Afrique de l’ouest : nouveau front du djihadisme africain Charles Millon, ancien ministre de la Défense (France), cofondateur de l’Institut Thomas More (www.institut-thomas-more.org)

Le 9 mai dernier, la mort de deux soldats français dans une opération de sauvetage de deux touristes enlevés au nord du Bénin huit jours plus tôt a ouvert les yeux à tous ceux qui ne voulaient pas le voir : le cancer djihadiste se propage désormais à l’Afrique de l’ouest. Sénégal, Mali, Niger, Bénin, Togo, Côte d’Ivoire, Burkina Faso, Nigeria, Ghana, Cameroun : tous ces pays sont désormais menacés.

 

Le Burkina Faso en première ligne

Initialement centrée sur le nord du Mali, l’action des groupes djihadistes a progressivement glissé vers le sud, au point que le centre du pays est devenu le théâtre principal des violences – fruit également de tensions ethniques hors de contrôle. L’ONU a ainsi recensé en 2017 plus de 1  000 incidents dans la seule région de Mopti et, durant l’année 2018, cette région est celle dans laquelle ont été enregistrés le plus grand nombre d’actions attribuées aux groupes djihadistes contre les forces de défense maliennes, la MINUSMA, les groupes armés signataires et l’opération française Barkhane.

Parallèlement à cette extension vers le centre du Mali, les groupes djihadistes se sont implantés au Burkina Faso, au point que l’état d’urgence a été déclaré le 1er janvier 2019 dans quatorze provinces frontalières du Mali et du Niger. Cette expansion a été préparée dès le début des années 2010, mais c’est en 2015 que les premières attaques commencent. Mais c’est surtout le nord qui est frappé, avec plusieurs attaques contre des représentants de l’État et des membres de la société civile. En décembre 2016, le groupe Ansaroul Islam est créée par Ibrahim Dicko. Composée principalement de Rimaïbés et de Peuls, cette entité entretient des liens avec d’autres groupes au Mali. En 2018, les incidents augmentent dans le nord sans pour autant cesser dans l’ouest. Parallèlement, la situation sécuritaire se dégrade considérablement dans l’est du pays avec une quinzaine d’attaques (engins explosifs ou accrochages) entre janvier et août. Il s’agit très probablement d’éléments de l’État islamique dans le Grand Sahara et d’Ansaroul Islam, qui ont noué des alliances avec des membres influents des communautés locales ayant étudié le Coran au Mali.

Plusieurs raisons peuvent être avancées pour expliquer cette extension au Burkina. D’abord, comme l’affirmait l’ex-chef rebelle touareg malien Iyad Ag Ghali dans une interview datée de 2017, la nouvelle stratégie proclamée des groupes terroristes est l’extension de la lutte à de nouveaux espaces. Si cette orientation s’explique par la pression militaire qui pèse sur les groupes djihadistes dans le nord Mali, où les Français ont remporté plusieurs succès tactiques en 2018 et où le Mécanisme opérationnel de coordination (MOC) progresse, elle fait écho également au caractère transnational de l’idéologie djihadiste et aux circulations des idées et des personnes. Ensuite, les groupes djihadistes ont su trouver des relais parmi les populations locales pour s’implanter et mener leurs actions. Enfin, ils ont bénéficié de la désorganisation de l’appareil sécuritaire et des services de renseignement résultant de la révolution de 2014.

 

L’extension aux pays côtiers d’Afrique de l’ouest

Les récentes attaques au Burkina Faso, à proximité des frontières avec la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Togo et le Bénin, ainsi que l’arrestation en décembre 2018 de personnes préparant une opération à Bamako, Ouagadougou et Abidjan pour le Nouvel an, témoignent de la menace croissante qui pèse sur les pays du golfe de Guinée. Les premiers signes d’action de groupes djihadistes dans ces pays datent cependant du milieu des années 2010. Dans le parc transfrontalier du W, des combattants originaires du Mali auraient mené en 2014-2015 une reconnaissance en poussant jusqu’au Bénin. De même, en 2015, plusieurs membres d’une cellule du JNIM actifs dans la forêt de Sama, à la frontière entre la Côte d’Ivoire et le Mali, étaient arrêtés, sans pour autant que les survivants cessent leurs activités. Ce sont d’ailleurs des membres de cette unité qui seraient à l’origine de l’enlèvement d’une none colombienne dans la région de Sikasso en février 2017, et qui ont été arrêtés à côté de Koutiala le 6 décembre 2018.

Les groupes armés djihadistes ont également recruté dans les pays côtiers ces dernières années. Le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO) comptait parmi ses membres des ressortissants de plusieurs pays dont des Guinéens, des Ghanéens et des Béninois. Après le départ du nigérien Bilal Hicham de la katiba Ousmane Dan Fodio, c’est même un Béninois originaire du sud du pays et Yorouba, surnommé Abdoullah, qui prend la tête de l’unité. Et le MUJAO n’est pas isolé : selon les autorités libyennes, plusieurs dizaines de ressortissants du Ghana, du Sénégal et de la Gambie auraient rejoint l’organisation État islamique en Libye.

Le premier électrochoc est cependant l’attaque de Grand-Bassam, en Cote d’Ivoire, commanditée par l’Arabe Ould Nouini et menée par un commando suicide en mars 2016. Selon les auteurs d’un rapport interne du Secrétariat du Conseil national de sécurité ghanéen, « le Ghana et le Togo sont les prochaines cibles après les attaques au Burkina Faso et en Côte d’Ivoire ». Deux mois plus tard, une note adressée aux forces armées béninoises était rendue publique, dans laquelle il était demandé aux unités de « renforcer la sécurité sur les différentes zones menacées d’attaques terroristes » et de faire preuve de « plus de vigilance dans les fouilles aux frontières ». De fait, les attaques se sont depuis multipliées dans toute la zone, notamment au Niger où des groupes terroristes ont mené des attaques dans la région de Diffa (sud du pays) en février et en avril. Au mois de mai, pas moins de vingt-huit soldats ont été tués dans la région de Tillabéri, à l’ouest du pays.

Certes, ces derniers mois ont été marqués par plusieurs mesures pour renforcer la sécurité aux frontières dans certains pays. Le Togo et le Bénin ont notamment déployé des unités supplémentaires dans le nord afin de renforcer le maillage du territoire. Parallèlement, des opérations conjointes ont été organisées. En mai 2018, le Bénin, le Burkina Faso, le Ghana et le Togo ont déployé près de 2 000 membres des forces de défense et de sécurité dans le cadre de l’opération Koudalgou, pour un bilan de 200 arrestations dont deux personnes soupçonnées d’être liées aux groupes jihadistes. Si cette mobilisation témoigne d’une certaine prise de conscience et d’une volonté de publiciser cette dernière, elle n’est pas sans susciter plusieurs interrogations.

D’abord, on le sait, la coopération reste difficile entre les acteurs de la sous-région. Certes, l’opération contre une cellule à Ouagadougou, en mai 2018, est issue d’une collaboration entre services burkinabè et maliens avec un appui technique français. Certes également, dans le domaine judiciaire, l’initiative WACAP (réseau des autorités centrales et procureurs de l’Afrique de l’Ouest qui regroupe les pays de la CEDEAO et la Mauritanie), portée par l’ONUDC, a permis de renforcer les échanges entre magistrats de la sous-région. Cependant, la coopération reste entravée par une culture de la méfiance entre États, entre administrations d’un même État, et au sein d’une même administration. Ensuite, le contrôle des flux sur les frontières septentrionales est limité par des pratiques anciennes de contournement, la corruption des agents de l’État, ou encore les limites en matière d’état civil. Cette surveillance est d’autant plus difficile que les groupes djihadistes s’appuient sur les savoirs de contrebandiers et de trafiquants.

 

Tensions religieuses, vulnérabilités sociales et aveuglement politique

L’intensité des échanges entre les États côtiers et l’hinterland sahélien, la répartition des communautés, les mobilités multiples – que cela soit pour s’installer durablement dans un autre pays ou au gré de circulation plus temporaires –, les flux marchands, les outils de communication, sont autant de facteurs pouvant encourager les « plugs » régionaux et internationaux autour de convergences religieuses ou politiques. De nouvelles « solidarités » djihadistes se créent à travers toute l’Afrique de l’ouest.

Les tensions internes de ces pays constituent une autre source de vulnérabilité : tensions ethniques, politiques, économiques et sociales. Divers facteurs peuvent favoriser le développement de l’extrémisme violent dans ces pays : frustration des jeunes à l’égard d’aînés qui monopolisent le pouvoir politique et économique ; disparités entre espaces urbains et ruraux ; taux d’illettrisme ; prégnance de nouvelles idéologies religieuses comme le revivalisme sunnite. Dans le nord du Bénin par exemple, de nombreuses mosquées ont été construites, accompagnées d’une introduction du port du voile par les jeunes filles et les femmes. De même, le Ghanaian National Peace Council a dû intervenir à plusieurs reprises à la suite de prêches radicales et de sermons antimusulmans.

L’importation de courants religieux venus du golfe Arabo-persique ne suffit pas à expliquer l’engagement dans un groupe armé djihadiste. Plusieurs études (PNUD, ISS ou IFRI) ont montré le rôle majeur du sentiment d’injustice, des conflits locaux, et du comportement des forces de défense et de sécurité dans la bascule dans la violence et sa continuation. La progression d’un islam rigoriste sur le continent africain constitue néanmoins, pour des acteurs prônant la violence au nom de la religion, un levier afin d’obtenir une audience, une oreille complaisante, des soutiens, des financements, voire recruter des combattants en s’appuyant sur le sentiment anti-occidental et la colère d’une partie de la population.

L’expansionnisme sunnite génère aussi des compétitions porteuses de violence avec des formes plus traditionnelles de l’islam africain. En Guinée par exemple, les tensions entre jeunes wahhabites et érudits soufis traditionnels a conduit en 2014 à la destruction de la mosquée wahhabite dite « Tata 1 » dans le quartier Donghol. Financée par une association du golfe Arabo-persique, via une association guinéenne, elle avait été prise en main par un imam wahhabite autoproclamé.

Ces tensions religieuses sont d’autant plus dangereuses qu’elles prennent place dans des pays secoués par des tensions ethniques (que les groupes terroristes savent attiser en particulier entre nomades et sédentaires), des conflits autour de la terre, du bétail, des ressources du sous-sol et de leur exploitation, une remise en cause des hiérarchies sociales par les jeunes et dans lesquels l’arène politique est rarement apaisée. En Côte d’Ivoire, le pouvoir est focalisé sur l’échéance électorale de 2020, les déceptions sont grandes à l’égard du mandat de Ouattara et l’intégration de ses combattants a laissé des traces dans l’appareil sécuritaire. Au Bénin, les heurs politiques ne retombent pas entre le pouvoir et l’opposition depuis les élections législatives du 28 avril dernier. Au Cameroun, des velléités indépendantistes de la partie anglophone au nord-ouest du pays se manifestent depuis 2016. Plusieurs attentats ont été commis. Le 1er octobre 2017, des séparatistes annoncent une indépendance symbolique des deux régions anglophones, et provoquent des manifestations. La dispersion violente de ces rassemblements cause au moins dix-sept morts parmi les manifestants. En trois ans, le conflit aurait fait 1 850 morts et forcé plus de 530 000 personnes à fuir leur domicile, d’après les Nations unies.

Le plus inquiétant se situe peut-être à ce niveau : la défaillance de régimes politiques qui semblent n’avoir toujours pas compris la multiplicité des facteurs qui nourrissent l’hydre djihadiste, facteurs à la fois ethniques, économiques, politiques et géographiques. Sur chacun de ces leviers, il est urgent d’agir.

 

Que faire ?

La question ethnique est sensible mais peut-être la plus déterminante. Si l’on s’en tient au cas du Mali, les tensions entre Touaregs, Peuls, Bambaras et Dogon ne doivent pas être sous-estimées. Il ne saurait y avoir de solution politique à long terme sans la prise en compte de cette pluralité ethnique qui réclame le développement, le respect et la garantie d’une décentralisation franche et d’autonomies locales larges. Face aux heurs qui peuvent exister entre sédentaires et nomades, c’est la mission des autorités publiques et des chefs locaux de garantir une coexistence pacifique en organisant concrètement la répartition des terres, la transhumance des troupeaux, etc.

Sur le plan économique, une lutte impitoyable contre les trafiquants en tous genres (drogue, médicaments, enlèvements et rançons, armes) doit être conduite et coordonnées entre les différents pays de la zone. Ces trafics nourrissent le djihadisme : s’en prendre à eux, c’est affaiblir l’hydre terroriste. Bien sûr, on sait que dans certains pays, des fonctionnaires et des responsables politiques sont complices de ces trafics.

C’est pourquoi le facteur politique est également majeur. Les populations comprennent mal qu’un jeune désœuvré soit envoyé pour cinq ou dix ans en prison parce qu’il a fait de la contrebande quand tel ministre ou tel directeur des douanes n’est pas inquiété alors qu’il fait la même chose à grande échelle… La question de l’exemplarité des élites, de la lutte contre la corruption et du respect de l’État de droit est également prégnante. Les bailleurs de fonds internationaux devraient être bien plus exigeants.

Il y a enfin le facteur géographique, qu’il ne faut pas sous-évaluer. Les espaces à surveiller et contrôler sont souvent immenses (le Mali fait plus de 1,2 millions de kilomètres carrés) et en tout cas trop grands pour les moyens dont disposent ces pays. Pourtant, le contrôle des frontières est un enjeu prioritaire. Une coordination accrue entre pays, le soutien des pays occidentaux et les nouvelles technologies (radars, drones, etc.) sont indispensables.

Publié en langue anglaise le 13/09/2019 sur Geopolitical Intelligence Service




Charles Millon : Comment l’Europe va t’elle assumer sa future défense ?

TV Libertés émission Porte Voix
Charles Millon : Comment l’Europe va t’elle assumer sa future défense ?

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Handicap et protection de l’enfance : la France persiste et signe, les enfants « saignent »

Le 20 novembre 2015, le défenseur des droits avait rendu public un rapport inédit dont le titre était déjà pour le moins éloquent : « Handicap et protection de l’enfance : des droits pour des enfants invisibles ».

Le 4 février dernier, c’est le comité des droits de l’enfant de l’ONU qui a toisé la France à la suite de l’audition de celle-ci les 13 et 14 janvier 2016.

L’UNICEF avait pourtant été déjà particulièrement critique vis-à-vis de la France dans son rapport de juin 2015.

Le Conseil de l’Europe était même allé, fait rarissime, jusqu’à relever l’hypocrisie de l’état français qui, plutôt que de mettre en place les moyens nécessaires à la scolarisation en milieu ordinaire des enfants présentant un handicap en France, préférait payer des établissements scolaires en Belgique pour le faire.

Ainsi, le comité des droits de l’enfant de l’ONU « réitère sa précédente recommandation pour que le système de collecte de données couvrant tous les domaines de la convention des droits de l’enfant » permette le suivi et l’évaluation des politiques et projets en faveur des droits de l’enfant.

Or il est bien triste de constater que jusqu’à présent c’est l’absence de statistiques qui prévaut concernant les enfants en âge d’être scolarisés et relevant d’un handicap au sens de l’éducation nationale et du ministère de la santé.

Ce défaut de données précises a pour conséquence de maintenir une grande ambiguïté sur les besoins de ces enfants et l’absence criante de moyens mis en place par l’état.

Le Comité des droits de l’enfant de l’ONU prie instamment la France de renforcer ses efforts pour promouvoir une culture de l’égalité, de la tolérance et du respect mutuel, pour prévenir et combattre tous les cas de discriminations contre les enfants dans tous les secteurs de la société. »

Le Comité des droits de l’enfant de l’ONU rappelle une nouvelle fois sa préoccupation concernant « les cas de mauvais traitements des enfants handicapés dans les institutions et la surveillance indépendante insuffisante de ces institutions. »

Il s’alarme plus particulièrement de la technique du « packing » concernant des enfants atteints du trouble du spectre autistique (TSA) (enveloppement et contention de l’enfant dans des draps humides et froids), ce qui s’apparente à « des mauvais traitements » et qui n’est toujours pas interdit par la loi française et se pratique toujours dans certains établissements.

Le comité des droits de l’enfant de l’ONU encore une fois « prie instamment la France d’accroître les initiatives pour prévenir et lutter contre les causes profondes des mauvais traitements des enfants dans les institutions, et notamment mettre en place des mécanismes capables de procéder à des inspections régulières et efficaces indépendamment des institutions de contrôle ».

Comme je l’écrivais le 7 décembre dernier, il faut cesser d’exclure ou de parquer dans des structures inadaptées (IME et ITEP) des enfants qui n’ont rien à y faire et qui forcement y régressent en espérant que les parents affligés, ne se plaindront pas trop fort.

C’est évidement la première initiative à prendre pour prévenir les causes de mauvais traitements dans les institutions et notamment pour tous les enfants dont les troubles sont d’origines neurologiques (TSA (troubles du spectre autistique), TDAH (Trouble Déficit de l’Attention avec ou sans Hyperactivité), DYS (dyslexie, dysorthographie, dysphasie, dyspraxie, dyscalculie) et TED (troubles envahissants du développement)

Malheureusement, tout un pan de la médecine psychiatrique française (école psychanalytique) s’acharne à traiter des troubles neurologiques chez les enfants, comme des troubles liés à des carences éducatives, affectives ou familiales, alors que les neurosciences ont démontré qu’il n’en est rien.

Le comité s’inquiète également d’une trop grande pratique des représailles contre les enfants et les familles alors que c’est le système qui est défaillant.

Pour ma part je crois fermement qu’il faut que les recours manifestement abusifs aux procédures de « l’information préoccupante » ou du « signalement » pour faire taire les parents et les associations de défense des enfants à besoins particuliers soient sanctionnées.
Aujourd’hui ce n’est pas possible.

Enfin, il est plus que temps que notre pays mette un terme à un système d’exclusion généralisé qui s’auto génère et s’autofinance avec l’argent de la sécurité sociale. (Ecole, médico-social, Aide Social à l’Enfance)

Car la suite logique est que, le comité des droits de l’enfant de l’ONU s’alarme une nouvelle fois de la surreprésentation des enfants handicapés dans les établissements de l’ASE (Aide Social à l’enfance)

Ces pratiques d’un autre temps de la gestion du handicap et du handicap à l’école bloquent le système de la protection de l’enfance.

L’Aide Sociale à l’Enfance ne peut plus protéger les enfants qui devraient l’être, elle gère l’affluence :
« Et les dysfonctionnements sont de plus en plus fréquents ».

Nous devons briser cette spirale infernale de l’exclusion, pour y arriver, il faut que les services de l’état et les prises en charge thérapeutiques des enfants changent :

« L’accueil des enfants présentant un handicap à l’école ne doit plus être abordé par l’état français comme un service que l’on rendrait aux parents en accueillant leurs enfants mais réellement comme un droit de l’enfant à être scolarisé »

Et les enfants qui ont des troubles d’origines neurologiques doivent pouvoir être pris en charge par des soignants et des personnels accompagnants formés à leurs troubles.

Des milliards d’euros de soins inadaptés sont dépensés chaque année par la sécurité sociale.

Les moyens financiers sont donc là.

S’ils étaient employés à bon escient cela permettrait à des dizaines de milliers d’enfants d’être scolarisés en milieu ordinaire, dans de bonnes conditions et de recevoir des soins adaptés.

Charles Millon

Président de l’Avant Garde

 

 




Handicap et protection de l’enfance : des droits pour des enfants invisibles.

368957Le 20 novembre dernier le défenseur des droits a rendu public un rapport inédit dont le titre est éloquent : « Handicap et protection de l’enfance : des droits pour des enfants invisibles ».

Non seulement ce rapport met notamment en exergue la grande hétérogénéité et la grande complexité des situations et les difficultés spécifiques auxquelles sont confrontées les familles mais également, « la fragilisation extrême de ces enfants les exposant tout particulièrement à des dénis de leurs droits : à la santé, à la scolarité, à une vie en famille, à la protection contre la violence sous toutes ses formes ».

Ce rapport nous rappelle que la classe politique française a du mal à aborder certains sujets lourds, qui électoralement parlant ne sont pas considérés comme payants.

Le handicap à l’école en est un et il fait peur. Comme si le simple fait d’en parler pouvait le rendre contagieux.

La France pays des droits de l’homme dissimule donc sous le tapis une terrible réalité.

Près de 10% des enfants en âge d’être scolarisés relèvent d’un handicap au sens de l’éducation nationale et du ministère de la santé.

Cette notion de handicap (handicap physique, psychique, cognitif) est extrêmement vaste. Cela a pour conséquences de ne jamais avoir de statistiques très précises et surtout de maintenir une grande ambiguïté sur le sujet.

En effet le handicap à l’école n’est pas que physique et visible, loin s’en faut.

Il faut savoir qu’un enfant ayant un QI de 180 et présentant des troubles du comportement en raison d’une surcharge émotionnelle dépendra d’une notification MDPH, (Maison Départementale des Personnes Handicapées) au même titre qu’un enfant handicapé moteur.

Il en va de même :

-d’un enfant atteint d’un TDAH (Trouble Déficit de l’Attention avec ou sans Hyperactivité 3% à 5% d’une classe d’âge).

-d’un enfant présentant des troubles envahissants du développement (TED)

-d’un enfant présentant des troubles des apprentissages ou du langage dit « DYS » (dyslexie, dysorthographie, dysphasie, dyspraxie, dyscalculie)

-d’un enfant présentant des troubles du spectre autistique TSA.

La règle qu’il faut effectivement retenir c’est qu’à partir du moment où ces troubles gênent les apprentissages et/ou l’école, l’enfant est susceptible de rentrer dans le cadre du handicap.

Les besoins de tous ces enfants sont évidemment extrêmement différents, c’est une évidence.

Oui mais voilà ; l’égalitarisme forcené que l’on veut nous imposer dans tous les domaines de la société fait également des ravages chez nos enfants.

Les AVS (Auxiliaire de Vie Scolaire) ont la même formation succincte, (souvent aucune), le même mode de recrutement, et le même type de contrat.  (Précaire, le plus souvent un CDD de 6 mois)

L’Etat français n’ayant pas les moyens de ses prétentions d’omnipotence préfère donc exclure du système les enfants différents ou à besoins spécifiques.

Au mieux, l’état se cache derrière une pseudo-scolarisation à mi-temps, tiers temps, quart de temps mais surtout … pas tout le temps.

Cette situation indigne donne lieu à de nombreuses condamnations de la France et de l’Etat français.

La France est de plus en plus souvent condamnée par la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) pour non-respect des droits de l’enfant.
La France est condamnée par le Conseil de l’Europe (février 2014) pour non-respect des droits de l’enfant et de la charte sociale européenne.
L’état français est condamné par les juridictions administratives françaises (TA de Paris juillet 2015) pour des carences dans la mise en œuvre des moyens nécessaires à la scolarisation des enfants.

Le conseil de l’Europe va même jusqu’à relever l’hypocrisie de l’état français qui, plutôt que de mettre en place les moyens nécessaires à la scolarisation en milieu ordinaire des enfants présentant un handicap en France, préfère payer des établissements scolaires en Belgique pour le faire. Mais rien ne change.

« Nous devons briser cette spirale infernale de l’exclusion »

Pourtant des solutions de bon sens sont totalement envisageables mais toujours écartées au nom de faux principes : manque de moyens, sécurité, égalité, manque de formation des enseignants…

On cherche tous les arguments pour ne pas faire, plutôt que les solutions pour faire.

Ainsi par exemple, un enfant sans AVS par faute de moyen financier et non scolarisé à la demande de l’établissement scolaire, puisque sans AVS, pourrait tout à fait être scolarisé avec l’aide d’un de ses parents (qui le plus souvent ne peut pas travailler puisque son enfant n’est pas scolarisé).

On peut même envisager, qu’une tierce personne ayant des qualifications adaptées, soit rémunérée par les parents s’ils en ont les moyens ou un collectif de parents dans le cadre d’un AVS mutualisé.

L’école deviendrait non seulement réellement inclusive, mais aurait en outre plus de personnes adultes en son sein pour assurer la surveillance et la protection des enfants.

La formation des enseignants concernant le handicap est extrêmement limitée parfois même inexistante.

Pourquoi ne pas prévoir dans chaque école un enseignant référant, formé au handicap, disposant d’informations actualisées et de ressources lui permettant d’aider et accompagner ses collègues.

Ce sont des pistes de réflexions, il y en a d’autres ; nombres de nos voisins européens y arrivent mieux que nous.

Trop longtemps, l’état français a caché l’étendue des dégâts sur nos enfants par idéologisme.

C’est notre système éducatif qui est inadapté et pas les enfants présentant un handicap, comme voudraient le faire croire certains syndicats d’enseignants.

Cependant l’éducation nationale n’a pas tous les torts.

Ainsi les prises en charges des troubles d’origine neurologique en France ont parfois plusieurs décennies de retard.

Tout un pan de la médecine psychiatrique française (école psychanalytique) s’acharne à traiter des troubles neurologiques chez les enfants, comme des troubles liés à des carences éducatives, affectives ou familiales, alors que les neurosciences ont démontré qu’il n’en est rien.

Des milliards d’euros de soins inadaptés sont dépensés chaque année par la sécurité sociale.

Les moyens financiers sont donc là.

S’ils étaient employés à bon escient cela permettrait à des dizaines de milliers d’enfants d’être scolarisés en milieu ordinaire, dans de bonnes conditions et de recevoir des soins adaptés.

Il est temps de mettre un terme à un système d’exclusion généralisé qui s’auto génère et s’autofinance avec l’argent de la sécurité sociale. (Ecole, médico-social, Aide Social à l’Enfance)

L’UNICEF a d’ailleurs été particulièrement critique vis-à-vis de la France dans son rapport de juin 2015.

Elle pointe du doigt les trop nombreuses défaillances de notre système éducatif en général et plus particulièrement la prise en charge des enfants les plus fragiles.

A l’heure ou le « vivre ensemble » incantatoire gouvernemental est servi à toutes les sauces, peut-être serait-il enfin temps de prendre soin de nos enfants.

Ce scandale doit prendre fin.

Il faut cesser d’exclure ou de parquer dans des structures inadaptées des enfants qui n’ont rien à y faire en espérant que les parents affligés, ne se plaindront pas trop fort.

Il faut que les recours manifestement abusifs aux procédures de l’information préoccupante ou du signalement pour faire taire les parents et les associations de défense des enfants à besoins particuliers soient sanctionnés. Aujourd’hui ce n’est pas possible.

Ces pratiques du recours à l’Aide Sociale à l’Enfance envers les familles d’enfants présentant des troubles neuro-développementaux (TSA, TDAH, TED, Dys) sont plus que condamnable.

Elles sont dénoncées dans plusieurs rapports institutionnels, la cour des comptes, les associations de parents (Communiqué du 7 aout 2015 de plus de 150 associations) et de nombreux travailleurs sociaux.

Ces dérives bloquent le système de la protection de l’enfance.

Les services de l’ASE sont d’ailleurs totalement noyés par l’inflation alarmante des procédures depuis la loi de 2007.

Les manifestations des personnels de l’Aide Sociale à l’Enfance sont de plus en plus régulières pour dénoncer les conditions dans lesquels on leur demande de travailler « ils ne peuvent plus protéger les enfants qui devraient l’être » ils gèrent l’affluence.
« Et les dysfonctionnements sont de plus en plus fréquents ».

Ne nous voilons pas la face, derrière la pudeur du terme de « dysfonctionnement » se cache une réalité effroyable, on parle de placements abusifs, de familles brisées voir de suicides d’enfants.

Nous devons briser cette spirale infernale de l’exclusion, pour y arriver, il faut que les services de l’état commencent par changer de référentiel :

« L’accueil des enfants présentant un handicap à l’école ne doit plus être abordé par l’état français comme un service que l’on rendrait aux parents en accueillant leurs enfants mais réellement comme un droit de l’enfant à être scolarisé »

Charles Millon

http://blog.lavant-garde.fr/handicap-et-protection-de-lenfance-des-droits-pour-des-enfants-invisibles/




Charles Millon : qui est vraiment Daech ?

FIGAROVOX/TRIBUNE – Au lendemain des attentats de Paris, l’ancien ministre de la Défense Charles Millon pose les enjeux de la lutte contre l’Etat islamique. Quelle est son étendue ? Quels sont ses alliés ? Des questions auxquelles il faudra répondre pour le combattre.

 

Charles Millon a été ministre de la Défense du gouvernement Alain Juppé, de 1995 à 1997.


Il existe aujourd’hui un consensus général et véritable autour de la nécessité pour la communauté internationale d’intervenir en Irak et en Syrie afin de mettre Daech hors d’état de nuire. Il n’était que temps.

Cependant, on ne peut que remarquer que les gouvernants des grandes nations du monde, parties prenantes des coalitions – Etats-Unis, France, Russie, Royaume-Uni – s’interrogent plus sur les modalités, sur la dimension à donner à ces interventions, sur les alliances à nouer ou à respecter, que sur l’objectif même de l’opération et sur la nature de l’ennemi.

Or, de nombreuses questions, dont les réponses devraient être des préalables se posent: s’agit-il d’une reconquête du territoire pris par Daech? Quelle négociation avec tous les groupes qui interviennent en Syrie et en Irak pour envisager à terme l’instauration d’une paix civile? Quelle est la dimension de la coalition? Va-t-elle se constituer sous l’égide de l’ONU? Y aura-t-il un pays coordonnateur de cette coalition? Qui la financera? Qui en assurera le commandement tactique? Est-il envisagé une conférence internationale pour définir les dimensions politique, économique et militaire de cette intervention? Et si oui, quel en sera le pays organisateur? Toutes ces questions sont pour l’heure en suspens, dans ce qui paraît une guerre artisanale, échafaudée au jour le jour, sans pensée stratégique.

Mais, avant même d’envisager cette phase, une autre interrogation, beaucoup plus profonde, se présente: celle de la définition de notre ennemi. Car l’objectif n’est au fond pas territorial, mais idéologique. A-t-on réellement mesuré ce qu’est Daech: un groupe religieux qui porterait des ambitions territoriales (à ce jour près de 300.000Km2 contrôlés en Irak et en Syrie), ou un groupe religieux qui porterait internationalement une idéologie totalitaire? A-t-on de surcroît analysé vraiment les liens que ce groupe a tissé avec d’autres idéologies ou d’autres familles de pensées proches? A ce sujet, il ne serait pas inintéressant de relire les textes de sociologues qui soulignaient dans les années 90 une certaine proximité idéologique entre l’islamisme révolutionnaire et le marxisme ; non plus que de se repencher sur les liens troublants qu’ont entretenus un certain nombre d’islamistes avec l’Allemagne nazie (cf. Jihad et haine des juifs. Mathieu Küntzel Editions du Toucan Septembre 2015).

Dans un cadre plus contemporain, on ne peut oublier les racines sunnites de Daech, qui expliquent l’inertie de l’Arabie saoudite autant que celle du Qatar, et leur répugnance à mener une action au sol contre l’Etat terroriste. Pis, l’Arabie saoudite, le Qatar et un certain nombre d’autres pays du Golfe persique ont constitué parallèlement une coalition contre les Houthistes chiites du Yémen, alors qu’ils sont totalement absents du combat contre Daech. Comment envisager la poursuite des relations commerciales sereines avec l’Arabie saoudite, le Qatar ou les EAU, tant que ne seront pas éclaircis les rapports qu’ils entretiennent directement ou indirectement avec Daech?

On ne peut non plus oublier l’attitude ambiguë de la Turquie sunnite qui privilégie les bombardements des Kurdes aux bombardements des positions de Daech.

Il faut ensuite penser plus largement, à l’échelle du monde, ces relations que Daech a nouées, non seulement avec les Frères musulmans, mais aussi avec les mouvements de Libye, du Nigéria, ou de Somalie.

Il ne s’agit pas d’être alarmiste. De toute façon, la guerre est déjà là. Mais la considérer seulement dans un cadre régional, la Syrie, et militaire, les bombardements, on prend le risque de s’aveugler sans voir s’organiser une nouvelle internationale porteuse d’une idéologie totalitaire qui ne craint pas à Palmyre ou ailleurs de faire sienne la formule des révolutionnaires Français «du passé faisons table rase».




Combattre vraiment Daech

Voilà plus d’un an que Daech a proclamé le Califat ; voilà plus d’un an qu’une coalition internationale, sous la houlette des Etats‐Unis, bombarde la région. Avec quel succès ?

Pour l’instant, la paix s’éloigne un peu plus chaque jour.

Viols, esclavage, mutilation, destructions de monuments sans prix, déplacement de population, brimades, mise en scène de torture : on pourra dire que l’Etat islamique se sera donné du mal pour être à la hauteur de son rôle de « monstre absolu », renvoyant au deuxième rang les Shebabs, les GIA, les talibans et al Qaeda.

Daech donc occupe aujourd’hui un vaste territoire, à cheval sur au moins deux pays, l’Irak et la Syrie, et le monde assiste, presque impuissant, à ses exactions et à l’extension de son domaine de nuisance.

Aussi la question se pose aujourd’hui, plus que jamais : qu’attendons‐ nous pour agir vraiment ?

Attendons‐nous que ces pays se soient définitivement vidés de leurs populations chrétienne, yézidie, ismaélienne, alévie, alaouite et même chiite ?

Attendons‐nous que ne demeure plus que le sunnisme à front de taureau, sous sa forme la plus bornée, avec ses femmes sous tente portative, ses interdits odieux et sans limite, sa haine du reste du monde ?

Attendons‐nous que l’Irak et que la Syrie tombent entièrement entre leurs mains, au prétexte qu’il ne faudrait pas traiter avec le tyran Assad, ni avec les méchants iraniens, ni avec le Hezbollah, ni même avec Poutine ?

Préférons‐nous fermer les yeux sur les sempiternelles attaques turques contre les Kurdes ? Ou sur les bombardements inhumains du Yémen par nos alliés saoudiens et consort ?

Personne ne fait la guerre de gaieté de cœur, sauf les imbéciles. Sauf peut‐être ceux qui décident un beau jour de faire tomber un dictateur sans prendre garde aux suites mortelles, pour l’Europe elle‐même, de leur mini‐guerre sans risque.

Mais aujourd’hui, il s’agit de prendre des risques, et certainement pas inutiles, car il en va peut‐être de notre survie, mais certainement de celle d’antiques civilisations et communautés du Proche‐Orient.

La France a déjà envoyé ses hommes, seuls, au Mali et en Centrafrique. Ils y sont toujours et sont sans doute les derniers gardiens de la dernière porte avant le chaos en Afrique de l’ouest.

Mais ce qui se joue entre la Méditerranée et l’Euphrate est, comme mille fois auparavant dans l’histoire des hommes, déterminant pour la physionomie du monde dans les décennies qui viennent.

L’Etat islamique est un problème géopolitique, un cancer qui se répand en Libye, en Somalie, au Sinaï, qui passe des accords avec Boko Haram ou les talibans.

Mais c’est plus généralement un monstre dont la barbarie est sans limite. Une sorte, disons‐le, de totalitarisme vert, qui ne le cède en rien aux deux totalitarismes du XXème siècle.

Né de l’islam, il est conduit maintenant par une idéologie autonome qui fait redouter le pire.

Comme l’a remarqué Renaud Girard dans les pages du Figaro, on ne peut prendre le risque de répéter notre faiblesse des années 30 face à la montée du nazisme. C’est maintenant qu’il faut agir, avant qu’il ne soit trop tard.

En ce sens, il faut que la France en tant que membre permanent du Conseil de sécurité obtienne une résolution de l’ONU autorisant une intervention au sol à fin de mettre un terme à ces crimes contre l’humanité.

La France doit prendre l’initiative de réunir une conférence internationale dont l’objet sera la constitution d’une vraie coalition, non plus seulement aérienne, mais appuyée sur une force d’intervention.

Il faut réunir les nations alliées : celles qui sont prêtes à intervenir militairement, celles qui apporteront leur soutien, et celles qui participeront au financement.

L’objectif premier étant de permettre à ces pays, Irak et Syrie d’abord, de recouvrer leur souveraineté et d’empêcher la poursuite de ces crimes, qui dépassent le seul cadre de la guerre et s’apparentent de plus en plus à des crimes contre l’humanité.

Cette conférence internationale devra aussi déterminer le type d’accompagnement qu’il faudra prodiguer à ces pays par la suite pour empêcher qu’ils ne retombent dans l’anarchie et la misère.

L’Europe, fidèle à son histoire, s’honorerait de prendre la responsabilité de ces opérations de reconstruction et d’accompagnement.

Le temps n’est plus aux lamentations devant les horreurs perpétrées par Daech.

Le temps est à l’action déterminée pour garantir la Dignité des personnes, le droit des minorités et le respect des croyances dans cette région du monde où notre civilisation a ses racines.

Le Figaro du 8/09/2015
Charles MILLON
Ancien Ministre de la Défense Président de l’Avant‐Garde




Burkina Faso : Etat de droit ou démocratie ?

Fin octobre, le Burkina Faso a vécu ce que l’on n’a pas hésité  à appeler  une  « révolution noire » : des centaines de milliers de jeunes gens, las de 27 années de règne du chef de l’État Blaise Compaoré, lequel souhaitait modifier une énième fois la Constitution pour se maintenir au pouvoir, manifestaient à Ouagadougou.

Après avoir incendié le Parlement, ils  ont finalement mis en fuite le président le 31 octobre.

Malgré des manifestations de grande ampleur, certainement téléguidées par d’anciens amis du président qui était sur la sellette depuis 2011, le changement de régime s’est accompli dans un calme relatif.

Ce qui est une bonne nouvelle.

Depuis ce 31 octobre et le départ en exil du président Blaise Compaoré, le Burkina Faso vit sa transition à un rythme soutenu.

La charte qui détermine l’architecture institutionnelle de cette période devant mener à des élections dans un an a été signée rapidement, le 15 novembre, et le nouveau chef de l’État, Michel  Kafando  a prêté serment  le 21 novembre.

Les pressions internationales ne sont pas étrangères à cette accélération du calendrier, mais il est remarquable que l’armée, sous la houlette du lieutenant-colonel Isaac Zida, ait rendu si vite le pouvoir.

Le chef militaire n’a cependant pas renoncé à toute dignité officielle et il a même obtenu le poste de Premier Ministre : son « retour dans les casernes », a­ t-il lui-même indiqué, ne se fera qu’à l’issue de la transition, c’est-à-dire dans un an.

D’ici là, tout peut  encore arriver.

En attendant, plusieurs enseignements peuvent déjà être retirés de ce changement de régime : Michel Kafando n’est pas l’élu d’un scrutin populaire mais le fruit du consensus d’un collège de désignation composé de vingt-trois membres issus de différentes composantes de la société.

Au bout d’une nuit d’auditions et de tractations, les « grands électeurs » issus des rangs de l’armée, des partis politiques de l’ancienne opposition, de la société civile et des organisations religieuses ont tranché en faveur d’un homme d’expérience,connaissant les rouages de l’État et les arcanes internationaux.

Kafando a en effet été représentant du pays auprès de l’ONU.

Ce mode peu courant de désignation est à double tranchant : d’une part, il semble témoigner d’une certaine maturité du corps politique et social du Burkina Faso, qui n’a pas souhaité que dure trop longtemps la période de vacance du pouvoir et qui s’est emparé dès que possible du problème pour tenter de réinventer un pouvoir stable.

Mais d’autre part, entant qu’ancien proche de Compaoré, Michel Kafando peut apparaître devant le peuple, et notamment la jeunesse du pays, comme une doublure, en moins flamboyant, du précédent président.

Le Burkina, comme beaucoup de pays africains, connaît en effet une démographie galopante, de près de six enfants par femme, et la jeunesse y pèse donc d’un poids énorme.

Une jeunesse à qui, dans ce pays qui est l’un des plus pauvres de la planète, peu d’avenir est proposé.Le Burkina, qui n’a pas d’accès à la mer et compte 80% de population paysanne,est de longtemps un pays d’émigration.

D’abord vers le Ghana,puis vers la Côte-d’Ivoire, où le poids croissant de sa population avait contribué en 2003 à déstabiliser le pays.

C’est ainsi qu’il survit,  grâce aux capitaux que sa diaspora ramène de l’étranger.

Mais cette situation n’est pas viable, et la gabegie du développement industriel a été à peine masquée par la stabilité du pouvoir de Compaoré qui avait pris les rênes du pouvoir après l’assassinat du héros national Thomas Sankara en  1987.

Michel Kafando se propose de «bâtir une nouvelle société, une société réellement démocratique basée sur la justice sociale, la tolérance».

Noble ambition, mais quine fait pas un programme.

Dans un pays qui compte soixante ethnies, il est plus que jamais nécessaire de tenir compte de la réalité africaine.

Les frontières extérieures, mais aussi intérieures, ont été héritées de la colonisation et c’est une administration  sans rapport  direct avec le terrain qui est plaquée sur les différentes régions.

De manière générale, les constitutions occidentales ont été directement importées dans ces pays, sans que les traditions locales soient respectées et sans que  l’organisation  des populations soit prise en compte.

Le Burkina, aux deux tiers musulman, a pour l’instant la chance de n’être pas touché par la vague d’islamisation qui parcourt l’Afrique, et les communautés religieuses y cohabitent pacifiquement.

C’est d’ailleurs l’Église catholique elle­ même qui a été sollicitée à certain moment de la transition pour que l’un de ses représentants occupe le pouvoir, ce qu’elle a évidemment refusé de faire.

Mais cette harmonie religieuse ne masque pas la dichotomie qui existe entre la démocratie légale et la réalité sociologique du Burkina.

C’est d’ailleurs cela quia entraîné indirectement la chute de Compaoré.

Les institutions, respectées à la lettre, ne permettent pas la stabilité politique.

Pendant plusieurs décennies, les Burkinabés ont préféré un chef d’État à poigne  et qui modifiait la constitution selon son bon plaisir à un chaos réel.

Néanmoins, ce modèle n’est pas satisfaisant.

Il est urgent que les textes soient révisés pour correspondre à la réalité africaine : il faudrait par exemple imaginer que les représentants des royaumes, des tribus ou des ethnies siègent au niveau national dans un Sénat recomposé et soient associés à la gestion locale.

Ce qui permettrait d’instaurer une harmonie politique à la base, et de prendre en compte les vraies aspirations des populations.

Au lieu de quoi, on préfère un simulacre démocratique, avec des élections ou truquées ou induisant une très large abstention, au profit d’une caste très réduite.

Le réalisme devrait pourtant conduire à s’interroger une bonne fois pour toutes sur l’opposition entre le système légal officiel et le système coutumier  qui continue de régir le mode de vie des habitants de ces pays-là.

C’est un autre enseignement de cette « révolution noire », enseignement  dont une grande partie de l’Afrique doit faire son miel : le besoin de liberté et d’organisation réaliste va se répandre.

D’un point de vue géopolitique, c’est extrêmement préoccupant : demain, ce peut­ être aussi bien le Cameroun que le Congo-Brazza, le Bénin que le Tchad qui peuvent être touchés, dans un jeu  de dominos semblable à celui du Printemps arabe.

Manifestement, le temps des autocraties déguisées en démocraties a vécu.

Mais il est illusoire de penser que la structure sociale permettrait à l’Afrique de faire un saut immédiat – pour autant qu’elle soit désirable d’ailleurs – vers la démocratie occidentale abstraite et déliée des contingences du terrain.

L’urgence africaine,c’est de faire respecter l’État de droit plutôt que la démocratie.

Les deux ne sont en effet pas superposables, et l’on peut parfaitement imaginer un avenir africain fondé sur des États décentralisés, organisés par le bas, respectant parfaitement le droit, qui évitent les pièges de la féodalité autant que ceux des grandes proclamations démocratiques non suivies d’effets.

Redonner la parole aux populations selon leur ordre, c’est aussi empêcher le pillage  infernal des ressources du continent qui doivent beaucoup plus à l’avidité et à la pusillanimité  des élites renfermées dans leur domination qu’à une supposée faiblesse intrinsèque de la société africaine.

L’exemple du Sénégal,organisé de façon stable autour de ses confréries, devrait inspirer ces nations qui hésitent sans cesse entre un ordre fort et une soif de liberté compréhensible.

Cette organisation a l’immense mérite de ne pas  donner  le pouvoir à une seule ethnie, dominante numériquement, mais de prendre  en compte toutes  les composantes de la société.

Afin d’assurer stabilité et continuité, modernité et respect de la tradition, le président aurait la mission, la fonction et le rôle de père de la nation, ainsi que le furent Houphouët-Boigny ou Sedar-Senghor en leur temps.

L’expédition des affaires courantes relèverait d’un gouvernement présidé par un Premier  ministre.




Comment répondre réellement au défi de Daech ?

Certainement, la politique est l’art du possible.

Mais le possible, comme son nom l’indique, exige quelques limites.

La coalition qui agit actuellement en Irak et en Syrie contre l’EI a cru bon de nouer une alliance avec le Qatar et l’Arabie saoudite.

Le but avoué est sain : montrer qu’il ne s’agit pas d’une guerre de l’occident contre un monde arabo-musulman conçu comme un seul bloc monolithique.

Et il est vrai que les premières victimes de Daech sont les populations locales, qu’elles soient chrétiennes, yazidis ou de minorités musulmanes.

La longue apathie de la communauté internationale devant les crimes et massacres commis en Irak et en Syrie a été stupéfiante.

L’ONU, par exemple, qui avait dépêché une commission depuis 2011 pour enquêter sur les faits de guerre dans le conflit syrien, a attendu le 15 août pour adopter une position commune sur le sort fait aux minorités par l’Etat islamique, notamment les Yazidis et les chrétiens.

Les Américains sont intervenus en bombardant les positions ennemies pour soutenir des Kurdes débordés, de leur propre chef. Saine et nécessaire intervention, certes.

Mais un examen de conscience international serait nécessaire pour savoir qui finance et porte les idées de l’EI.

Il faut dénoncer le double jeu, celui des pétromonarchies du Golfe, mais pas seulement.

Les Américains notamment sont responsables : pour garantir leurs fournitures en pétrole, ils ont longtemps fait preuve d’une coupable mansuétude.

La France aussi est responsable, elle qui a vendu des armes sans se soucier de leur destination finale et qui pour obtenir des gros contrats avec le Qatar, sur le Rafale par exemple, a fermé les yeux sur les agissements louches de l’émirat.

En réalité, cette étrange situation ne concerne pas que l’Irak malheureusement, mais une grande part du monde arabe, jusqu’à la Libye, et même une partie de l’Afrique noire, avec les Shebabs de Somalie, et Boko Haram au Nigéria.

Il importe de dire haut et fort, enfin, que ces mouvements terroristes ne sont pas nés ex nihilo, ni ne se financent tout seuls.

Mais il faut que la coalition soit aussi enracinée : d’abord, il faut qu’elle ne soit pas simplement militaire. Mais aussi économique, politique et idéologique puisqu’elle fait face à un nouveau totalitarisme qui vise ces quatre desseins-là.

Pour remédier à cette situation, l’ONU et les instances internationales en général seraient avisées de se souvenir du précédent de l’apartheid d’Afrique du Sud : nombre de pays arabes actuels traitent leurs minorités exactement comme le faisait le régime d’apartheid.

A l’époque, l’ONU avait voté des déclarations et résolutions qui qualifiant le régime d’apartheid de « crime contre l’humanité » – comme l’adoption en 1973 de la Convention internationale pour l’élimination et la répression du crime d’apartheid – permirent d’isoler le pays sur la scène internationale pour provoquer son écroulement final.

Cette technique du boycott a fait ses preuves : on se demande ce que le monde attend pour l’appliquer aux trop nombreux régimes qui financent aujourd’hui le djihadisme.

Le « califat » est une barbarie. Mais l’Arabie saoudite, le Qatar, le Soudan, la Somalie, le Yémen, eux non plus ne tolèrent pas l’existence des chrétiens ni des autres minorités religieuses.

Au Maroc et en Algérie encore, quoique constitutionnellement il existe un droit des minorités, dans les faits, il est impossible d’y vivre en tant que chrétien.

Nous ne pouvons pas nous habituer à cette situation, ou alors nous ne sommes plus l’occident et nos valeurs n’ont aucun sens, et ne veulent rien dire.

Il y a un principe des minorités qu’il faut faire appliquer sans faiblir.

Il est d’ailleurs étonnant que le seul nom que l’on arrive à donner à ce territoire de terreur soit « l’Etat islamique ».

Comme il y avait une « Union des Républiques socialistes soviétiques » dont aucun terme n’indiquait la localisation géographique, cette dénomination témoigne de l’actualité de la pensée totalitaire.

Ces islamistes, qui ne reculent devant rien pour établir leur pouvoir, ni décapitation, ni assassinat des populations civiles, ni mutilation, s’inscrivent ainsi dans la suite de cette longue idée de territoire nettoyé de ses éléments « impurs » qui court dans le monde depuis au moins deux siècles.

En face, nous autres occidentaux, continuons de croire que notre civilisation est immortelle.

Que nous ayons défait deux grands totalitarismes au cours du siècle dernier semble nous interdire de nous interroger sur les menaces extrêmement pressantes à quoi nous devons faire face aujourd’hui.

Sur une menace précisément, celle du djihadisme mondialisé.

Les événements actuels, dont l’Etat islamique est la figure la plus identifiable et la plus cruelle, n’ont pas que des ressorts politiques, ou économiques, contrairement à ce que l’on essaie de nous faire accroire souvent.

Le nouvel ennemi, que nous n’avons pas recherché mais qui nous a désignés comme tel, est pétri de fanatisme et d’idéologie : il combat pour des convictions certainement déformées ; pour une foi, sans doute dénaturée puisqu’on nous le dit, mais pour une foi tout de même.

Ce qui ne laisse de nous interroger sur notre capacité à y répondre.

Car l’engagement religieux de ces islamistes leur promet le paradis, par quoi ils n’ont pas peur devant  la mort.

Oh, l’on dira que nos armes supérieures nous protègent de leur vindicte.

On a vu cependant plusieurs fois dans l’histoire les faibles vaincre les forts, seulement parce qu’une croyance, religieuse ou politique, les animait.

En réalité, nous sommes entrés dans une guerre de religion, et le monde politique occidental parce qu’il n’est plus religieux n’arrive pas à comprendre ce qui se passe.

Avec l’Etat islamique, ou Daech, comme on voudra l’appeler, nous fait face un bloc géographique presque cohérent qui nous désigne comme ennemi et qui possède des relais idéologiques chez nous, des populations  sympathisantes de l’intérieur.

La France, par exemple, avec près de 1.000 départs recensés depuis 2012, constitue aujourd’hui le premier contingent de djihadistes occidentaux opérant en Syrie et en Irak.

L’Etat islamique, mais aussi toutes les cellules d’Al-Qaida, comme Khorasan, ou celle qui a enlevé l’otage français en Algérie, est travaillé par le millénarisme et l’universalisme de son combat.

Il n’y aura pas de trêve pour nous. Les têtes de l’hydre sont nombreuses et comme dans le mythe ont tendance à repousser plus nombreuses quand on les tranche.

Non seulement des populations, en Syrie et en Irak, souffrent déjà du joug barbare que leur imposent ces combattants venus du monde entier, et dont la drogue, semble-t-il, comme le captagon, redouble la ferveur meurtrière, mais c’est encore ici même, à l’intérieur des pays occidentaux que par le truchement de Français de fraîche date de culture musulmane, ou de convertis, que se profile le risque d’attentats ou d’attaques violentes.

Il ne s’agit pas de céder à la paranoïa ou à une quelconque loi des suspects, et il faut se garder de la tentation de faire de l’antiterrorisme une politique de contrôle général des populations.

Mais il faut dans le même temps comprendre que la guerre est déclarée et qu’elle ne sera sans doute pas moins longue que la guerre froide contre le bloc communiste.

Se pose donc aussi le problème de la défense que l’on met en œuvre face à des phénomènes comme l’EI, la Libye, ou Boko Haram.

Notre système de défense est actuellement inadapté. Il faut imaginer autre chose pour contrer ces phénomènes de guerre asymétrique.

La dissuasion nucléaire et les armements lourds ne sont pas d’un grand secours dans ces circonstances.

Ce sont principalement les forces spéciales et les moyens de surveillance qui doivent être développés.




L’État islamique

L’apathie de la communauté internationale devant les crimes et massacres commis en Irak et en Syrie est stupéfiante.

L’ONU, par exemple, qui a dépêché une commission depuis 2011 pour enquêter sur les faits de guerre dans le conflit syrien, n’a par ailleurs toujours pas adopté de position commune sur le sort fait aux minorités par l’Etat islamique, notamment les Yazidis et les chrétiens.

Les Américains sont intervenus en bombardant les positions ennemies pour soutenir des Kurdes débordés, de leur propre chef.

Saine et nécessaire intervention, certes. Mais où sont les mandats de l’ONU ? Va-t-on attendre qu’il n’y ait plus un chrétien vivant dans ces terres-ci pour condamner et réagir ?

En réalité, cette étrange situation ne concerne pas que l’Irak malheureusement, mais une grande part du monde arabe, jusqu’à la Libye, et même une partie de l’Afrique noire, avec les Shebabs de Somalie, et Boko Haram au Nigéria.

Il importe de dire haut et fort,enfin, que ces mouvements terroristes ne sont pas nés ex nihilo, ni ne se financent tout seuls.

Pour remédier à cette situation,l’ONU et les instances internationales en général seraient avisées de se souvenir du précédent de l’apartheid d’Afrique du Sud : nombre de pays arabes actuels traitent leurs minorités exactement comme le faisait le régime d’apartheid.

A l’époque, l’ONU avait voté des déclarations et résolutions qui qualifiant le régime d’apartheid de « crime contre l’humanité » – comme l’adoption en 1973 de la Convention internationale pour l’élimination et la répression du crime d’apartheid – permirent d’isoler le pays sur la scène internationale pour provoquer son écroulement final.

Cette technique du boycott a fait ses preuves : on se demande ce que le monde attend pour l’appliquer aux trop nombreux régimes qui financent aujourd’hui le djihadisme.




Crise Ukrainienne

Nous sommes en 14, mais de quel siècle ?

Face à l’affaire ukrainienne, on peut s’interroger :s’agit-il du XXème ou du XXIème ?

En effet, en 1914 l’Europe s’embrasait par un subtil et pervers jeu d’alliance à la suite d’une sombre affaire balkanique et se déclarait à elle-même cette première guerre qui avant d’être mondiale fut une dramatique guerre civile, dont le résultat fut l’effondrement des grandes puissances européennes, la perte de leur influence et de leur rayonnement, et l’émergence de l’imperium illimité des Etats-Unis.

Aujourd’hui, c’est avec cette Russie dont l’histoire politique et culturelle, civile et religieuse témoigne de l’intégration dans la civilisation européenne que le Vieux continent menace de rompre des liens séculaires, par aveuglement ou par ineptie géopolitique.

Il est de la responsabilité des grands dirigeants du monde européen d’y réfléchir à deux fois avant que de s’aligner uniment sur les positions de l’ONU et des Etats-Unis. L’histoire ne pardonne pas deux fois la même erreur – si tant est d’ailleurs qu’elle nous ait pardonné la première.

Le premier devoir des Européens,s’ils veulent exister en tant que puissance, est le discernement.

Quel est aujourd’hui l’ennemi, celui qui menace intrinsèquement la stabilité,l’équilibre, l’harmonie et à terme l’existence de l’Europe, ce continent aux racines judéo-chrétiennes et à la double personnalité orientale et occidentale ?

Certainement pas les Russes ou Vladimir Poutine :aujourd’hui, l’ennemi de l’Europe, c’est évidemment d’abord l’islamisme radical dans son expression politique, démographique et surtout terroriste. Et sous un angle économique et civilisationnel, l’Inde ou la Chine dont la volonté d’expansion ne nous fera pas de quartier.

Les raisons de la crise ukrainienne touchent bien entendu aux difficultés de maturation d’une identité propre à un peuple, mais aussi à notre incapacité à nous mettre autour d’une table avec la puissance russe pour discuter diplomatiquement.

Le drame du vol de la Malaysia Airlines, même si l’on en ignore encore les responsables, démontre qu’à trop tarder à agir, on risque l’enlisement dans une sale guerre.

Les institutions européennes actuelles restent pendantes sur les questions de politique étrangère et de défense.

Chacun tire à hue et à dia, et manifestement, les intérêts immédiats de l’Allemagne ou de certains pays d’Europe centrale ne sont pas les mêmes que ceux de la France vis-à-vis de l’Ukraine et de la Russie.

Est-ce une raison pour ne pas initier une politique européenne et attendre que finisse le face-à-face Poutine-Obama ?

Non, l’Europe, du fait de sa proximité géographique et culturelle avec la Russie doit enfin devenir son premier interlocuteur dans ces « marches » que sont l’Ukraine ou la Biélorussie.

Le sentiment antirusse développé par certaines de nos élites, au motif que la grande nation ouralienne ne répondrait pas aux stricts critères démocratiques n’a pas sa place dans cette politique et dans ces négociations.

L’Europe doit participer activement à l’élaboration d’une fédération ukrainienne, solution qui s’impose évidemment.

Conférer de l’autonomie à la Crimée comme à d’autres territoires, notamment en suivant les lignes de partage des langues maternelles des populations est notre affaire, avec la Russie, bien plus que celle de l’administration de la Maison blanche.

L’Europe a beaucoup à partager avec son voisin russe, ne serait-ce qu’au point de vue de l’héritage culturel, religieux, littéraire et artistique qui nous est commun.

Nous avons du mal à nous comprendre avec la Russie de Vladimir Poutine : ce n’est certainement pas notre seule faute.

Poutine est-il un le si grand stratège que l’on dépeint ?

Au-delà de ses manifestations de force, hier en Géorgie, aujourd’hui en Ukraine, qu’elles soient à visage découvert ou masquées, il ne faut pas oublier que le dirigeant russe a besoin de mener une politique étrangère forte pour faire oublier à son peuple son échec interne.

Ainsi,l’économie russe actuelle ne se porte pas bien : Poutine a certes mis au pas les oligarques qui avaient prospéré sous Elstine, mais ça a été pour les remplacer par d’autres, aux ordres du Kremlin, mais qui perpétuent tout de même l’image d’une société à deux vitesses où une minuscule élite nargue un peuple toujours pauvre, désencastré de l’économie mondiale, à la démographie toujours faible et à l’espérance de vie pitoyable.

De même, le fantasme d’une Russie homogène culturellement et religieusement est à déconstruire : les banlieues de Moscou sont pleines de ressortissants des Républiques musulmanes d’Asie centrale et si Poutine joue le matador face au péril islamiste, arguant de la lointaine expérience russe avec les Tatars, il n’est pas interdit de croire que la Russie très chrétienne se réveille demain avec des apprentis-terroristes sur son sol, ou tout simplement avec des minorités revendicatives.

Et la très puissante manifestation du racisme en Russie, couplée à un mépris, pour le moins, vis-à-vis des personnes homosexuelles, ne plaide pas en faveur de l’harmonie sociale.

La Russie, enfin, reste extrêmement dépendante de son économie d’exportation de matières premières,principalement dans le domaine des hydrocarbures et des minerais. La richesse de ses sous-sols, incontestable, a tendance à écraser le reste des secteurs économiques et met le pays à la merci des variations de prix mondiales, comme la crise de 2007-2008 l’a prouvé.

Tous ces paramètres que nous venons d’énumérer doivent être pris en compte, ensemble, par les Européens s’ils veulent pouvoir penser une nouvelle relation, apaisée et ferme, avec le grand voisin aux 140 millions d’habitants.

Certainement, la Russie est un pays qui fait montre d’un fort nationalisme : mais est-il finalement plus puissant et plus agressif que celui des Etats-Unis, de la Chine ou de l’Inde ?

La question ne se situe pas précisément ici en fait, mais plutôt dans la capacité que nous avons à appréhender cette semi-étrangeté que constitue pour des Européens centraux et de l’ouest cet immense continent, et globalement tout le monde historiquement orthodoxe.

Héritier de Byzance, de la Grèce autant que des Khanats mongols, l’espace civilisationnel russe nous est comme un cousin lointain, plein de ressemblances qui parfois sont des pièges pour ce qu’elles recèlent de différences latentes.

Mais ce cousin nous est peut-être aussi proche finalement que le cousin américain : nous nous ressemblons, notamment dans le façonnement historique par le christianisme, mais nos christianismes eux-mêmes sont différents.

Nos espaces géographiques sont foncièrement antithétiques et partant le rapport des population à la géographie : comme les Américains, les Russes sont les conquérants de grands espaces sauvages et rudes, à la différence des Européens qui habitent un jardin parfaitement ordonné et domestiqué.

Nos mœurs sont différentes et pourtant elles se rejoignent dans une certaine idée de l’universel, de l’homme,des rapports familiaux, de la place donnée à la femme et, dans la théorie au moins, dans notre compréhension des droits de l’homme.

La Russie demeure un voisin sauvage mais qui s’est aussi constitué depuis deux siècles en empruntant des traits déterminants à la culture européenne.

Ainsi, deux urgences s’imposent à la politique étrangère européenne et à sa diplomatie : la première, calmer la tendance « paranoïaque » russe actuelle, persuadée que l’occident en général veut sa destruction ; la seconde, marquer fermement les limites de l’influence russe, notamment en Ukraine.

Ces deux préalables sont les conditions sine qua non pour que se réveille la politique étrangère européenne,c’est-à-dire qu’elle redevienne indépendante et forte, non pour asseoir une illusoire puissance, mais pour perpétuer la paix là où elle existe encore dans le monde.