Le piège de la Turquie par Charles Millon

Une nouvelle fois, l’Europe se sera couchée devant les menaces de l’un de ses voisins.

En l’occurrence il s’agit de la Turquie de M. Erdogan, personnage arrogant, si prêt à tout qu’il n’a pas hésité, on s’en souvient, à abattre un avion russe il y a quelques mois, prenant le risque d’une escalade militaire extrêmement dangereuse.

Dans le petit jeu des hommes forts face aux démocraties paralysées, le président turc ne le cède en rien au président russe : qui en Ukraine et en Géorgie, qui à Chypre et en Syrie, les deux chefs d’Etat ont les mêmes ambitions impérialistes.

Mais aujourd’hui, à la faveur de la crise des migrants, c’est Erdogan qui nous dame le pion.

Dans l’accord conclu le 18 mars avec l’Union Européenne, accord négocié par Angela Merkel qui se comporte comme la véritable présidente de l’Europe, la France étant portée disparue, le président turc ne lâche rien et obtient tout.

Dans l’ordre : 6 milliards d’euros sur deux ans ; la « réinstallation » de 72 000 réfugiés syriens sur le sol européen ; l’exemption, à court terme, de visa pour les Turcs voyageant en Europe ; enfin, l’ouverture de nouveaux chapitres d’adhésion à l’UE.

En échange, la Turquie n’accomplira que son devoir de base : empêcher les migrants de se rendre illégalement en Grèce par la mer Egée. En gros, ce que fait la France à Calais.

Ce fut en vérité un sommet de la honte, qui est venu annihiler toutes les belles paroles précédentes de l’Europe donneuse de leçons.

Car si l’on retourne un peu en arrière, au moment des « printemps arabes », l’Europe a commencé par annoncer qu’elle allait débarrasser le monde des dictateurs, en faisant tomber Kadhafi, en prenant le parti de la rébellion contre Assad.

Puis, devant la déferlante de réfugiés, demandeurs d’asile ou migrants, elle a clamé qu’elle les recevrait tous.

Ensuite, elle a proposé de mettre au piquet tous les gouvernements rétifs  qui comme ceux de Hongrie ou de Pologne refusaient d’appliquer les quotas de répartition des migrants élaborés par l’Allemagne et imposés par l’Europe.

Et maintenant, dans une palinodie digne de Daladier, elle sacrifie toutes ses valeurs sur l’autel d’une politique de dernier recours, sous-traitant à des pays comme la Turquie la gestion des réfugiés.

Des pays qui non seulement ne respectent pas les droits de l’homme mais encore nous font payer très cher leur collaboration.

L’Union Européenne, en marchandant avec la Turquie afin d’endiguer le flot des réfugiés, laisse Erdogan piétiner les droits de l’Homme, le respect des minorités et la liberté d’informer.

Pire, l’Union Européenne envoie un message de « désespoir » à ces populations qui fuient la guerre, les massacres et l’absence d’avenir pour leurs enfants.

A réfléchir à très court-terme, pour vouloir la paix et une bonne conscience, nous avons récolté la guerre et le déshonneur.

Charles Millon

Ancien ministre de la défense

Président de l’Avant-Garde




Afrique et migrants

Le problème de la sécurité en Méditerranée, avec ses deux rives religieusement opposées, n’est pas neuf. Il est même très ancien.

N’oublions pas que la colonisation de l’Algérie par la France en 1830 a commencé comme ça, pour détruire enfin la piraterie qui infestait la Mare nostrum depuis des siècles, avec son cortège d’esclaves et de trafics.

Bien entendu, les termes ne sont pas les mêmes aujourd’hui, et il ne saurait s’agir de recoloniser l’Afrique du nord.

Cependant, les vagues de migrants dont l’intensité a crû ces derniers mois, en partance de Libye principalement et vers les côtes italiennes, repose avec acuité la question des rapports intra-méditerranéen et, plus loin, celle des rapports de l’Europe avec l’Afrique.

Selon le ministère de l’Intérieur italien, le trafic de migrants en ­Méditerranée rapporterait plusieurs milliards d’euros chaque année.

L’OIM (Organisation internationale pour les migrations) explique que 500.000 personnes pourraient tenter la traversée de la Méditerranée cette année.

Et en 2014, année déjà exceptionnelle, ils étaient 175.000 à avoir débarqué sur les côtes italiennes. La presse italienne assure aujourd’hui qu’un million de migrants attendraient en Libye de prendre la mer.

Mais ce à quoi l’on assiste en Libye, où se conjoignent les intérêts terroristes des djihadistes et les intérêts pécuniaires des passeurs ne représente qu’un déplacement géographique de la vague de migration.

Jusqu’il y a peu, c’était par le Sahara occidental, les Canaries et les enclaves espagnoles au Maroc que débarquaient les clandestins. Si la situation a changé, c’est outre le chaos libyen, qu’il existe des solutions pour endiguer le flux, au moins localement.

Ainsi, dès le début des années 2000, l’Espagne a signé des accords de coopération avec le Maroc et d’autres pays africains du littoral atlantique et mis en place des patrouilles en mer communes.

Un succès : aujourd’hui, il y a moins de 200 migrants par an qui prennent encore cette route de Méditerranée occidentale.

Ainsi, un apprenti clandestin malien, Moussa, interrogé par des journalistes, explique pourquoi il a choisi la filière libyenne : « On m’a également proposé la filière mauritanienne qui transite par Nouadhibou, sur la frontière entre la Mauritanie et le Sahara occidental, pour aller ensuite aux îles Canaries, donc en territoire espagnol. »

Mais des amis lui ont conseillé d’aller en Libye : « Ils sont à Nouadhibou depuis bientôt deux ans sans pouvoir embarquer pour l’Espagne», raconte-t-il.

Il existe quatre voies principales d’entrée en Libye pour les clandestins : la région de Madama, au Niger; celle de Ghadamès, à la frontière algérienne ; celle de ­Koufra, dans l’extrême sud du pays; l’Égypte.

Les deux premières sont empruntées par les Africains de l’Ouest, les deux autres par les migrants de la Corne de l’Afrique. Les réseaux de trafiquants libyens reposent principalement sur les tribus, les Toubous côté Niger, les Touaregs côté Algérie.

Pour convoyer les clandestins du Sud ­libyen vers le nord, ce sont des tribus présentes dans les deux régions, comme les Arabes Ouled Slimane, qui sont actives.

Les migrants sont ensuite disséminés le long du littoral, mais c’est dans la région de Zouara, à l’ouest de Tripoli, que le gros des départs se fait.

Jakob, un Camerounais, explique comment se passe l’organisation de la traversée : « Comme la ville de Zouara dispose d’un port de pêche où il y a de vieux chalutiers destinés à la casse, les passeurs contactent les propriétaires de ces embarcations hors service. Certains squattent carrément la coque.

Ensuite, le chalutier est emmené à un atelier faisant office de chantier naval où on lui installe un moteur d’occasion en mesure d’assurer sa dernière traversée.

C’est ce qu’ils prétendent du moins. L’essentiel, c’est qu’il quitte les eaux libyennes et s’approche du littoral italien. »

Il affirme que  « les mécanos et les marins sont Tunisiens ou Egyptiens, alors que les passeurs sont plutôt Libyens. »

Sans compter la mafia italienne que l’on soupçonne de plus en plus fortement de se servir au passage.

Une internationale du crime donc, de nouveaux négrier, qu’il s’agit de détruire, mais sans oublier que c’est la demande qui a créé l’offre.

En réalité, comme le relève François Gemenne, spécialiste des flux migratoires à l’institut français du Ceri, l’arrivée des migrants illégaux par mer n’est qu’un signal d’alerte vis-à-vis de ce qui se passe plus globalement : « Les naufrages des ­bateaux ont un effet de loupe sur cette forme d’immigration mais elle reste minoritaire ».

Les trois quarts des illégaux, selon lui, arrivent par avion, le plus souvent munis d’un visa. Une fois celui-ci expiré, les personnes restent sur le sol européen.

Il y a donc des flux continus, et c’est à leur source même qu’il convient de les tarir.

Deux questions conjointes se posent donc à l’Europe : comment rétablir des structures politiques dans les pays pourvoyeurs de migrants, de façon à y stabiliser les populations ?

Et comment refondre la politique d’accueil de l’Europe même, qui fonctionne aussi comme une pompe aspirante, laissant croire aux migrants qu’ils y gagneront le paradis ?

Certains réclament une politique de défense plus agressive de la part de l’Union européenne, notamment pour bloquer les bateaux dès les ports libyens. Pourquoi pas ?

Mais l’on ne fera que retarder la solution du problème, dont les racines sont bien plus lointaines.

Elles se trouvent en Afrique noire où de fait, l’Europe a abandonné toute politique de coopération cohérente et structurée.

Et un à un, les pays de la bande sahélo-saharienne, depuis le Mali jusqu’à la Somalie, basculent dans le chaos ou sous la botte islamiste.

Partout, faisant fonds sur la fragilité des régimes locaux, les fondamentalistes musulmans  utilisent la même technique de terreur, qui consiste à dépeupler à terme les provinces, pour qu’il n’y reste que les musulmans, créant donc les conditions favorables à l’exil vers une terre plus accueillante.

Le terrorisme musulman vient donc se superposer à la pauvreté économique déjà présente dans nombre de ces pays.

Et en tous lieux, les chrétiens sont les premières victimes : depuis ces migrants qui auraient été passés par-dessus bord par leurs compagnons d’infortune, au motif qu’ils étaient chrétiens jusqu’à ces Ethiopiens exécutés par Daesh en Libye pour le même motif, après les Coptes qui avaient subi le même sort.

Au Kenya, le 2 avril, le massacre de Garissa est venu confirmer cette triste réalité : les Chebabs venus de Somalie ou recrutés dans la population locale déshéritée ont trié les étudiants, mettant d’un côté les musulmans, de l’autre les chrétiens.

Cent quarante-huit de ceux-ci ont été tués au fusil d’assaut.

Et là aussi, comme au Nigéria sous la botte de Boko Haram, la lenteur de la réaction des troupes d’élite pose la question de la manipulation des événements par le gouvernement.

Mais de toute manière, le but est atteint : les chrétiens fuient Garissa.

Selon le porte-parole des Chebabs, l’attaque de l’université se justifiait parce que « c’est un plan pour répandre le christianisme et l’infidélité ».

Le discours est clair. Au Niger, une attaque du groupe islamiste Boko Haram samedi 25 avril aurait coûté la vie à une cinquantaine de soldats nigériens basée sur l’île de Karamga, sur le lac Tchad.

Au Tchad même, le président pourtant puissant Idriss Déby se montre très inquiet.

Alors qu’il a déjà affaire à la Libye et à Boko Haram, des troubles dans le sud du pays, notoirement dominé par le nord, mais où se trouve le pétrole, ont fait récemment un mort.

Alors que le régime d’Idriss Déby assure un semblant de stabilité dans la région, il serait dramatique qu’une rébellion se déclenche à l’intérieur du pays.

Au Soudan du Sud, depuis un an et demi, une guerre tribale sévit qui plonge le jeune pays dans une situation humanitaire dramatique.

En Erythrée, dont le terrifiant régime, qui ne peut être comparé aujourd’hui qu’à celui de la Corée du nord pour l’usage de la torture, la population sous les armes et la coupure avec le reste du monde, d’après le Haut Commissariat aux réfugiés, ils sont plus de 220.000 à avoir fui depuis 2011, soit 5% de la population.

Chaque mois, 3000 jeunes Erythréens, garçons et filles, traversent la frontière éthiopienne. Un évêque local a récemment parlé de « dépeuplement ».

Ainsi se conjuguent misère, instabilité politique et terrorisme islamique pour mettre à feu et à sang la moitié de l’Afrique. Il est temps que le monde, et l’Europe au premier rang, s’en préoccupe et prenne les moyens nécessaires.




Migrants, traiter le problème à la source

Valeurs actuelles 21 mai 2015

« Nous ne pouvons pas héberger toute la misère du monde ».

Evidemment. Personne n’a les capacités de le faire.

S’il est parfois bon de rappeler des évidences, cette lapalissade-ci emprisonne toutes réflexions et tous débats sur le drame de l’immigration clandestine depuis des années.

Des généreux d’un bien qui ne leurs appartient pas aux hâbleurs tartuffes, nos gouvernants surfent sur le sujet, se gardant bien de sortir de cette ligne garante de leurs étiquettes idéologiques périmées.

Ce problème ne peut se poser en ces termes et encore moins se résoudre d’un claquement de doigts.

Ces naufrages nous révoltent tous mais ces embarcations funèbres ne sont pas les premières et risquent de ne pas s’estomper si l’on dédaigne de s’attarder sur les racines de cette tragédie.

Le problème de la sécurité en Méditerranée, avec ses deux rives religieusement opposées, n’est pas neuf. Il est même très ancien.

La colonisation de l’Algérie par la France en 1830 a commencé comme ça, pour détruire enfin la piraterie qui infestait la Mare nostrum depuis des siècles, avec son cortège d’esclaves et de trafics.

Si les termes ne sont pas les mêmes aujourd’hui, et il ne saurait s’agir de recoloniser l’Afrique du nord.

Cependant, les vagues de migrants dont l’intensité a crû ces derniers mois, en partance de Libye principalement et vers les côtes italiennes, reposent avec acuité la question des rapports intra-méditerranéens et, plus loin, celle des rapports de l’Europe avec l’Afrique.

Ce à quoi l’on assiste en Libye, où se conjoignent les intérêts terroristes des djihadistes et les intérêts pécuniaires des passeurs ne représente qu’un déplacement géographique de la vague de migration.

Jusqu’il y a peu, c’était par le Sahara occidental, les Canaries et les enclaves espagnoles au Maroc que débarquaient les clandestins.

Si la situation a changé, c’est outre le chaos libyen unanimement décidé par nos gouvernant, qu’il existe des solutions pour endiguer le flux, au moins localement. Ainsi, dès le début des années 2000, l’Espagne a signé des accords de coopération avec le Maroc et d’autres pays africains du littoral atlantique et mis en place des patrouilles en mer communes.

Un succès : aujourd’hui, il y a moins de 200 migrants par an qui prennent encore cette route de Méditerranée occidentale.

En réalité, si les naufrages nous touchent, les trois quarts des clandestins en Europe arrivent par avion, le plus souvent munis d’un visa. Une fois celui-ci expiré, les personnes restent sur le sol européen. Il y a donc des flux continus, et c’est à leur source même qu’il convient de les tarir.

Deux questions conjointes se posent donc à l’Europe : comment rétablir des structures politiques dans les pays pourvoyeurs de migrants, de façon à y stabiliser les populations ?

Et comment refondre la politique d’accueil de l’Europe même, qui fonctionne aussi comme une pompe aspirante, laissant croire aux migrants qu’ils y gagneront le paradis ?

Certains réclament une politique de défense plus agressive de la part de l’Union européenne, notamment pour bloquer les bateaux dès les ports libyens. Pourquoi pas ?

Mais l’on ne fera que retarder la solution du problème, dont les racines sont bien plus lointaines.

Elles se trouvent en Afrique noire où de fait, l’Europe a abandonné toute politique de coopération cohérente et structurée.

Et un à un, les pays de la bande sahélo-saharienne, depuis le Mali jusqu’à la Somalie, basculent dans le chaos ou sous la botte islamiste.

Partout, faisant fonds sur la fragilité des régimes locaux, les fondamentalistes musulmans  utilisent la même technique de terreur, qui consiste à dépeupler à terme les provinces, pour qu’il n’y reste que les musulmans, créant donc les conditions favorables à l’exil vers une terre plus accueillante.

Le terrorisme musulman vient donc se superposer à la pauvreté économique déjà présente dans nombre de ces pays. Et en tous lieux, les chrétiens sont les premières victimes : depuis ces migrants qui auraient été passés par-dessus bord par leurs compagnons d’infortune, au motif qu’ils étaient chrétiens jusqu’à ces Ethiopiens exécutés par Daesh en Libye pour le même motif, après les Coptes qui avaient subi le même sort.

Au Kenya, le 2 avril, le massacre de Garissa est venu confirmer cette triste réalité : les Chebabs venus de Somalie ou recrutés dans la population locale déshéritée ont trié les étudiants, mettant d’un côté les musulmans, de l’autre les chrétiens. Le but est atteint : les chrétiens fuient Garissa. Selon le porte-parole des Chebabs, l’attaque de l’université se justifiait parce que « c’est un plan pour répandre le christianisme et l’infidélité ». Le discours est clair.

Au Niger, une attaque du groupe islamiste Boko Haram samedi 25 avril aurait coûté la vie à une cinquantaine de soldats basés près du lac Tchad.

Au Tchad même, le président pourtant puissant Idriss Déby se montre très inquiet.

Alors qu’il a déjà affaire à la Libye et à Boko Haram, des troubles dans le sud du pays, notoirement dominé par le nord, mais où se trouve le pétrole, ont fait récemment un mort.

Alors que le régime d’Idriss Déby assure un semblant de stabilité dans la région, il serait dramatique qu’une rébellion se déclenche à l’intérieur du pays.

Au Soudan du Sud, depuis un an et demi, une guerre tribale sévit qui plonge le jeune pays dans une situation humanitaire dramatique.

En Erythrée, dont le terrifiant régime, qui ne peut être comparé aujourd’hui qu’à celui de la Corée du nord pour l’usage de la torture, la population sous les armes et la coupure avec le reste du monde, d’après le Haut Commissariat aux réfugiés, ils sont plus de 220.000 à avoir fui depuis 2011, soit 5% de la population. Chaque mois, 3000 jeunes Erythréens, garçons et filles, traversent la frontière éthiopienne.

Un évêque local a récemment parlé de « dépeuplement ».

Ainsi se conjuguent misère, instabilité politique et terrorisme islamique pour mettre à feu et à sang la moitié de l’Afrique.

Il est temps que le monde, et l’Europe au premier rang, s’en préoccupe et prenne les moyens nécessaires avant que la Méditerranée ne devienne la patrie de la misère humaine.

Charles Millon, ancien ministre,