La Russie de Vladimir Poutine
La Russie de Vladimir Poutine n’est pas morte, elle n’est pas non plus à genoux comme on le prévoyait.
Grand bien lui fasse.
Quoi que l’on pense de ce régime, de la direction qu’il prend, de ses tares visibles ou de sa fragilité, l’Europe est obligée, plus que jamais, de prendre en compte l’existence de ce pays-continent qui est redevenu un acteur majeur du jeu géopolitique ces dix dernières années.
Du Cap Nord au Détroit d’Ormuz, son influence se fait sentir et il est à prédire que sans son accord et son influence, les innombrables conflit qui parsèment le monde et particulièrement le Proche et le Moyen Orients ne trouveront pas de résolution heureuse.
La chute du rouble en novembre dernier, à travers laquelle on nous prédisait l’effondrement de l’économie russe, a été stoppée net, et la monnaie est au contraire remontée ces dernières semaines de façon extraordinaire.
De même, les cours du pétrole, encore bas, ont cependant cessé de baisser.
De bonnes nouvelles pour la santé de l’économie russe qui repose principalement sur l’exportation de ressources naturelles, même si les capitaux continuent de fuir le pays. Mais ceux qui donnaient Poutine pour mort en sont pour leurs frais.
C’est pourtant d’abord sur le plan diplomatique et militaire que la Russie triomphe. L’annexion de la Crimée, quoiqu’elle n’ait pas été reconnue par l’ensemble de la communauté internationale, est admise de fait, à l’image de l’Ossétie du sud.
En Ukraine, la trêve mise en place depuis le 15 février, après les accords de Minsk 2 signés trois jours auparavant, est certes régulièrement rompue par des accrochages sporadiques, les belligérants se faisant porter naturellement les uns les autres la responsabilité, mais le cessez-le-feu est globalement respecté.
Pour l’instant, Kiev a entériné le fait que les régions sécessionnistes de l’est échappaient à son contrôle.
Et, alors que le pouvoir de Poutine est plus assuré que jamais, son ennemi ukrainien doit faire face à des divisions internes : « Un nouveau Maїdan sera bien différent des précédents.
Les gens ont tellement d’armes dans les mains que personne ne va pas attendre un mois ou deux dans les tentes, en chantant et en agitant des lampes de poche.
Et c’est bien ce que nous voulons éviter », déclarait récemment Dimitri Iaroch, le leader de Secteur droit et président de la Rada. Kiev, qui tient sous perfusion occidentale, n’a cependant pas remisé son idée de revanche.
Ainsi, l’on apprenait ces dernières semaines que 300 parachutistes américains entraîneraient les 900 membres de la Garde nationale ukrainienne.
De l’autre côté, on soupçonne fortement au moins deux brigades parachutistes russes d’avoir participé à la guerre en soutien des séparatistes, et d’être toujours présentes sur le terrain.
Si dans ce conflit qui a fait 6000 morts en un an, les armes se sont tues, c’est certainement très momentané.
Elles n’attendent qu’un incident pour parler à nouveau.
Partout en Europe, ainsi les incidents ou provocations se multiplient depuis des semaines entre militaires russes et forces de l’OTAN.
Les Etats-Unis ont protesté contre l’interception « dangereuse » d’un avion de reconnaissance américain au-dessus de la Pologne.
La chasse au sous-marin nucléaire russe en Mer Baltique qui semble avoir été le fruit d’une paranoïa, rappelait celles de la guerre froide et mettait en colère la Suède.
L’interception de deux bombardiers russes survolant la Manche avait mis à cran le Royaume-Uni qui a intercepté ces vols.
Et en Méditerranée, la présence de navires russes s’est accrue. La Pologne a, en outre, construit ce mois-ci six miradors sur les 200 kilomètres de frontière avec l’enclave russe de Kaliningrad. Ils devraient être opérationnels en juin prochain.
L’Europe semble revenue au temps de la guerre froide, terrain de jeu inerte dans le conflit d’influence des grandes puissances.
L’Ukraine a augmenté ses dépenses militaires de 20% l’an dernier et prévoit de doubler cet effort cette année. Au palmarès des augmentations de budget de défense, la Pologne arrive deuxième avec 13%, juste devant la Russie avec 8% et la Lituanie qui accroît son budget d’armement de 6%.
Mais les dépenses militaires ne sont pas le seul indicateur de la crainte des pays voisins à l’égard de la Russie. Après avoir interrompu toute coopération pratique avec la Russie, l’OTAN, l’organisation de défense des Occidentaux, a décidé au sommet de Newport en septembre 2014, de l’instauration d’une force rapide d’intervention, après l’annexion de la Crimée.
Des manœuvres de cette force de réaction ont eu lieu en République tchèque et aux Pays-Bas. Elles ont impliqué 900 soldats allemands, 200 néerlandais et 150 Tchèques dans leurs pays respectifs pour se rendre à un point d’embarquement dans les aéroports afin de tester un déploiement de force en quelques dizaines d’heures à destination des Pays Baltes.
Un autre exercice baptisé Noble Jump 2, est programmé en juin à une échelle plus grande, avec le déploiement de troupes alliées en Pologne.
Le président estonien réclamait même ce lundi une présence permanente de troupes de combat de l’OTAN dans les trois Pays Baltes.
Même l’Allemagne a décidé de réagir au relèvement de l’état d’alerte dans l’Alliance atlantique en réintégrant dans ses forces de l’armée de terre.
Une centaine de chars seront modernisés à partir de 2017 pour atteindre les 328 chars Léopard II prêts au service, au lieu des 225 actuels.
Kiev enfin a répété que sa stratégie prioritaire de défense était bien de rejoindre l’OTAN, malgré la réticence de pays comme l’Allemagne ou la France, qui y voient comme la Russie, un facteur d’aggravation des tensions.
Sur le plan économique, « l’Agence pour la modernisation de l’Ukraine », née sous l’impulsion de Bernard-Henri Lévy notamment, prévoit de réunir 300 milliards de dollars dans un fonds d’investissement.
Elle prévoit aussi de moderniser le système de santé du pays avec l’aide de l’inévitable French Doctor Bernard Kouchner.
Mais du côté russe aussi, on s’active : ainsi la politique d’investissement en Grèce, en cours d’élaboration avec Alexis Tsipras, renoue avec les fondamentaux de l’histoire longue, celle des peuples de culture orthodoxe.
Encore une fois, l’Europe paraît coupée en deux.
Il y a aussi Chypre, avec qui le président Vladimir Poutine entretient d’excellentes relations, notamment militaires.
Et aussi la Hongrie, à travers notamment le « Turkish Stream », nouveau gazoduc imaginé par la Russie pour remplacer le South Stream avorté, et contourner l’Ukraine et la Bulgarie : traversant la Mer noire, ce nouveau tracé rejoindrait la frontière gréco-turque, d’où il pourrait arroser l’Europe par le biais de la Serbie, de la Macédoine et de la Hongrie.
Enfin, au Proche Orient, la politique d’équilibre avec la Syrie et l’Iran que prônait Vladimir Poutine depuis des années, pour contrer le radicalisme sunnite commence à montrer son efficacité.
La levée des sanctions contre l’Iran laisse présager d’accords, officiels ou non, des puissances occidentales avec la Syrie de Bachar El Assad pour lutter contre l’Etat Islamique.
Les Russes préservent ainsi leur base de Tartous en Syrie, et s’apprêtent à honorer leurs anciens accords avec l’Iran en lui livrant des missiles S300.
Le drame vient encore une fois de l’inertie de la diplomatie européenne, qui semble toujours à la traîne.
Il aura fallu que les Etats-Unis décident de discuter avec l’Iran pour que l’Europe l’accepte.
De même, demain, les chancelleries de Paris, de Berlin et de Londres accepteront certainement de renouer avec Assad si le grand protecteur américain le juge bon.
Mais l’impossibilité du dialogue européo-russe est plus grave, parce qu’il s’agit de deux grandes civilisations contiguës, dont les histoires se recoupent.
Parce qu’on n’a pas fait hier l’Europe culturelle, on récolte des querelles économiques.
L’Europe doit revenir à une vraie hiérarchie de ses priorités. Il est temps de créer enfin des échanges culturels et universitaires avec la Russie, pour renouer le dialogue sur des bases sûres et équilibrées.