriquée » de la Syrie ont été très vite enterrés, et la mission Annan a été déployée sans que quiconque semble y placer de grands espoirs.

Il paraît alors de plus en plus évident que la diplomatie occidentale, alliée aux monarchies arabes sunnites, n’a qu’un seul intérêt à l’affaire : que le régime d’Assad tombe.

La désinformation publique, orchestrée par des chaines de télévision comme al‐Jazeera ou Qatar TV commence à être éventée: on sait maintenant, malgré les dénégations du fantômatique Comité national syrien, que les djihadistes, salafistes ou wahhabites, sont nombreux dans les rangs de l’opposition militaire : la mort d’Abdelghani Jahwar, le terroriste le plus recherché du Liban, près de Homs le 20 avril 2012 en témoigne.

Ce ne sont décidément pas des enfants de chœur qui combattent le régime alaouite.

Ce n’est un secret pour personne : la stratégie américaine aux Proche et Moyen‐ Orient est gênée par ce que l’on appelle l’arc chiite, qui va de Téhéran aux terres libanaises du Hezbollah en passant par la Syrie et le nouvel Irak, où la chute inconsidérée de Saddam Hussein n’a fait qu’attiser les rancœurs de la population chiite majoritaire contre ses anciens maîtres sunnites.

De même que l’effondrement du régime de Kadhafi en Libye a entrainé une déstabilisation régionale complète, dont les effets se font sentir aujourd’hui jusqu’au Mali, si le pouvoir alaouite tombe, les conséquences seront incalculables pour tout le Moyen‐Orient.

D’une part, il n’est pas du tout certain qu’Israël, même confronté à la menace permanente de l’Iran, ait intérêt à l’établissement d’une guerre civile anarchique à ses portes qui viendra ajouter à la confusion entretenue au Liban depuis trente ans.

Un ennemi qu’on connaît est toujours préférable.

D’autre part, les ambitions des monarchies pétrolières ne se résument pas à l’établissement d’un sunnisme unifié: comme en Tunisie, comme en Egypte, les  Frères musulmans, longtemps muselés par le pouvoir, sont à l’affût.

Toutes les minorités du pays risquent de subir violemment l’établissement de la charia : alaouites, chrétiens, ismaéliens, juifs et arméniens que le régime des Assad, malgré son peu de scrupule, chérissait comme des alliés indispensables, se verront au mieux ravalés au rang de dhimmis, au pire victimes d’exactions et contraints à l’exil

‐ une exil qui a déjà commencé, malgré les objurgations de leurs patriarches et chefs religieux.

Mais le régime syrien, même s’il donne quelques gages, avec l’autorisation du multipartisme et l’organisation conséquente d’élections législatives, n’a pas du tout l’intention d’abandonner la répression.

Devant une population largement attentiste, il demeure solide, fort, bien armé et prêt à tout.

Les pays occidentaux et arabes sunnites n’ont ni l’envie, ni les moyens, empêtrés en Afghanistan et échaudés par  l’Irak, d’y  intervenir  militairement.

C’est donc  vers  une guerre civile à bas bruit que l’on se dirige.

Le nombre de morts, risque de continuer à croître dans les mois et les années qui viennent.

A moins d’un miracle, à moins que Bachar el Assad jette soudain l’éponge, la situation terrible que les occidentaux ont contribué à installer commence de devenir insoluble.

Comme dans le Liban des années 80, seront dans le meilleur des cas déployés des casques bleus, observateurs impuissants de la tragédie qui se déroulera sous leurs yeux.

L’Europe autant que les Etats‐ Unis porte une lourde responsabilité dans ce cauchemar.

La politique pro‐qatari de Nicolas Sarkozy que nul n’ignore plus aura jeté notamment la France dans un soutien aveugle à des révolutions, syrienne et libyenne, dont on refuse de voir qu’elles portent en elle l’islamisme le plus radical comme la nuée l’orage.

Il est grand temps que soit réorientée la politique étrangère française et européenne à l’égard du bloc arabo‐musulman.

L’élection de François Hollande, qui n’a cependant évoqué pour le moment qu’un retrait plus rapide des troupes françaises d’Afghanistan, peut être le déclic salvateur.

Car le vrai danger qui menace le Moyen‐Orient actuel ne vient pas des vieilles dictatures à la Assad, mais de la possible constitution de deux camps antagonistes chiites et sunnites, aussi radicaux l’un que l’autre, constitution qui ne servira à terme que les intérêts russes, chinois ou américains qui en ont fait leur terrain de confrontation de prédilection, notamment pour le contrôle des ressources d’hydrocarbures.

La France et l’Europe n’ont qu’un intérêt faible à y soutenir la stratégie américaine.

Non seulement elles risquent, en adoptant ce rôle supplétif, d’y être marginalisées, mais encore leur longue histoire avec ces pays où se décide l’avenir du monde sera passée par pertes et profits.

Elles n’ont aucun intérêt à ce que la prédiction du choc des civilisations s’auto‐réalise dans cette région du monde qui est à leurs portes.

Les populations, et les minorités au premier chef qui constituent encore le sel de ces nations, souffriront violemment de l’établissement de ce nouvel ordre islamiste, même repeint aux couleurs clinquantes de la modernité qatari.

Au‐delà des insupportables souffrances humaines, le scénario qui se profile est l’occasion pour l’Europe de montrer qu’elle dispose encore d’une diplomatie et d’une influence dans le monde dignes de ce nom, qui ne s’alignent sur aucun des grands blocs autoproclamés, mais qui s’investissent avec réalisme et humanité dans ce grand jeu.

Charles Millon