Charles Millon : « J’appelle Le Pen, Zemmour et Pécresse à construire un programme commun »

L’ex-ministre a un plan : enjamber la présidentielle et construire « l’union de la droite » aux législatives, pour pousser Emmanuel Macron à la cohabitation. Un voeu pieux ?

Les politiques ont l’art de voir dans les situations les plus désespérées des opportunités. Charles Millon, ministre de la Défense de Jacques Chirac entre 1995 et 1997, n’a plus de mandat depuis vingt ans mais il a toujours le virus. Et le septuagénaire a une idée pour « redonner de l’espoir » à l’électorat de la droite : ignorer la défaite probable à la présidentielle… et tout miser sur les élections législatives qui auront lieu, sauf dissolution de dernière minute, les 12 et 19 juin 2022.  

Sur le papier, le « plan Millon » est implacable : Marine Le Pen, Eric Zemmour et Valérie Pécresse élaborent un programme commun « dans les trois semaines qui viennent », se répartissent les circonscriptions et font mordre la poussière à Emmanuel Macron, dont les députés, pense-t-il, manquent d’implantation. Ainsi, même réélu, le président serait acculé à la cohabitation. Les idées de droite gouverneraient à nouveau.

Quand on lui rappelle que Valérie Pécresse a exclu plusieurs fois et sans la moindre ambiguïté cette hypothèse, Charles Millon ne se démonte pas. Il en appelle immédiatement à Bruno Retailleau, François-Xavier Bellamy et Eric Ciotti, qu’il estime plus sensibles à « l’union de la droite » qu’il veut monter. L’ancien ministre, qui reste en contact à la fois avec Eric Zemmour et avec Marine Le Pen, se propose de jouer les entremetteurs entre ces droites qui ne se parlent pas ou plus. Ou alors « la droite n’est pas prête de revenir au pouvoir », prophétise-t-il. 

L’Express : En fin d’année 2021, on vous a annoncé proche d’Eric Zemmour. Qu’en est-il aujourd’hui ?  

Charles Millon : Je soutiens l’union de la droite. Nous sommes face à une situation inédite et paradoxale : les Français n’ont jamais été autant à droite et pourtant nous pourrions perdre l’élection présidentielle. J’appelle donc Eric Zemmour, Marine Le Pen et Valérie Pécresse à se parler avant le premier tour, afin d’élaborer un programme commun en vue des élections législatives….

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Propos recueillis par Étienne Girard
Publié le 21/03/2022 à 17:24
 

 

 

 

 




Charles Millon : « Eric Zemmour est arrivé au moment où il fallait »

Figure de la droite hors les murs, l’ancien ministre de la Défense porte un regard bienveillant sur le polémiste. Il juge que la recomposition politique n’est pas terminée.

Il a le sentiment d’avoir été un précurseur. Pionnier de l’union des droites aux régionales de 1998, Charles Millon avait été exclu de l’UDF pour avoir emporté la présidence de Rhônes-Alpes grâce aux voix du Front national. 23 ans plus tard, Eric Zemmour tente d’opérer l’union des droites par la base, agrégeant des anciens électeurs de François Fillon et de Marine Le Pen

Soutien de l’ancien Premier ministre en 2017, Charles Millon n’avait pas appelé à voter Emmanuel Macron au second tour de scrutin. L’ancien ministre de la Défense, apôtre d’une droite libérale et conservatrice, porte un regard bienveillant sur la candidature d’Eric Zemmour. Cette figure de la « droite hors les murs », fondateur de L’Avant-Garde en 2015, ne lui apporte pas (encore) son soutien. « Je suis en phase avec le point central du discours d’Eric Zemmour », confie-t-il toutefois. Son regard est plus sévère sur les trois favoris du Congrès LR, incarnation d’une « droite conformiste ». Entretien. 

L’Express : Les adhérents LR choisiront en décembre leur candidat à l’élection présidentielle. Vous avez soutenu la candidature de François Fillon en 2017. Que vous inspire cette compétition ? 

Charles Millon : Tout cela est terne. Le discours des candidats LR est convenu. Ils incarnent une droite institutionnelle, qui a peur d’elle-même et des mots. Cette droite manque de convictions, elle est conformiste. Ils commencent à peine à parler d’immigration car les Français le réclament, alors que le sujet est posé depuis près de trente ans. Je défendais le concept d’assimilation dès les années 70.  

Lors du premier débat télévisé, Éric Ciotti est toutefois sorti du lot. C’est le seul qui dit ce qu’il pense au lieu de dire ce qui est « convenable ». Les autres ne parlent pas assez de la France. 

Vous venez de Rhône-Alpes, la candidature de Michel Barnier ne vous emballe pas ? 

Il est tellement lisse. Il a opéré un revirement récent sur l’immigration et l’Europe. Ce n’est pas crédible. Il a été au coeur des institutions européennes pendant dix ans. Cette politique est aujourd’hui contestée par les électeurs, y compris par les autres candidats de droite. Sans juger de sa sincérité, on ne peut pas être un personnage multiple. 

Vous incarnez une droite libérale et conservatrice. Le congrès LR est-il orphelin de cette ligne, portée au sein de LR par Laurent Wauquiez et Bruno Retailleau ? 

Je ne comprends pas leur renoncement. C’était leur heure, surtout celle de Wauquiez. Il a dirigé Les Républicains avant d’être mis sur la touche en raison des idées qu’il professait. Mais ces idées sont devenues centrales à droite ! En conséquence, Éric Ciotti préempte cette ligne politique. Il n’a pas le même statut que les trois favoris, mais son discours parle à la droite. 

Il y a un décalage entre l’offre politique de LR et les attentes de l’électorat de droite. En outre, on ne comprend plus ce mur installé entre ce que l’on appelle « l’extrême droite » et la droite classique. Ce mur n’existe dans aucun pays au monde, sauf en France. Il a été installé par François Mitterrand puis Jacques Chirac. Il n’a pourtant jamais été institué entre le PS et le Parti communiste, allié à une époque avec l’URSS. Il y a des idées inacceptables que l’on entend parfois au RN, mais établir un mur absolu n’a pas de sens.

Eric Zemmour tente aujourd’hui de casser ce mur. Près d’un quart des électeurs de François Fillon en 2017 sont tentés par un vote en faveur du polémiste. C’est votre cas ? 

Eric Zemmour répond à un besoin : celui de l’expression d’un certain nombre de jugements et d’analyses qui correspondent à la réalité. Quand il dit que la France doit rester une communauté nationale avec les mêmes idéaux et convictions, il a raison. Il est contre une société communautarisée, moi aussi. Je suis en phase avec le point central du discours d’Eric Zemmour. 

Sur le plan économique et social, il a repris un discours de la responsabilité et d’autonomie de la personne. C’est le discours classique des conservateurs sociaux-libéraux. Mais ce discours était étouffé par un discours technocratique en France et en Europe. 

Quand il affirme que la France est menacée de guerre civile, vous souscrivez à son analyse ? 

Le mot est un peu fort. Le pays est menacé de tensions intracommunautaires qui sont préoccupantes. On le voit dans un certain nombre de quartiers et de cités. Il faut une assimilation dans la communauté nationale de ceux qui viennent sur notre territoire. A défaut, la France va se morceler. Cela ne correspond pas à notre histoire.

Vous voterez pour Eric Zemmour en 2022 ?

On est à six mois de l’élection présidentielle, c’est trop tôt. Je suis avec intérêt ce qui se passe. Le moment venu, je prendrai position. J’ai plus le profil d’un joueur que d’un arbitre. 

En 2016, vous disiez sur TV Libertés; : « Il faut que le FN accepte de s’ouvrir aux dialogues avec d’autres formations politiques. [Et que] les autres formations politiques acceptent de dialoguer avec le Front national. ». Eric Zemmour n’est-il pas en train d »opérer cette union des droites, mais par la base ? 

Oui. C’est d’ailleurs la raison de son succès. Il est respectueux de tous les courants de la droite. Il expose les idées, mais n’a pas d’a priori. Certains candidats à la présidentielle disent « ça, jamais! » mais pourquoi ? Quand une idée est portée par un parti classique, on l’accepte. Quand elle est portée par le RN ou par Eric Zemmour, on la rejette par principe.  

Aujourd’hui, les électeurs de Fillon, du FN, de la droite hors les murs réalisent cette union des droites que les appareils ne veulent pas faire. Cela oxygène la vie politique et on va sortir d’un système qui favorise les extrêmes. Quand on rejette les gens par principe, on les extrémise naturellement. Prenez la Grande-Bretagne, pays avec un mode de scrutin à un tour. Il y a la gauche et la droite. Ces deux camps ont absorbé l’extrême gauche et l’extrême droite. Ce pays est un pays d’équilibre depuis des décennies. Nous faisons l’inverse : on cajole les extrêmes en les excluant au lieu de dialoguer avec eux pour prendre ce qu’ils ont de bon et enlever ce qui est mauvais. 

Certaines idées portées par Eric Zemmour ou le RN vous semblent inacceptables ? 

D’une façon générale, dans ma vie politique j’ai toujours refusé l’outrance et celle-ci n’a jamais été de mon fait. J’ai toujours rejeté tout ce qui touche à la dignité de la personne. Si tel était le cas un jour, je le ferais savoir

Après votre exclusion de l’UDF, vous avez fondé le mouvement « La droite », devenu « La Droite libérale-chrétienne. » Dans son ouvrage « Le livre noir de la droite », Eric Zemmour le décrivait ainsi : « Le premier parti de l’ère moderne, car bâti non plus contre les patrons, ni contre les ouvriers, mais contre les médias. Leur dictature moralisatrice, leur mépris de classe, leur unanimisme érigé en tyrannie du prêt-à-penser. ». Établissez-vous un parallèle entre vos parcours ? 

Ce n’est pas un parallèle. C’est un prolongement. Eric Zemmour est arrivé au moment où il fallait. Le monde politique français est en train de nourrir l’abstention, car il est tombé dans l’entre-soi. Quand les gens évoquent leurs problèmes, on les taxe immédiatement d’extrémisme. On l’a vu avec les gilets jaunes, qui ont été injuriés. Eric Zemmour affirme la réalité à sa manière, cela explique son succès. C’est la suite logique de ce qui s’est passé en 1998.  

Eric Zemmour affirme publiquement vouloir coaliser un électorat populaire et bourgeois.
Cela vous semble possible ?
 

Je ne suis ni communautariste ni sociologue. Quand je me présente à une élection, je ne regarde pas le statut social des gens. Je présente mes diagnostics et mes solutions. Quand il dit cela, c’est le Zemmour journaliste qui ressort par rapport au Zemmour politique.  

Il fait le pari que le sujet économique ne sera pas central en 2022… 

L’économie est passée au second rang. Le problème de la France n’est pas économique, il est de savoir qui on est. C’est quoi être Français ? Quel est le rôle de la France ? A force d’avoir oublié ces questions, on ne s’est intéressé qu’aux problèmes de ces techniques économiques. Il y a une envie de récit national, à droite comme à gauche d’ailleurs.  

Lors des années 90, vous qualifiez Jean-Marie Le Pen de « fasciste des années vingt égarés dans notre temps ». Quand Zemmour dépeint Pétain en sauveur des juifs français ou jette le soupçon sur l’innocence du capitaine Dreyfus, vous n’avez pas envie de transposer cette analyse au polémiste ? 

La vie politique française n’est pas l’analyse sociologique ou philosophique de l’histoire de France. Je ne suis pas emballé par ces retours sur l’histoire. Des gens sont chargés de cela. Eric Zemmour a une démarche fine sur ces sujets, mais elle n’est pas faite pour le débat public.  

Vous êtes l’apôtre d’une droite libérale et conservatrice. Elle a été incarnée par François-Xavier Bellamy lors des européennes de 2019. Elle n’a récolté que 8,5% des voix… 

Elle n’était pas assez transgressive, notamment sur l’immigration. J’aime beaucoup François-Xavier Bellamy, mais c’est un intellectuel. Il faut en politique des gens qui cassent la baraque. Je ne tire pas de conclusions politiques à long terme de cet échec des Européennes. Le courant de la droite conservatrice, libérale et d’inspiration chrétienne occupe la moitié de l’espace.  

Vous souteniez François Fillon en 2017. Il n’a pas d’héritier politique à droite ? 

Il incarne le début ce que termine Zemmour. Il a commencé à réunir différentes droites qui étaient chacune dans leur couloir. Il ne s’est pas enfermé dans la droite gaulliste comme l’a fait Juppé ou bonapartiste comme l’a fait Sarkozy. Zemmour profite de ce que Fillon a commencé. 

La droite est aujourd’hui menacée de défaite à la présidentielle. Si elle se confirme, ne pourrait-on pas assiste au retour d’un nouvel « UDF macroniste » et d’un nouveau RPR qui engloberait une partie de LR et du RN ? Les deux partis seraient cette fois adversaires… 

Je ne crois pas. Je pense qu’on va aller vers une évolution à la britannique. Un grand parti conservateur pourrait intégrer toutes les sensibilités de droite et un grand parti de gauche. Si on ne va pas là, le débat politique continuera de se dégrader. Dans cette équation, je place Emmanuel Macron à gauche. C’est un homme de gauche. La droite, c’est l’enracinement, le respect de la dignité de la personne, l’équité… Macron n’est pas de droite. 

Paul Chaulet

L’Express du 13/11/2021