Charles Millon : Comment l’Europe va t’elle assumer sa future défense ?

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Charles Millon : Comment l’Europe va t’elle assumer sa future défense ?

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Géopolitique et Arabie Saoudite

Le royaume des Séoud est revenu depuis deux ans au cœur des grandes manœuvres géopolitiques mondiales.

En réalité, l’Arabie saoudite est en conflit, sur tous les plans.

Tout d’abord sur le plan économique, elle mène une « sorte de guerre du pétrole » elle a engagé une partie de bras de fer non seulement avec les Etats-Unis, mais aussi avec le Canada, l’Iran et la Russie.

Elle a délibérément laissé grand ouvert le robinet du pétrole et du gaz pour étouffer toute concurrence, notamment celle venue des gaz et pétrole de schiste en Amérique.

Elle y a en partie réussi.

Alors que la demande baisse, à cause notamment de la chute de la production chinoise, l’Arabie saoudite surproduit.
Peu lui chaut, elle a encore les reins solides, et même si la chute des cours représente pour elle-même une baisse conséquente de ses revenus, menaçant à moyen terme son système social qui repose entièrement sur les ressources d’hydrocarbures, elle dispose pour le moment de liquidités suffisantes pour se maintenir.

Mais les conséquences de cet « anti-choc pétrolier » se font ressentir dans le monde entier.

Certains producteurs significatifs comme le Nigéria ou le Vénézuela souffrent.
Et ils disposent de très peu de moyens d’influence sur le géant arabe.

Conflit militaire, ensuite, particulièrement celui qu’elle mène avec quelques alliés sunnites, de façon tout à fait illégale d’ailleurs, sans que personne ne s’en émeuve, au Yémen contre les Houthis, dont le seul tort est d’être soutenus par l’Iran.

D’ailleurs dans ce conflit sunnites/chiites, l’Arabie saoudite avait participé il y a quelques années à la répression menée à Bahrein dans le plus grand silence médiatique, Bahrein où la famille sunnite régnante doit composer avec un peuple majoritairement chiite.

Enfin, c’est une nouvelle politique d’influence que développe l’Arabie saoudite.

Elle s’est traduit récemment par son refus de financer l’armement des forces libanaises, et ce pour protester contre l’intervention du Hezbollah aux côtés du régime de Bachar El Assad en Syrie.

Elle s’est concrétisée au travers d’investissements massifs – à hauteur de plusieurs milliards de dollars – chez le voisin égyptien, dont le président, le maréchal Sissi, est remercié pour avoir chassé les Frères musulmans du pouvoir.

Frères musulmans qui, tout comme l’Etat islamique, contestent la suprématie du pouvoir wahhabite saoudien sur les lieux saints.

En fait, l’Arabie Saoudite est aujourd’hui en conflit feutré ou déclaré avec à peu près tout le monde, sauf bien entendu avec les pays qu’elle a vassalisés, ou avec les Occidentaux à qui elle vend du pétrole, et chez qui elle place les dividendes de ses rentes financières colossales.

En conflit bien entendu avec tout ce qui est chiite, ou suspect d’hétérodoxie pour ces sunnites ultraconservateurs : Iran, Yémen, Syrie alaouite, Hezbollah libanais, forces irakiennes chiites…

En conflit avec les Frères musulmans, qu’elle a aidé à écarter du pouvoir en Tunisie et en Egypte.

En conflit contre les salafistes-djihadistes de l’Etat islamique, en Irak-Syrie comme en Libye.

En rivalité constante avec les émirats du Golfe, le Qatar en tête.

Seule alliance nouvelle, et particulièrement inquiétante sur le plan géopolitique, celle que l’Arabie saoudite a nouée avec la Turquie de M. Erdogan.

Une alliance née de la situation syrienne, où chacun des deux grands pays compte avancer ses pions, la Turquie pour bénéficier d’une profondeur stratégique, et prête à annexer de facto une partie du territoire, mais surtout pour empêcher la constitution d’un véritable Etat kurde ; l’Arabie saoudite pour contrer l’influence grandissante de l’Iran qui organise, aux côtés des Russes, la reconquête du pays par les forces du régime, ralliant alaouites, kurdes, chrétiens et Hezbollah libanais.

Cette alliance de circonstance peut néanmoins achopper sur quelques points : la Turquie soutient les Frères musulmans, et ne considère toujours pas le Maréchal Sissi comme un interlocuteur valable en Egypte.

Par ailleurs, une alliance anti-chiite risquerait de l’emmener trop loin, alors qu’elle a besoin de garder des rapports apaisés avec son voisin iranien, qui partage des centaines de kilomètres de frontière avec elle.

Quoiqu’il en soit, face à la situation syrienne, Turquie et Arabie saoudite collaborent sur le terrain, envisageant même d’envoyer des troupes au sol.

L’incohérence des chancelleries occidentales ne fait qu’ajouter au chaos qui menace tout le Proche-Orient.

La France notamment, dont le président François Hollande a décoré discrètement un prince saoudien récemment, ne dit rien devant l’ingérence grandissante du royaume dans la région, et en particulier sur la « guerre sale » du Yémen qui aurait fait déjà plus de 6000 morts.

Ceci s’explique en partie par ses liens commerciaux avec les pétromonarchies du Golfe.

Ainsi donc, ces tensions qui embrasent le Proche-Orient et dans tout le monde arabe, risquent de provoquer plus qu’une guerre régionale, un conflit international où se trouvent impliquer déjà la Russie, Les Etats Unis, la France et la Grande Bretagne.

Entre Arabie saoudite, Iran et Turquie, bien malin qui saura dire aujourd’hui qui prendra le leadership de la région.

Mais l’on est en tout cas forcé de constater que le royaume protecteur de Médine et de La Mecque s’est aventuré depuis quelques années dans une politique extrêmement agressive.

Pour l’instant l’Arabie saoudite a été peu touchée par le terrorisme.

Pourtant tiendra-t-elle longtemps économiquement avec des cours du pétrole si bas ?

Sa population est-elle prête à accepter la diminution de ses allocations et subventions ?

Les rigoureuses lois wahhabites, notamment vis-à-vis des femmes, des homosexuels ou des « blasphémateurs » satisferont-elles longtemps encore ce peuple ?

Ces questions se posent. Enfin, à se faire haïr ainsi par la moitié de la planète, le royaume saoudien s’est aventuré sur une mauvaise pente.

D’autant qu’il partage avec les USA certaine responsabilité dans la création et le développement de mouvements salafistes ou djihadistes.

Un retournement de situation, pourrait faire que des terroristes frappent un jour sur son sol.

Enfin, la politique générale de l’Arabie saoudite se caractérise par son repli sur soi.

Elle ne prend ainsi que très peu part à l’accueil des réfugiés de Syrie et d’Irak, leur préférant les travailleurs migrants du sud-est asiatique.

Aujourd’hui la politique menée par l’Arabie Saoudite est source d’instabilité permanente et provoque un climat de tension préoccupant pour la Région toute entière.

Charles Millon
Ancien Ministre de la Défense
Président de l’Avant Garde




Brexit, causes et conséquences

De ce « Brexit » qui a sonné le glas de la vieille Union européenne, les causes ne sont pas financières et économiques d’abord, contrairement à la légende que voudrait répandre la vulgate au pouvoir ; mais elles sont essentiellement culturelles, civilisationnelles, et identitaires. Et institutionnelles surtout.

Ce vote dit le refus de l’Union européenne, en tant qu’elle dénie depuis toujours le principe de subsidiarité, en tant qu’elle repose sur une coalition d’intérêts bureaucratiques, normatifs et égalitaristes dans le pire sens du terme.

En tant qu’elle est une entreprise de négation du caractère propre de chaque pays, de chaque nation, de chaque peuple.
Ce vote du petit peuple anglais, celui des yeomen, les anciens hommes libres, est aussi l’expression du refus de la domination des puissances économiques en Europe.

De cette drôle Europe qui surveille sans protéger : qui n’est jamais là où il faut, ni sur le front de l’immigration, ni dans les relations internationales, avec le Proche-Orient, avec l’Afrique, avec l’est de l’Europe et la Russie.

Nos maîtres ont brandi des arguments matérialistes : en face d’eux se dressait l’âme de l’Angleterre.

Et c’est un gigantesque bras d’honneur qui a été fait à MM. Schulz, Tusk, Verhofstadt, Draghi et à leur nouveau TINA, There is no alternative.

Le peuple anglais a montré à la face du monde qu’il n’y a rien d’écrit d’avance, rien d’inéluctable.

Dans leur idéologie, les dirigeants de l’UE croyaient que leur domination durerait toujours.

Ils en sont pour leurs frais. Aujourd’hui, ils essaient de punir le peuple anglais, de façon encore une fois scandaleux.

Comme si l’on était à l’école, prouvant ainsi que leur Europe a été bâtie contre les peuples.

Voulant soi-disant éviter la dislocation, ils tentent d’accélérer le processus de séparation avec le Royaume.

Mais c’est ainsi qu’ils risquent de produire le contraire de ce qu’ils souhaitent, et provoquer cet éclatement.

Bâtir la vraie Europe demain, celle que nous appelons de nos voeux depuis tant d’années, ce sera enfin renoncer au modèle jacobin français qui a été imposé à l’UE et aller vers un « girondisme », une confédération à la suisse, qui respecte les peuples, leurs coutumes, et la subsidiarité.

Des patries libres dans une Europe libre.

Charles Millon
Ancien ministre de la défense
Président de l’Avant-Garde




Pour en finir avec la présidentielle spectacle

L’observateur attentif de la vie politique internationale, le Persan de notre temps, pourrait légitimement s’étonner d’une exception française qui n’est pas, selon nous, des plus glorieuses contrairement aux apparences : parmi toutes les grandes démocraties avancées de la terre, notre pays est le seul qui continue d’élire un président de la république au suffrage universel direct, cet héritage gaulliste lui conférant naturellement une somme de pouvoir écrasante.

Qu’on en juge : en Allemagne c’est la chancelière qui gouverne l’exécutif, au Royaume-Uni le premier ministre, de même en Italie, en Espagne, en Belgique, au Japon.

Aux États-Unis où le régime est présidentiel, le chef de l’État est élu selon un suffrage indirect.

Il n’y a guère que la Russie, la Turquie, la Chine et la majorité des États africains qui connaissent une constitution similaire à la nôtre, où l’exécutif est presque entièrement rassemblé dans les mains d’un homme ou d’une femme qui n’est pas responsable devant le Parlement tout au long de sa mandature.

Il serait temps, alors que la France est manifestement bloquée, de s’interroger sur les vertus et les vices de notre constitution née en 1958, au plus fort de la guerre d’Algérie.

Est-elle encore adaptée à notre temps ?

Notre régime ressemble à celui des démocraties émergentes.

Peut-on légitimement, et sans forfanterie, classer la France, plus de deux cents après la Révolution française, parmi les pays à la démocratie balbutiante ? Soyons sérieux.

Le Général de Gaulle, on le sait, a taillé un trop grand costume pour ceux qui lui succèderaient.

Quoi qu’on puisse lui reprocher par ailleurs, et nous n’avons jamais été de ses émules, lui-même avait un sens de la grandeur qui justifiait au milieu des événements historiques dont il fut un éminent protagoniste qu’il endossât ce rôle.

Mais quand Bonaparte abdiqua, nul ne songea à conserver le fonctionnement de l’Empire, car nul n’était à la hauteur. Il en est, mutatis mutandis, de même pour nous aujourd’hui.

Nous en sommes arrivés à cette situation ubuesque où un président sourd aux plaintes de son peuple, et aveugle devant la déchéance de son pays, continue impunément de vanter sa politique à la télévision.

Lui-même n’est responsable devant personne. Il change son premier ministre quand il le veut et s’il le veut.

Les parlementaires sont aux ordres et votent comme un seul homme selon ce que le chef de l’Etat réclame.

Nul n’est plus responsable de rien, et les Français, qui aiment, on le comprend, le rendez-vous quinquennal qu’on leur donne, mais qui l’aiment comme on aime une grande compétition sportive où les paris vont bon train, mais où la vraie vision politique s’efface derrière le spectacle de personnalités égotiques, sont dépossédés en réalité de toute influence sur le cours du pays.

A la fin, nous nous retrouvons lotis de candidats qui ont déjà passé leur tour, anciens premiers ministres, anciens présidents de la République qui, toute honte bue, briguent à nouveau les suffrages de leurs compatriotes, espérant jouir une fois encore des ors du pouvoir.

Quelle autre grande démocratie supporterait cela ?

Non, il nous faut revenir à un réel régime parlementaire, qui n’est pas un régime faible contrairement à ce que l’on veut nous faire croire, mais un régime de vraie démocratie participative, décentralisée, où le citoyen dispose encore de quelque pouvoir.

Charles Millon

Ancien ministre de la défense




Charles Millon : qui est vraiment Daech ?

FIGAROVOX/TRIBUNE – Au lendemain des attentats de Paris, l’ancien ministre de la Défense Charles Millon pose les enjeux de la lutte contre l’Etat islamique. Quelle est son étendue ? Quels sont ses alliés ? Des questions auxquelles il faudra répondre pour le combattre.

 

Charles Millon a été ministre de la Défense du gouvernement Alain Juppé, de 1995 à 1997.


Il existe aujourd’hui un consensus général et véritable autour de la nécessité pour la communauté internationale d’intervenir en Irak et en Syrie afin de mettre Daech hors d’état de nuire. Il n’était que temps.

Cependant, on ne peut que remarquer que les gouvernants des grandes nations du monde, parties prenantes des coalitions – Etats-Unis, France, Russie, Royaume-Uni – s’interrogent plus sur les modalités, sur la dimension à donner à ces interventions, sur les alliances à nouer ou à respecter, que sur l’objectif même de l’opération et sur la nature de l’ennemi.

Or, de nombreuses questions, dont les réponses devraient être des préalables se posent: s’agit-il d’une reconquête du territoire pris par Daech? Quelle négociation avec tous les groupes qui interviennent en Syrie et en Irak pour envisager à terme l’instauration d’une paix civile? Quelle est la dimension de la coalition? Va-t-elle se constituer sous l’égide de l’ONU? Y aura-t-il un pays coordonnateur de cette coalition? Qui la financera? Qui en assurera le commandement tactique? Est-il envisagé une conférence internationale pour définir les dimensions politique, économique et militaire de cette intervention? Et si oui, quel en sera le pays organisateur? Toutes ces questions sont pour l’heure en suspens, dans ce qui paraît une guerre artisanale, échafaudée au jour le jour, sans pensée stratégique.

Mais, avant même d’envisager cette phase, une autre interrogation, beaucoup plus profonde, se présente: celle de la définition de notre ennemi. Car l’objectif n’est au fond pas territorial, mais idéologique. A-t-on réellement mesuré ce qu’est Daech: un groupe religieux qui porterait des ambitions territoriales (à ce jour près de 300.000Km2 contrôlés en Irak et en Syrie), ou un groupe religieux qui porterait internationalement une idéologie totalitaire? A-t-on de surcroît analysé vraiment les liens que ce groupe a tissé avec d’autres idéologies ou d’autres familles de pensées proches? A ce sujet, il ne serait pas inintéressant de relire les textes de sociologues qui soulignaient dans les années 90 une certaine proximité idéologique entre l’islamisme révolutionnaire et le marxisme ; non plus que de se repencher sur les liens troublants qu’ont entretenus un certain nombre d’islamistes avec l’Allemagne nazie (cf. Jihad et haine des juifs. Mathieu Küntzel Editions du Toucan Septembre 2015).

Dans un cadre plus contemporain, on ne peut oublier les racines sunnites de Daech, qui expliquent l’inertie de l’Arabie saoudite autant que celle du Qatar, et leur répugnance à mener une action au sol contre l’Etat terroriste. Pis, l’Arabie saoudite, le Qatar et un certain nombre d’autres pays du Golfe persique ont constitué parallèlement une coalition contre les Houthistes chiites du Yémen, alors qu’ils sont totalement absents du combat contre Daech. Comment envisager la poursuite des relations commerciales sereines avec l’Arabie saoudite, le Qatar ou les EAU, tant que ne seront pas éclaircis les rapports qu’ils entretiennent directement ou indirectement avec Daech?

On ne peut non plus oublier l’attitude ambiguë de la Turquie sunnite qui privilégie les bombardements des Kurdes aux bombardements des positions de Daech.

Il faut ensuite penser plus largement, à l’échelle du monde, ces relations que Daech a nouées, non seulement avec les Frères musulmans, mais aussi avec les mouvements de Libye, du Nigéria, ou de Somalie.

Il ne s’agit pas d’être alarmiste. De toute façon, la guerre est déjà là. Mais la considérer seulement dans un cadre régional, la Syrie, et militaire, les bombardements, on prend le risque de s’aveugler sans voir s’organiser une nouvelle internationale porteuse d’une idéologie totalitaire qui ne craint pas à Palmyre ou ailleurs de faire sienne la formule des révolutionnaires Français «du passé faisons table rase».




Le Pape devant l’Europe et le monde

On aurait tort de recevoir les deux discours du Pape François le 25 novembre dernier, devant le Parlement européen et le Conseil de l’Europe, comme des allocutions anecdotiques et circonstancielles.

Tort aussi de penser qu’elle s’adressait exclusivement aux citoyens européens et à leurs représentant.

Le souverain Pontife y dessine une perspective géopolitique pour le monde entier,à charge pour les gouvernements et les institutions internationales de l’appliquer.

Certainement, le pape n’a toujours pas de divisions, selon le bon mot de Staline : cela n’empêche pas la diplomatie vaticane de demeurer l’une des plus influentes du monde, comme le premier pas vers une réconciliation entre Cuba et les Etats-Unis vient de le prouver.

C’est même sans doute cette absence de puissance matérielle, cette « politique de la faiblesse », qui constitue le cœur du succès de cette géopolitique catholique.

Les discours de François ont eu pour but, en effet, de rappeler aux instances européennes, mais aussi aux puissants du monde entier, la nécessité du recours à une vraie universalité pour parvenir à organiser autrement la planète.

Il s’agit selon lui de « maintenir vivante la réalité des démocraties est un défi de ce moment historique, en évitant que leur force réelle – force politique expressive des peuples – soit écartée face à la pression d’intérêts multinationaux non universels, qui les fragilisent et les transforment en systèmes uniformisés de pouvoir financier au service d’empires inconnus. »

Le pape conteste ainsi formellement la croyance, bien ancrée depuis plusieurs siècles dans l’esprit des occidentaux,et croyance que l’accélération de la mondialisation a décuplé ces dernières décennies, en une humanité que le seul « doux commerce » unirait et rendrait fraternelle.

C’est une critique adressée, certes, à l’union européenne actuelle qui s’est fondée sur une monnaie et un marché unique, au risque de détruire les économies nationales et locale, mais aussi aux grands ensembles prométhéens qui tentent de se constituer partout sur le globe, comme ce Traité transatlantique que négocient Europe et États-Unis : « On constate avec regret, affirme-t-il sans détours, une prévalence des questions techniques et économiques au centre du débat politique ». Ce qui induit selon lui une destruction générale des rapports humains.

Il ne faut pas considérer les paroles du Saint-Siège comme relavant seulement d’une question morale, que l’on pourrait admettre ou refuser de manière privée : elles ont aussi une portée générale, c’est-à-dire politique, et concernent à ce titre tout le monde.

Notamment quand il assure que l’on assiste à « une revendication toujours plus grande des droits individuels, qui cache une conception de la personne humaine détachée de tout contexte social et anthropologique, presque comme une « monade » (μονάς), toujours plus insensible aux autres « monades »présentes autour de soi », les implications sociales et politiques de cette situation, si elle est vraie, sont vertigineuses et dramatiques.

Dans le sens où l’on subit une dénaturation de la démocratie, non plus conçue comme ce régime capable de protéger les minorités, mais seulement comme une puissante machine à satisfaire les désirs uniformes des masses.

Ainsi, « si le droit de chacun n’est pas harmonieusement ordonné au bien plus grand, il finit par se concevoir comme sans limites et, par conséquent, devenir source de conflits et de violences » :ce que l’on constate notamment dans le développement planétaire de l’islamisme, dont l’État islamique constitue le cas d’école.

Liberté est donnée à une idéologie d’appliquer aveuglément ses conditions totalitaires, au détriment des minorités présentes.

« Quelle dignité existe vraiment, quand manque la possibilité d’exprimer librement sa pensée ou de professer sans contrainte sa foi religieuse ? », demande François.

Et la démocratie libérale déchue se trouve dans l’impossibilité de répondre à cet état de fait qui pourtant la nie complètement parce qu’elle a oublié qui elle était et d’où elle venait.

Le discours du Pape est éclairant, géopolitiquement, en tant qu’il arrive à lier harmonieusement vocation universelle de l’Europe et respect des identités.

« Je suis convaincu, dit-il, qu’une Europe capable de mettre à profit ses propres racines religieuses, sachant en recueillir la richesse et les potentialités, peut être plus facilement immunisée contre les nombreux extrémismes qui déferlent dans le monde d’aujourd’hui, et aussi contre le grand vide d’idées auquel nous assistons en Occident ».

Alors que le terrorisme islamique déferle partout, notamment en Europe, cet appel à une connaissance neuve de ce qui nous fonde exige une réponse.

Réponse non pas égoïste, d’un nationalisme qui se renfermerait derrière une identité pure fantasmée, mais réponse ouverte et constructive, généreuse, parce qu’« à côté d’une Union Européenne plus grande, il y a aussi un monde plus complexe, et en fort mouvement.

Un monde toujours plus interconnecté et globalisé, et donc de moins en moins « eurocentrique ».

La destinée de l’Europe, que l’on a tendance à oublier, est certainement de « prendre soin de la fragilité des peuples et des personnes », et de répondre « aux nombreuses injustices et persécutions qui frappent quotidiennement les minorités religieuses, en particulier chrétiennes, en divers endroits du monde ».

Mais voilà qui exige, au-delà des paroles, une intelligence de la situation géopolitique mondiale actuelle.

Par exemple, l’alignement complet de l’Europe sur la politique de puissance américaine répond-il à cette demande de complexité ?

Certainement non, comme les cas ukrainien, syrien et libyen l’ont montré.

L’acharnement unilatéral contre le régime de Bachar el Assad a durablement aveuglé nos gouvernants qui n’ont pas vu que derrière lui, et contre lui, il y avait pire ; la mise au pilori de Vladimir Poutine a réduit l’Union européenne au rang de valet pusillanime des intérêts américains en Ukraine ; l’attaque irréfléchie de Mouammar Kadhafi a in fine libéré des forces délétères dans toute l’Afrique que nous sommes maintenant incapables de contrôler.

Où l’on voit que l’oubli de la complexité du monde, et notamment des minorités qui le composent, comme les chrétiens d’Orient, la réaction épidermique et simplette sous l’aiguillon médiatique, sont des trahisons de l’esprit européen de mesure et de protection des faibles.

Les discours du Pape François, s’ils étaient écoutés et pris en compte, pourraient constituer l’amorce d’une reconstruction des rapports sociaux internes aux nations occidentales, où la subsidiarité, la question des limites seraient réellement prises en compte ; mais aussi d’une « nouvel ordre »du monde plus équilibré, et enfin réellement humaniste.

Publié par Charles Millon · 6 février 2015, 10:43




Proche-Orient et guerre du gaz

Le 26 août 2014 un accord de cessez-le-feu a été conclu après 50 jours de conflit qui ont fait plus de 2.140 morts et 11.000 blessés parmi les Gazaouis et 74 côté israélien, Palestiniens et Israéliens s’étaient donnés un mois pour reprendre les discussions concernant l’enclave palestinienne de la bande de Gaza.
Cinquante ans de tensions permanentes, plusieurs guerres, un flot d’horreur et le risque constant de voir s’embraser une région fébrile.
Peut-être sommes-nous face à un conflit dont l’ampleur dépasse largement ceux des précédentes décennies, et dans lequel l’Europe pourrait se retrouver entraîner, inexorablement et pour longtemps.
Ce conflit porte un nom : la guerre du Gaz. Car derrière la guerre – menée selon Israël contre le terrorisme à Gaza, et selon le Hamas contre le sionisme impérialiste – s’en dissimule une autre, moins médiatisée.
Un vent mauvais pourrait bien souffler pour longtemps dans ce « Levantin », antique zone de migration entre le continent africain et l’Eurasie,  qui part de l’Egypte et remonte jusqu’en Turquie ; il balayerait sur  son passage  les côtes de Gaza, Israël, Chypre, le Liban et  la Syrie. Rebaptisé « Levantine Energy Corridor » par les multi nationales pétrolières, cette partie Est du bassin Méditerranéen fait l’objet depuis plus d’une vingtaine années de recherches poussées en matière d’hydrocarbures.D’ importantes réserves de gaz et de pétrole y ont été découvertes au début des années 2000.

Trois grands bassins se dessinent : l’un au sud de Chypre, l’autre au large du Liban et de la Syrie, le dernier au large de la bande de Gaza et d’Israël. Pas loin des grandes réserves égyptiennes.
Des zones territoriales maritimes aux contours non déterminés, qui vont à coup sûr être farouchement disputés dans l’avenir, laissant entrevoir d’autres conflits dans cette région.
Selon plusieurs sources, qui généralement demeurent anonymes, l’une des raisons de l’invasion militaire de la Bande de Gaza par les forces israéliennes vise directement le contrôle et la possession de réserves stratégiques de gaz offshore.
A 30 km des côtes palestiniennes se trouve en effet un gros gisement de gaz naturel, baptisé Gaza Marine, estimé à 30 milliards de mètres cubes pour une valeur de plusieurs  milliards de dollars. D’autres gisements de gaz et pétrole, selon une carte établie par l’agence gouvernementale américaine U.S Geological Survey se trouveraient en terre ferme à Gaza et en Cisjordanie.
Ces réserves de gaz ont été sur le papier attribuées pour une exploitation de 25 ans par l’Autorité palestinienne à British Gas (BG Group) et à son partenaire d´Athènes, Consolidated Contractors International Company (CCC), propriété du Liban et de la famille Sabbagh Koury. Sur le papier seulement, puisque depuis jamais les conditions de sécurité minimales n’ont été réunies pour que l’exploitation puisse simplement commencer.
Imaginer que l’un des buts de la guerre présente menée par Israël, baptisée opération « Bordure protectrice », vise le contrôle des ressources gazières ne relève pas de la paranoïa, si l’on veut bien prendre en compte les faits suivants : l’actuel ministre de la défense de Tel Aviv, Moshe Ya’alon, s’inquiétait en 2007, juste avant l’opération militaire « Plomb Fondu » dirigée elle aussi contre la bande de Gaza, que cette source potentielle de revenus qu’est le gaz ne serve pas à aider à la construction d’un Etat palestinien, mais bien à financer des attaques terroristes contre Israël.
Il avait alors évoqué la possibilité, pour le Hamas, d’utiliser ces fonds pour attaquer le Fatah: « Sans une opération militaire permettant de chasser le Hamas des postes de commande de Gaza, aucun forage ne peut débuter sans l’accord du mouvement islamistes radical », disait-il. L’opération Plomb Fondu n’avait, à l’époque, pas permis d’atteindre ses buts (éradiquer le Hamas), mais avait coûté la vie à près de 1400 Palestiniens dont 773 civil et 9 Israéliens (dont 3 civils).
Selon les sources, plusieurs scénarios sont envisageables : certains évoquent l’ambition d’Israël d’éliminer le Hamas dans la bande de Gaza afin de « générer un climat politique permettant de mener à un accord sur le gaz », ce qui impliquerait un accord avec le Fatah de Mahmoud Abbas dès lors qu’il aurait repris le pouvoir sur la bande de Gaza. Déjà en 2012, le premier ministre Benjamin Netanyahu appelait de ses vœux cet accord que le Hamas, exclu des négociations, avait naturellement rejeté par avance.
D’autres imaginent qu’Israël, Fatah ou pas Fatah, projette dans tous les cas d’exploiter le gaz à son propre profit : le contrat qui avait été négocié par BG Group avec les Palestiniens, aurait depuis été renégocié avec l’Etat Israélien. Mais, encore selon d’autres sources, des négociations auraient aussi eu lieu entre l’Autorité Palestinienne et le russe Gazprom pour développer le champ gazier de Gaza.
Dans tous les cas, l’enjeu du gaz devient colossal dans cette partie du Proche-Orient qui jusque là n’avait pas été habituée à en être bénéficiaire ou victime. Car d’autres gisements offshores ont été découverts en Méditerranée, au large des côtes israéliennes, qui risquent d’engendrer d’autres conflits territoriaux : ainsi, depuis mars 2013, Israël peut compter sur des ressources gazières propres grâce à l’exploitation du champ de Tamar, situé dans sa zone maritime et dont la capacité est évaluée à 238 milliards de mètres cubes. Outre la consommation nationale, cette poche de gaz naturel permettra à Israël d’exporter une partie de la production vers la Jordanie.
Mais la vraie source de conflit est ailleurs : le champ du « Léviathan » situé plus au nord, loin des côtes de Gaza, dont les ressources sont estimées à près de 500 milliards de mètres cubes.
Le problème est que ce gaz et l’éventuel pétrole qui se trouverait dessous se trouvent dans une zone marine frontalière que se disputent outre Israël, le Liban et Chypre.
Un tel volume, s’il était exploité, pourrait transformer Israël en exportateur net vers l’Europe, la Jordanie et l’Egypte, modifiant ainsi fondamentalement les relations de l’Etat hébreu avec son voisinage.
Jusque là, en effet, Israël était tributaire de l’Egypte pour le gaz et les soubresauts du printemps arabe au Caire, tarissant partiellement les livraisons, avaient passablement agacé Tel Aviv.
Les gisements en eux-mêmes sont inclus dans la Zone Economique Exclusive (ZEE) israélienne (zones définies à la convention de Montego Bay sur le droit de la mer en 1982, délimitant un espace de 200 miles marins – environ 370 km – à partir des côtés de l’Etat en question).
Cependant, le Liban conteste le principe de la ZEE, pourtant fruit du droit international. Selon lui, la frontière entre les deux ZEE n’a pas de fondement légal et ne résulte d’aucun accord entre les deux Etats.
S’il paraît difficile qu’Israël trouve un accord avec le Liban, où loge son ennemi juré, le Hezbollah, plus curieuses sont les nouvelles relations, apparemment cordiales, qu’il a noué avec la Russie de Vladimir Poutine.
Les causes en sont multiples, notamment la position d’accusé dans laquelle se retrouvent les deux nations devant la communauté internationale : la Russie à cause de l’Ukraine, Israël à cause de Gaza et des territoires palestiniens en général.
Mais il se peut encore qu’Israël, devant le refroidissement de ses relations avec les Etats-Unis de Barak Obama, ait trouvé dans la Russie un nouvel interlocuteur de poids, notamment pour traiter indirectement avec l’Iran.
De plus, la qualité des rapports d’Israël avec ses voisins proche-orientaux étant, on le sait, exécrables, il pourrait se trouver dans la situation paradoxale d’être privé de débouchés pour son gaz éventuel.
On pourrait ainsi supposer que la Russie serve aussi d’intermédiaire pour une voie du gaz inédite qui passe par la Syrie de Bachar el Assad, venant se raccorder ensuite sur South Stream, le gigantesque gazoduc que Vladimir Poutine est en train de construire avec l’aide du consortium italien ENI et la participation de l’entreprise française EDF à destination de l’Europe, pour contourner l’Ukraine.
Ce qui porterait un nouveau coup, peut-être fatal, à Nabucco, le grand rival de South Stream qui, soutenu par l’Union européenne et les Etats-Unis pour faire pièce aux Russes, devait transporter le gaz d’Azerbaïdjan et d’Iran, vers la même Europe.
Le jeu de la Turquie reste trouble, puisque les deux pipelines sont censé passer par son territoire, et les moulinets de bras d’Ankara face à Israël (le Premier ministre turc avait qualifié le sionisme de « crime contre l’humanité ») ne pèseront certainement pas lourd devant les enjeux financiers et géostratégiques du nouveau gaz méditerranéen.
Si tout ceci demeure pour le moment à l’état de supposition, on ne peut ne pas voir qu’un nouveau grand jeu se met en place dans la région, dont les termes dépassent le simple et cruel problème de Gaza occupée par le Hamas.
Charles Millon




Crise Ukrainienne

Nous sommes en 14, mais de quel siècle ?

Face à l’affaire ukrainienne, on peut s’interroger :s’agit-il du XXème ou du XXIème ?

En effet, en 1914 l’Europe s’embrasait par un subtil et pervers jeu d’alliance à la suite d’une sombre affaire balkanique et se déclarait à elle-même cette première guerre qui avant d’être mondiale fut une dramatique guerre civile, dont le résultat fut l’effondrement des grandes puissances européennes, la perte de leur influence et de leur rayonnement, et l’émergence de l’imperium illimité des Etats-Unis.

Aujourd’hui, c’est avec cette Russie dont l’histoire politique et culturelle, civile et religieuse témoigne de l’intégration dans la civilisation européenne que le Vieux continent menace de rompre des liens séculaires, par aveuglement ou par ineptie géopolitique.

Il est de la responsabilité des grands dirigeants du monde européen d’y réfléchir à deux fois avant que de s’aligner uniment sur les positions de l’ONU et des Etats-Unis. L’histoire ne pardonne pas deux fois la même erreur – si tant est d’ailleurs qu’elle nous ait pardonné la première.

Le premier devoir des Européens,s’ils veulent exister en tant que puissance, est le discernement.

Quel est aujourd’hui l’ennemi, celui qui menace intrinsèquement la stabilité,l’équilibre, l’harmonie et à terme l’existence de l’Europe, ce continent aux racines judéo-chrétiennes et à la double personnalité orientale et occidentale ?

Certainement pas les Russes ou Vladimir Poutine :aujourd’hui, l’ennemi de l’Europe, c’est évidemment d’abord l’islamisme radical dans son expression politique, démographique et surtout terroriste. Et sous un angle économique et civilisationnel, l’Inde ou la Chine dont la volonté d’expansion ne nous fera pas de quartier.

Les raisons de la crise ukrainienne touchent bien entendu aux difficultés de maturation d’une identité propre à un peuple, mais aussi à notre incapacité à nous mettre autour d’une table avec la puissance russe pour discuter diplomatiquement.

Le drame du vol de la Malaysia Airlines, même si l’on en ignore encore les responsables, démontre qu’à trop tarder à agir, on risque l’enlisement dans une sale guerre.

Les institutions européennes actuelles restent pendantes sur les questions de politique étrangère et de défense.

Chacun tire à hue et à dia, et manifestement, les intérêts immédiats de l’Allemagne ou de certains pays d’Europe centrale ne sont pas les mêmes que ceux de la France vis-à-vis de l’Ukraine et de la Russie.

Est-ce une raison pour ne pas initier une politique européenne et attendre que finisse le face-à-face Poutine-Obama ?

Non, l’Europe, du fait de sa proximité géographique et culturelle avec la Russie doit enfin devenir son premier interlocuteur dans ces « marches » que sont l’Ukraine ou la Biélorussie.

Le sentiment antirusse développé par certaines de nos élites, au motif que la grande nation ouralienne ne répondrait pas aux stricts critères démocratiques n’a pas sa place dans cette politique et dans ces négociations.

L’Europe doit participer activement à l’élaboration d’une fédération ukrainienne, solution qui s’impose évidemment.

Conférer de l’autonomie à la Crimée comme à d’autres territoires, notamment en suivant les lignes de partage des langues maternelles des populations est notre affaire, avec la Russie, bien plus que celle de l’administration de la Maison blanche.

L’Europe a beaucoup à partager avec son voisin russe, ne serait-ce qu’au point de vue de l’héritage culturel, religieux, littéraire et artistique qui nous est commun.

Nous avons du mal à nous comprendre avec la Russie de Vladimir Poutine : ce n’est certainement pas notre seule faute.

Poutine est-il un le si grand stratège que l’on dépeint ?

Au-delà de ses manifestations de force, hier en Géorgie, aujourd’hui en Ukraine, qu’elles soient à visage découvert ou masquées, il ne faut pas oublier que le dirigeant russe a besoin de mener une politique étrangère forte pour faire oublier à son peuple son échec interne.

Ainsi,l’économie russe actuelle ne se porte pas bien : Poutine a certes mis au pas les oligarques qui avaient prospéré sous Elstine, mais ça a été pour les remplacer par d’autres, aux ordres du Kremlin, mais qui perpétuent tout de même l’image d’une société à deux vitesses où une minuscule élite nargue un peuple toujours pauvre, désencastré de l’économie mondiale, à la démographie toujours faible et à l’espérance de vie pitoyable.

De même, le fantasme d’une Russie homogène culturellement et religieusement est à déconstruire : les banlieues de Moscou sont pleines de ressortissants des Républiques musulmanes d’Asie centrale et si Poutine joue le matador face au péril islamiste, arguant de la lointaine expérience russe avec les Tatars, il n’est pas interdit de croire que la Russie très chrétienne se réveille demain avec des apprentis-terroristes sur son sol, ou tout simplement avec des minorités revendicatives.

Et la très puissante manifestation du racisme en Russie, couplée à un mépris, pour le moins, vis-à-vis des personnes homosexuelles, ne plaide pas en faveur de l’harmonie sociale.

La Russie, enfin, reste extrêmement dépendante de son économie d’exportation de matières premières,principalement dans le domaine des hydrocarbures et des minerais. La richesse de ses sous-sols, incontestable, a tendance à écraser le reste des secteurs économiques et met le pays à la merci des variations de prix mondiales, comme la crise de 2007-2008 l’a prouvé.

Tous ces paramètres que nous venons d’énumérer doivent être pris en compte, ensemble, par les Européens s’ils veulent pouvoir penser une nouvelle relation, apaisée et ferme, avec le grand voisin aux 140 millions d’habitants.

Certainement, la Russie est un pays qui fait montre d’un fort nationalisme : mais est-il finalement plus puissant et plus agressif que celui des Etats-Unis, de la Chine ou de l’Inde ?

La question ne se situe pas précisément ici en fait, mais plutôt dans la capacité que nous avons à appréhender cette semi-étrangeté que constitue pour des Européens centraux et de l’ouest cet immense continent, et globalement tout le monde historiquement orthodoxe.

Héritier de Byzance, de la Grèce autant que des Khanats mongols, l’espace civilisationnel russe nous est comme un cousin lointain, plein de ressemblances qui parfois sont des pièges pour ce qu’elles recèlent de différences latentes.

Mais ce cousin nous est peut-être aussi proche finalement que le cousin américain : nous nous ressemblons, notamment dans le façonnement historique par le christianisme, mais nos christianismes eux-mêmes sont différents.

Nos espaces géographiques sont foncièrement antithétiques et partant le rapport des population à la géographie : comme les Américains, les Russes sont les conquérants de grands espaces sauvages et rudes, à la différence des Européens qui habitent un jardin parfaitement ordonné et domestiqué.

Nos mœurs sont différentes et pourtant elles se rejoignent dans une certaine idée de l’universel, de l’homme,des rapports familiaux, de la place donnée à la femme et, dans la théorie au moins, dans notre compréhension des droits de l’homme.

La Russie demeure un voisin sauvage mais qui s’est aussi constitué depuis deux siècles en empruntant des traits déterminants à la culture européenne.

Ainsi, deux urgences s’imposent à la politique étrangère européenne et à sa diplomatie : la première, calmer la tendance « paranoïaque » russe actuelle, persuadée que l’occident en général veut sa destruction ; la seconde, marquer fermement les limites de l’influence russe, notamment en Ukraine.

Ces deux préalables sont les conditions sine qua non pour que se réveille la politique étrangère européenne,c’est-à-dire qu’elle redevienne indépendante et forte, non pour asseoir une illusoire puissance, mais pour perpétuer la paix là où elle existe encore dans le monde.




Iran

L’élection d’Hassan Rohani le 14 juin 2013, a soulevé de grandes espérances dans le monde entier.

Considéré comme un modéré, c’est‐à‐dire un centriste, à mi‐chemin des conservateurs à la botte des ayatollahs et des réformateurs comme l’ancien président Khatami, il serait l’homme idoine pour une reprise du dialogue avec un occident faisant bloc derrière Israël.

Pour avoir été en charge des négociations à propos du programme nucléaire au début des années 2000, il connaît très bien le sujet et semble vouloir jouer l’apaisement avec le groupe 5+1 (Chine, Russie, Etats‐Unis, Grande‐Bretagne, France et Allemagne).

Son élection au premier tour lui confère aussi une très grande légitimité auprès du peuple et même auprès des ayatollahs et devrait lui laisser les coudées franches, au moins un certain temps, pour normaliser les relations de l’Etat perse avec le reste de la planète.

L’isolement diplomatique de l’Iran depuis dix ans s’est doublé en effet d’un isolement économique, à la suite de sanctions financières notamment, décidées par l’UE et les Etats‐Unis.

Il en est résulté ces dernières années une inflation galopante (+30% annuels), une chute de la monnaie nationale, le rial, et une explosion du chômage.

Malgré cela, l’influence régionale du pays n’a pas diminué, bien au contraire.

La chute de Saddam Hussein en Irak a réveillé la communauté chiite du pays, dont une partie des cadres a été formée en Iran il y a longtemps.

Plus que jamais, Bachar el Assad, qui tient toujours et regagne du terrain, a besoin de cet allié, et le Hezbollah qui s’impose lui aussi en Syrie comme la formation politico‐ religieuse la plus redoutable de la région fait la preuve de l’habileté diplomatique iranienne qui en a fait son bras armé.

Du Liban à Téhéran, c’est un axe, encore instable, qui s’est formé à la faveur des guerres incohérentes des occidentaux et d’Israël de la dernière décennie.

Dans ce monde proche de l’implosion qu’est le Proche‐Orient, l’Iran et l’alliance chiite (étendue en l’occurrence aux Alaouites) est peut‐être la dernière sûreté qui demeure.

Mais le fait est que l’occident, et la France en particulier, ont parié ces derniers temps, notamment sous la présidence de Nicolas Sarkozy, sur une alliance avec les pétromonarchies sunnites, à qui étrangement personne ne fait grief de leur irrespect des droits de l’homme.

On connaît la situation en Arabie Saoudite, notamment celle faite aux femmes, aux étrangers et aux minorités religieuses, totalement ignorées et méprisées.

On sait aussi qu’à Bahrein quand se sont déclenchées les révolutions arabes, le peuple majoritairement chiite a été écrasé dans le sang par un émir sunnite sans que nulle part dans le monde on s’en émeuve.

Le Qatar, dont l’on sait les intérêts immenses en Europe, et surtout en France, a joué sa partie avec habileté contre les pouvoirs égyptiens et libyens qui empêchaient son hégémonie locale.

On sait notamment qu’il a armé volontairement des combattants salafistes en Libye, qui répandent maintenant la terreur dans leur propre pays et dans tout le Sahel.

Il serait peut‐être temps pour les diplomates européens de comprendre qu’ils ont semé dans cette alliance plus d’ivraie que de bon grain, et que les pétromonarchies sont des facteurs de discorde dans le monde musulman, arabe et africain.

Ainsi, on peut se demander si la bonne piste pour la France ne serait pas de traiter aujourd’hui avec l’Iran et d’entamer avec son nouveau président une négociation de fond ?

De tenter de trouver une voie modérée, refusant l’islamisme guerrier et le djihadisme.

Les négociations butent toujours sur la question du nucléaire, qui paraît pourtant de plus en plus « hystérisée » par les Etats‐Unis et Israël.

Le nouveau président Rohani a d’ailleurs ressorti du placard un accord qui avait été signé avec le président français Jacques Chirac en 2005 et qui prévoyait un droit pour l’Iran à pratiquer l’enrichissement d’uranium dans des buts civils en échange d’un engagement du pays devant l’AIEA à s’assurer qu’il ‘y aurait pas de but militaire.

C’est l’administration Bush qui, faisant pression sur le Royaume‐Uni, avait empêché que cet accord s’appliquât.

Même d’un point de vue strictement économique, la France aurait intérêt à rétablir des relations sereines avec la République islamique.

Alors qu’elle était encore le quatrième partenaire commercial de l’Iran dans les années 2000, elle n’est plus qu’en 15ème position depuis la mise en place de sanctions.

C’est surtout depuis que les exportations françaises vers Iran se sont effondrées, chutant de 2 milliards d’euros à 800 millions, c’est‐à‐dire une baisse de 70%.

Le quinquennat de Nicolas Sarkozy a été le coup de grâce porté à des relations florissantes.

Pour cette raison que d’autres nations, comme les Etats‐Unis qui sont pourtant le porte‐étendard de la mise à l’écart diplomatique du pays des ayatollahs n’ont pas le moins du monde renoncer à y exercer leurs intérêts économiques.

Malgré la loi d’Amato de 1996 qui s’attaquait au commerce des hydrocarbures, les Américains ont toujours poursuivi sans barguigner leurs échanges avec ceux qui les nomment les Grand Satan.

Selon un spécialiste, cité par Le Monde, « il vendent des ordinateurs Appel, des iPhones et du coca‐Cola, mais c’est difficile à chiffrer puisque ça se fait sous le manteau ».

L’ambassadeur d’Iran en France confirme, lui, que les exportations américaines ont bondi de 50% ces deux dernières années pendant que les européennes baissaient de moitié.

Les grandes sociétés françaises, comme Danone, Carrefour ou Renault, qui continuent de travailler là‐bas sont obligées de le faire à travers des franchises, des sociétés écrans ou par des montages complexes via le Liban ou la Russie.

C’est encore Peugeot, qui récemment allié au géant américain General Motors a été obligé de se retirer d’Iran pour ne pas froisser son nouvel ami américain.

L’Iran est un vieux pays d’un vieux continent, comme la France et les autres nations européennes.

Le chiisme qui y règne, quoi qu’on puisse lui reprocher, est relativement moins sévères vis‐à‐vis des minorités ou des femmes que le sunnisme wahabite de l’Arabie saoudite.

Le chiisme a de plus cet avantage notable pour des occidentaux cartésiens d’être fondé sur un clergé clairement identifié qui empêche les interprétations extravagantes de la charia, ou de l’islam en général.

En un mot, cela fait de l’Iran un pays stable, certes autocratique mais non tyrannique, avec qui il est possible de négocier sereinement et dont l’alliance permettrait, dans une vision de realpolitik, à la France et à l’Europe de relativiser l’influence grandissante des États du Golfe et d’aider à rétablir un ordre minimal dans un Proche‐Orient assis sur une poudrière.

Alors que la Turquie elle‐même semble au bord du chaos, la présence d’un allié sûr, stable et fort, s’impose.

L’Iran a étonné le monde ces derniers mois.

Ainsi, ce que nous avions appelé de nos vœux, c’est‐à‐dire une réintroduction en douceur du pays des Mollahs dans le concert des nations, est en voie de se réaliser.

Selon les termes de l’accord conclu les 23 et 24 novembre 2013 à Genève entre l’Iran et les six puissances chargées du dossier nucléaire, le pays ne pourra plus enrichir d’uranium au‐delà de 3,5% ou 5%, et son stock enrichi à 20% sera également neutralisé.

Cet accord, quoiqu’il ne coure que sur six mois et que son application, des deux côtés, mérite d’être contrôlée, constitue pourtant un premier pas significatif dans le règlement d’une crise qui a pris un essor notable il y a dix ans, mais qui date dans le fond d’il y a trente‐cinq ans, lors de l’accession de l’ayatollah Khomeiny au pouvoir.

Aux termes de l’accord de Genève, l’Iran va pour sa part pouvoir récupérer au cours des six prochains mois plus d’un milliard et demi de dollars issus de la vente d’or et de métaux précieux, bloqués à l’étranger par l’embargo financier.

Puis au fur et à mesure de la réalisation de ses engagements, Téhéran peut espérer retirer plus de 4 milliards de dollars de ses exportations pétrolières.

Un ballon d’oxygène bienvenu dans la situation actuelle de l’économie iranienne, ainsi que des perspectives encourageantes pour l’avenir, si d’autres allégements de sanctions interviennent par la suite.

Voilà qui pourrait enrayer la fuite des capitaux et même relancer les investissements.

Car ces deux dernières années l’Iran a perdu des dizaines de milliards de dollars du fait des sanctions internationales.

Du côté occidental, et même du reste du monde, nul doute qu’on y gagne aussi sur le plan économique.

L’Iran n’est pas la Somalie, c’est même la première puissance régionale du Proche‐Orient et la fermeture de son marché nuisait aux entreprises européennes et américaines, pendant que la Russie et la Chine, moins regardantes, et surtout alliées dans le fond à Téhéran, ne se gênaient pas pour y investir et, du côté de Pékin, pour y acheter du pétrole.

Cet accord révèle en outre plusieurs bouleversements majeurs.

D’abord, à l’intérieur même du pouvoir iranien.

Même si Hassan Rohani a été élu parce qu’il était modéré, surtout après Ahmadinejad, et pour sortir l’Iran de l’impasse dans laquelle il s’était enfermé, il est certain qu’il n’aurait pu conclure cet accord sans l’aval du Guide suprême.

On a donc pris conscience au plus haut niveau du gouvernement que le monde a changé et que le jusqu’au‐boutisme est devenu impossible.

Le rials, la monnaie iranienne, menaçait en effet de s’effondrer complètement.

Mais cet accord et cette ouverture au reste du monde impliquent aussi que les Gardiens de la Révolution ont accepté que leur part, prégnante, dans les revenus de la manne pétrolière diminue.

Il y a donc une redistribution des cartes, encore timide, entre les pouvoir civil et religieux dans le pays.

Ensuite, l’attitude bienveillante du président américain Barak Obama laisse présager un renversement général des alliances dans le monde.

Ou en tout cas, une position nouvelle des États‐Unis sur l’échiquier mondial.

Les négociations secrètes de l’été dernier, entre américains et iraniens, révélées récemment, ne sont que pour étonner les naïfs, et notamment la diplomatie européenne qui n’a absolument pas pris la mesure de ce qui était en train de se jouer.

La position de la France particulièrement, belliqueuse à la fois sur le dossier syrien et sur le dossier iranien, menaçant même de faire échouer l’accord, est retardataire.

Faut il y voir la conséquence de l’alliance, conclue sous Nicolas Sarkozy et poursuivie sous François Hollande de l’Hexagone avec les pays de la péninsule, notamment le Qatar et l’Arabie saoudite ?

Alors que les États‐Unis ont manifestement décidé depuis un certain temps de se désengager, diplomatiquement et militairement du Proche‐Orient et du monde arabe au profit de la sphère asiatique, l’Europe continue de croire que le grand jeu se déroule toujours sur ce terrain‐là, ne menant d’ailleurs même pas sa propre politique étrangère, mais s’identifiant à ce qu’elle croit être encore la politique américaine.

Alors que les États‐Unis, proches d’atteindre l’autonomie énergétique grâce à leur exploitation des gaz et pétroles de schiste, sur leur propre territoire, ont de moins en moins besoin de leur vieil allié l’Arabie

saoudite.

Par là même, leur attitude ambiguë vis‐à‐vis des mouvements islamistes financés plus ou moins par les pétromonarchies se dissipe.

En témoigne leur recul sur la question syrienne.

Et dans un monde proche‐oriental totalement déstabilisé par les guerres d’Irak et de Syrie, ils ont besoin d’un acteur stable et fort.

C’est l’Iran qui semble prédestiné à jouer ce rôle, nonobstant les hauts cris israéliens.

Plus, les États‐Unis ont besoin de répondre à l’influence grandissante de la Russie, et de la Chine, dans la région.

L’administration américaine a sans nul doute pris conscience que le réel jouait contre elle, et que soutenir indéfiniment la ligne wahhabite ne lui rapporterait rien, quand Vladimir Poutine de son côté triomphe comme le défenseur des peuples opprimés.

Enfin, dans un Irak géré désormais par des chiites, rétablir la stabilité passe aussi par sa capacité à s’entendre avec le grand voisin de la même obédience, l’Iran.

Ce qui explique que le Premier Ministre irakien chiite Nouri al Maliki ait visité Téhéran dès l’accord conclu.

Victoire donc de la diplomatie, mais surtout de la realpolitik, et l’Europe, toujours arc‐boutée sur de grands principes loin du réel, a intérêt à en prendre de la graine, et rapidement, si elle veut continuer de jouer un rôle dans la région.

Pour l’instant, seul le Royaume‐Uni, pragmatique, en a pris la mesure en envoyant un diplomate dans la capitale de Mollahs.

Par ailleurs, loin d’entretenir la guerre meurtrière sunnites‐chiites, cet accord semble aider pour le moment à une certaine normalisation de leurs relations.

Ainsi, le ministre des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif – le grand gagnant politiquement, avec Hassan Rohani de la situation ‐ a effectué début décembre une tournée dans les pays du golfe – hors l’Arabie Saoudite.

Dans cet accord se trouve peut‐être simplement la clef de la résolution de nombre de conflits actuels, et de la diminution du terrorisme.

Si les clauses en sont respectées dans les mois qui viennent, et si les démocrates américains parviennent à résister aux pressions belliqueuses des faucons républicains et d’Israël, Barack Obama aura peut‐être réussi le triple tour de force de briser une vieille inimitié, de mettre un coup d’arrêt à l’influence grandissante de ses rivaux

que sont la Russie et la Chine dans la région et d’ouvrir un marché nouveau à ses entreprises.

De son côté, l’Iran devient enfin ce qu’il est, la principale puissance régionale, capable d’aider à la résolution du conflit syrien, de mettre fin aux guérillas terroristes sunnites, et de renouer des relations économiques conformes

à sa grandeur.

Les grands perdants risquent d’être les autres pays de l’OPEP et la Russie, que le retour du pétrole perse va violemment toucher économiquement, en poussant les cours à la baisse ; et l’Europe qui a donné l’impression d’être à la traîne du mouvement général de l’histoire actuelle.

Il est temps pour elle de réagir.

Charles Millon




Charles Millon : l’Europe ne doit pas rompre les liens avec la Russie

Charles Millon : l’Europe ne doit pas rompre les liens avec la Russie

Par Charles Millon

    • Publié le 07/03/2014 à 20:49
Flotte russe au large d'Istanbul, le 7 mars 2014.

FIGAROVOX – L’ancien ministre de la Défense, Charles Millon, analyse la crise Ukrainienne. Il y voit une chance pour que l’Europe développe une diplomatie enfin autonome.

Nous sommes en 14, mais de quel siècle? Face à l’affaire ukrainienne, on peut s’interroger: s’agit-il du XXème ou du XXIème? En effet, en 1914 l’Europe s’embrasait par un subtil et pervers jeu d’alliance à la suite d’une sombre affaire balkanique et se déclarait à elle-même cette première guerre qui avant d’être mondiale fut une dramatique guerre civile, dont le résultat fut l’effondrement des grandes puissances européennes, la perte de leur influence et de leur rayonnement, et l’émergence de l’imperium illimité des Etats-Unis. Aujourd’hui, c’est avec cette Russie dont l’histoire politique et culturelle, civile et religieuse témoigne de l’intégration dans la civilisation européenne que le Vieux continent menace de rompre des liens séculaires, par aveuglement ou par ineptie géopolitique. Il est de la responsabilité des grands dirigeants du monde européen d’y réfléchir à deux fois avant que de s’aligner uniment sur les positions de l’ONU et des Etats-Unis. L’histoire ne pardonne pas deux fois la même erreur – si tant est d’ailleurs qu’elle nous ait pardonné la première.

Le premier devoir des Européens, s’ils veulent exister en tant que puissance, est le discernement. Quel est aujourd’hui l’ennemi, celui qui menace intrinsèquement la stabilité, l’équilibre, l’harmonie et à terme l’existence de l’Europe, ce continent aux racines judéo-chrétiennes et à la double personnalité orientale et occidentale? Certainement pas les Russes ou Vladimir Poutine: aujourd’hui, l’ennemi de l’Europe, c’est évidemment d’abord l’islamisme radical dans son expression politique, démographique et surtout terroriste. Et sous un angle économique et civilisationnel, l’Inde ou la Chine dont la volonté d’expansion ne nous fera pas de quartier. Continuer à se battre sur le mauvais terrain, à jouer dans une pièce d’ombres en fabriquant du mélodrame là où il n’a pas lieu d’être, c’est assurément se donner les moyens de tout perdre à la fin. Les raisons de la crise ukrainienne touchent bien entendu aux difficultés de maturation d’une identité propre à un peuple, mais aussi à notre incapacité à nous mettre autour d’une table avec la puissance russe pour discuter diplomatiquement, sans recourir aux moulinets de bras du grand frère américain.

Le second devoir des Européens, en conséquence, consiste à se doter de politiques étrangères et de défense coordonnées et autonomes. Je me souviens de l’efficacité que démontra, autant d’ailleurs pour les Américains que pour les Européens, la Force de Réaction Rapide exclusivement européenne dont je supervisai la création en 1995 en tant que ministre de la défense lors de la guerre de Bosnie. Echafaudée presque ex nihilo et vouée à une mission particulière, elle découvrit à la face du monde la puissance des Européens lorsque, unis, ils se donnent un but à atteindre. Les institutions européennes actuelles restent pendantes sur les questions de politique étrangère et de défense. Chacun tire à hue et à dia, et manifestement, les intérêts immédiats de l’Allemagne ou de certains pays d’Europe centrale ne sont pas les mêmes que ceux de la France vis-à-vis de l’Ukraine et de la Russie. Est-ce une raison pour ne pas initier une politique européenne et attendre que finisse le face-à-face Poutine-Obama?

Non, l’Europe, du fait de sa proximité géographique et culturelle avec la Russie doit enfin devenir son premier interlocuteur dans ces «marches» que sont l’Ukraine ou la Biélorussie. Le sentiment antirusse développé par certaines de nos élites, au motif que la grande nation ouralienne ne répondrait pas aux stricts critères démocratiques n’a pas sa place dans cette politique et dans ces négociations. L’Europe doit participer activement à l’élaboration d’une fédération ukrainienne, solution qui s’impose évidemment. Conférer de l’autonomie à la Crimée comme à d’autres territoires, notamment en suivant les lignes de partage des langues maternelles des populations est notre affaire, avec la Russie, bien plus que celle de l’administration de la Maison blanche. L’Europe a beaucoup à partager avec son voisin russe, ne serait-ce qu’au point de vue de l’héritage culturel, religieux, littéraire et artistique qui nous est commun.

Sans un réveil rapide et réaliste de sa politique étrangère, l’Europe se condamne à demeurer un nain à côté des puissances américaines et russes.